vroient, la religion ne seroit violée, d'autant que vraiment ils devoient honorer celuy qui estoit trèsheureux et sainct1. » La décision des religieux et des chanoines fut exécutée; et saint Théodulphe reçut partout sur son passage de grands honneurs que l'on croyait rendre à saint Ermin. Cependant aucun miracle ne signala sa présence en France. Mais lorsque, à son retour, le corps eut quitté le sol de ce pays et repris son véritable nom, il se rendit promptement célèbre par plusieurs prodiges. A Valenciennes, le nombre en fut si considérable, que les magistrats et les habitants voulurent le retenir pour toujours. Ils firent vœu de bâtir une église en son honneur, et dirent aux religieux de Saint-Pierre, que leur monastère possédant plusieurs Saints encore, même de plus grand renom, ils devaient céder aux autres une partie de leurs trésors. Les moines, désespérés de tant d'instances, conçurent l'idée de s'y dérober avec adresse. Un jour, pendant que les bourgeois se livraient à leurs travaux habituels, ils emportèrent en secret le corps de saint Théodulphe. Déjà ils étaient parvenus au pont qui joint les deux rives de l'Escaut, lorsque la population, instruite de leur départ, accourut en si grande multitude que les pauvres religieux se virent contraints de retourner sur leurs pas. Ne sachant plus quel parti prendre, ils envoyèrent quelques-uns d'entre eux à Lobbes pour prier l'abbé et le chapitre de faire transporter aussitôt avec pompe et solennité le corps de saint Ursmer à Valenciennes, 1) Gilles Waulde, p. 207. afin que sa présence détournât les habitants de l'injustice qu'ils voulaient commettre. Tout le monde approuva ce conseil. Le respect des Valenciennois pour les reliques du saint Patron de Lobbes fut tel, qu'ils renoncèrent sur-le-champ à leur résolution. Ils rendirent le précieux dépôt, et lorsqu'il quitta la ville, tous, magistrats et bourgeois l'accompagnèrent jusqu'aux limites de leur territoire. Sur la route, plus on approchait de Lobbes, plus les prodiges se multipliaient, avec le nombre des pèlerins qui accouraient de tous côtés honorer les saintes reliques. Enfin les moines déposèrent la châsse dans le sanctuaire de l'église supérieure, résolus de vénérer le glorieux confesseur plus encore que par le passé, puisque le Seigneur avait daigné manifester par une foule de miracles la puissance de son intercession dans le ciel. Fulcard n'est blâmé que d'avoir aliéné les possessions de Fontenelle, berceau de saint Ursmer; et encore doit-on l'excuser à cause de l'extrême détresse dans laquelle se trouvaient alors les religieux de Saint-Pierre. Cette cession fut faite à l'abbaye de Liessies', moyennant une rente annuelle de six sols, 1) L'abbaye de Liessies, près d'Avesnes, fut fondée en 751 par Wibert, comte de Poiton, qui avait reçu de Pepin tout le pays situé sur l'Hèpre entre Vault et Molhain. Gontrad, fils de Wibert, en fut le premier supérieur. Liessies, d'abord monastère bénédictin, fut converti en collégiale après l'invasion des Normands. En 1095, Théodoric, comte d'Avesnes, lui rendit son ancienue règle. Louis de Blois, natif de Doustiennes, étant devenu abbé de Liessies en 1530, entreprit la réforme de cette maison tombée en décadence depuis environ deux siècles. Cette réforme, qui était une mitigation de la règle de Saint monnaie de Laon, laquelle, sous l'abbé Werric, en 1179, fut portée à huit sols, monnaie de Valenciennes. Malgré son zèle et sa piété, notre abbé Fulcard fut en butte à la calomnie : c'était la dernière épreuve que Dieu envoyait à cette âme généreuse avant de l'introduire dans sa gloire. Otbert, voulant augmenter son évêché par l'acquisition du château de Couvin, avait chargé Arnulphe et Wigger, nobles personnages de la ville de Thuin, de négocier cet achat. Ces seigneurs avaient un frère nommé Ingobrand, religieux au monastère de Lobbes. Après avoir terminé cette affaire au gré de l'évêque, ils lui firent entendre que non-seulement ils ne réclamaient rien pour eux, mais qu'ils étaient encore prêts à lui céder de leur propre bien, autant qu'il lui plairait, pourvu que son bon plaisir fût de donner l'abbaye de SaintHubert à leur frère Ingobrand. Otbert trouva d'abord difficile d'acquiescer à cette demande du vivant de l'abbé légitime, quoique celui-ci refusât de lui obéir et lui fût même hostile1; le comte Arnulphe de Chiny, pour calmer ses scrupules, l'engagea à lui laisser les Benoît, fut approuvée par le pape Paul III en 1545. D. Nicolas Lelong, p. 98. L'illustre vierge sainte Hiltrude, sœur de Gontrad, mena une vie de pénitence et de prières dans une cellule contiguë à l'abbaye de Liessies. Elle y mourut le 27 septembre 769. 1) C'était alors Théodoric II, successeur du B. Théodoric de Leernes. Il avait accompagné, en France, Béranger, abbé de Saint-Laurent, à Liége, qu'Otbert avait expulsé injustement. Accusé de désertion et d'autres fautes, il vint à Liége se justifier en présence de ses adversaires, puis se retira au prieuré de Cons, près de Longuyon, afin de se soustraire à la vengeance d'Otbert. Cf. Cantatorium, §§ 82-88. soins de l'installation du nouvel abbé, son parent, lui promettant que, par sa coopération, l'abbaye reviendrait bientôt à son premier état de splendeur. Obsédé de sollicitations et de promesses, poussé aussi par son mécontentement et sa haine contre l'abbé Théodoric, Otbert consentit à cette œuvre d'iniquité. Il manda à Fulcard de venir le trouver, sans retard, et d'amener avec lui le moine Ingobrand. Quand ils furent arrivés, il ordonna à l'abbé de rendre la liberté au frère de Wigger, et le sacra aussitôt abbé de Saint-Hubert, sans élection régulière des moines, et sans s'être enquis de son mérite personnel. Quelques jours après, il se rendit à Andage avec le nouvel abbé, Fulcard de Lobbes, le comte de Chiny et les principaux seigneurs de son diocèse. Mécontents. de se voir imposer un prélat, sans qu'ils eussent été consultés, les religieux de Saint-Hubert refusèrent d'aller à la rencontre de l'évêque et de recevoir Ingobrand. Cette résistance opiniâtre des moines irrita Otbert; bientôt il chargea l'abbé de Lobbes et le comte Arnulphe de leur signifier qu'ils auraient à se soumettre de bonne grâce à ses ordres, ou à quitter le monastère, sans rien emporter. Cette décision rigoureuse consterna les religieux; et ils accueillirent le favori de l'évêque. Ingobrand n'avait ni expérience ni instruction. Il s'abandonna à l'oisi 1) L'auteur du Cantatorium dit que l'abbé de Lobbes s'appelait Arnolphe ou Arnulphe. Nous croyons qu'il y a là erreur. L'acte de vente du château de Couvin est du 14 juin 1096, et la nomination d'Ingobrand lui est postérieure; or, en cette année, Fulcard et non Arnulphe dirigeait le monastère de Saint-Pierre. LOBBES II. 6 veté et à la fougue de la jeunesse, négligea les devoirs de sa dignité et laissa déchoir entièrement la discipline. L'année suivante, ce prélat ambitieux et déréglé convoita la dignité abbatiale de Lobbes. Pour parvenir à sa fin, il accusa Fulcard de plusieurs crimes auprès d'Otbert. Sur ces entrefaites, l'évêque forma le siége du château de Clermont', et demanda à l'avoué militaire de Liége d'y prendre part. Déjà la forteresse était investie, lorsque celui-ci, interpellant Otbert publiquement, déclara qu'il ne pouvait lui accorder l'aide de ses conseils et de sa coopération, qu'autant qu'il chasserait l'abbé intrus de SaintHubert. Plusieurs seigneurs, archidiacres et prévôts, présents au siége, s'unirent à l'avoué pour réclamer la réorganisation des monastères et le rétablissement des abbés légitimes. Etonné de cette attaque inattendue et pressé de toutes parts, l'évêque promit, avec une apparence de bonne gràce, de se conformer aux désirs de l'assemblée. Ingobrand retourna à Lobbes, en qualité de simple religieux, Théodoric II put rentrer à Andage, et Fulcard conserva l'abbatiat de Saint-Pierre. Ingobrand mourut quelque temps après et fut enterré en l'église supérieure, En 1105, le B. Odon3, évêque de Cambrai, fit la 1) Le château de Clermont, situé sur la rive droite de la Meuse, au-dessus d'Ingihoul, était bâti sur un monticule où se voient encore ses ruines. 2) Cantatorium § 88, 89 etc.: Gilles Waulde, p. 405, Chronique manuscrite des ablés de Lobbes. 3) Odon avait auparavant dirigé l'école de Tournai avec le plus grand éclat. Il devint évêque de Cambrai en 1104 et mourut en 1113, à l'abbaye d'Anchin. |