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1789. Washington. Ses vertus privées lui faisaient des amis. Ni ses regards, ni ses paroles n'avaient rien d'enflammé. Son courage était de tous les momens; mais il ne savait pas toujours à quoi l'appliquer. Il cherchait ses devoirs et se brouillait quelquefois dans un examen qu'un esprit peu juste et peu, étendu lui rendait difficile. Son bras aurait eu besoin d'être conduit par une volonté moins irrésolue que la sienne. Excellent élève de Washington en Amérique, il devint parmi nous le copiste embarrassé d'un grand homme.

Le comte de Clermont Tonnerre et le comte de Lally-Tollendal adhéraient alors à plusieurs vœux du parti populaire. Leur éloquence vive et féconde était soutenue par des études politiques dont la direction était aussi sûre qu'étendue. L'un et l'autre cher-› chaient ce qu'il leur serait possible d'em→ prunter de la constitution anglaise. Ils se virent bientôt secondés dans leurs soins malheureusement infructueux par deux députés du tiers-état, Mounier et Malouet, hommes attentifs à observer les limites délicates, qui séparent la liberté de l'anarchie. Dans le. même parti figuraient, à quelques nuances. près, le duc de La Rochefoucault et son

cousin le duc de Liancourt, le comte et le 1789. marquis de Crillon, le marquis de Montesquiou, le vicomte de Montmorency et plusieurs autres personnages distingués qui, dans leur passion du bien public, dans la candeur et la générosité de leurs sentimens, ne furent pas toujours à l'abri de quelques illusions politiques. Chez plusieurs autres membres de la minorité de la noblesse l'enthousiasme de la liberté paraissait stimulé par quelques dépits de cour. Il y en avait même quelques-uns qui, versés dans l'art des séductions et des intrigues auxquelles ils avaient dû des succès de galanterie et d'ambition, croyaient que les perfidies ne seraient pas inutiles à la cause de la liberté.

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Les hommes de lettres n'avaient obtenu aucun succès dans les élections populaires; et la révolution, à son berceau, avait déjà signalé son ingratitude envers cette philosophie dont elle était fille. On comptait dans la représentation du tiers-état deux cent douze avocats, c'est-à-dire plus du tiers de cette députation. Les grands talens de plusieurs orateurs du tiers-état ne purent d'abord suppléer à l'insuffisance de leur éducation politique. Ces orateurs aimèrent mieux créer la science du gouvernement

1789. représentatif que l'apprendre. L'histoire et l'expérience les gênaient. Ils voulurent tout construire avec des principes qu'ils disaient éternels, et leur ouvrage ne dura que quelques jours. Cette erreur du siècle emporta jusqu'à des esprits naturellement judicieux, tels que les Barnave, les Thouret, les Chapelier; un peu plus tard, ils la reconnurent, la confessèrent et voulurent courageusement la réparer. Quand leur éducation politique fut faite, la révolution trancha leurs jours. J'ai parlé de Mirabeau dans le volume précédent; mais il faut considérer de plus près l'homme qui va dominer sur les premières

années de la révolution.

Honoré Riquetti, comte de Mirabeau, descendait d'une ancienne famille de Provence, originaire de Naples, et n'était point indifférent à l'avantage de la noblesse, lorsqu'il déclamait le plus contre les nobles *. Sa taille moyenne exprimait la force de ses muscles et de son tempérament. Sa tête, hérissée d'une forêt de cheveux et posée sur un col étroit, était énorme; son teint, habi

* Madame de Staël rapporte, dans son ouvrage sur la Révolution, que Mirabeau dit une fois dans un cercle: «L'amiral de Coligny, qui, par parenthèse, Sétait mon parent. »

tuellement blême se colorait et s'enflammait dans le feu de la discussion. Son extrême laideur, ouvrage de la petite vérole, laissait régner sur ses traits quelque expression de noblesse; tout annonçait en lui des passions mobiles et pourtant énergiques. Il semblait quélquefois tirer avantage de sa laideur même et de l'effroi qu'il inspirait. Quand on venait de le provoquer fortement dans l'assemblée : « Je vais disait-il, leur pré

senter la hure *. » Il réussissait, par une déclamation artificielle et calquée sur celle de Le Kain, à corriger les désavantages d'un organe qui passait souvent des sons rauques à des sons singulièrement aigus. Quand il improvisait, son élocution était d'abord lourde, embarrassée, surchargée de grands mots et de néologismes; mais il semblait forcer les auditeurs à participer au travail difficile de sa pensée, aux orages de son âme, et chacun attendait avec frémissement

:

Un jour une dame, se trouvant à Versailles au milieu d'un grand nombre de députés, lui dit sans le connaître « Montrez-moi, s'il vous plaît, M. de » Mirabeau. On dit qu'il est si laid. » -«Fort laid » en effet, madame. Imaginez-vous un tigre qui a eu » la petite vérole, et vous en pourrez juger; car c'est » lui qui a l'honneur de vous parler. »

1789.

1789. les grands coups de tonnerre de son éloquence. Du reste, il était souple, caressant, et l'hyperbole qui régnait dans ses flatteries semblait échapper à la force de ses impressions. C'était un homme vicieux à qui il restait une assez belle imagination pour concevoir et pour exprimer de nobles sentimens; vénal, prodigue et obéré, jusques dans le cours de ses actions les plus basses, il se sentait relevé par une haute ambition. Il brûlait d'être à la fois le Fox et le Pitt de son pays. Voyait-il les esprits portés à quelque blâme de ses actions, il affectait de se dessiner noblement. * Tel que je viens de le dépeindre, dans sa jeunesse, il avait été en amour un séducteur habile. Sa plus déplorable victime avait été madame Lemonnier, femme du premier président de Besançon. Déjà marié lui-même, il l'avait enlevée, conduite en Hollande. Un arrêt de cour souveraine l'avait condamné par contumace à être décapité. Son père le fit enlever en Hollande, et conduire par une lettre de cachet à Vincennes. C'est de cette prison,

* Un jour l'un de ses amis lui dit : « Mirabeau, je » vous trouve aujourd'hui l'air bien superbe ; je parie » que vous avez fait ce matin quelque chose où la » délicatesse est un peu compromise. »

« EelmineJätka »