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favori; il lui confie le sceau royal, qui s'appliquait à tous les décrets. Bientôt Esther, à son tour, obtient l'ordre d'un massacre épouvantable. Parysatis se sert aussi de son ascendant sur son fils pour lui arracher le droit royal de vie et de mort, afin de faire périr dans d'horribles tourmens un homme qui lui avait déplu. Les actes que je viens de rapporter, et mille autres que je pourrais citer, suffisent pour douner une idée de ce que devaient être en Perse les lois criminelles. Dans les provinces, les Satrapes avaient, comme le chef du gouvernement, le droit de vie et de mort. Des tribunaux étaient institués; mais par qui et comment les juges étaient-ils nommés ? Je ne saurais le dire, quoiqu'il fût important de le savoir pour connaître jusqu'à quel point leurs arrêts pouvaient être indépendans. Des peines terribles étaient portées contre ceux qui se seraient laissé corrompre; on les faisait mourir dans les supplices, on les écorchait ensuite, et leur peau servait à recouvrir le siège où devait s'asseoir leur successeur. Je ne suivrai pas M. de Pastoret dans l'énumération de tous les supplices en usage chez ce peuple, dont Xénophon nous présente un si séduisant tableau : l'imagination répugne à se nourrir de ces horreurs les auges, les cendres, la mutilation, le crucifiement, l'inhumation vivante, mille autre raffinemens de cruauté qui prouvent jusqu'où peuvent aller le délire de la tyrannie et l'avilissement des nations. Je me contenterai de remarquer que la loi punissait de mort les attentats à la pudeur et le crime de fausse monnaie. Il y a lieu de s'étonner et de s'affliger qu'un châtiment aussi disproportionné ait été si anciennement et si universellement appliqué pour ce dernier délit.

Voilà une analyse bien incomplète sans doute du bel ouvrage de M. de Pastoret; mais il n'est point facile d'analyser un livre tellement rempli de faits et de choses qu'il n'est lui-même qu'une magnifique analyse de la partie la plus épineuse peutêtre et la plus obscure de l'histoire des peuples anciens. Le lecteurs'étonnera, comme moi, qu'on ait pu traiter une matière aussi sérieuse, je dirai presque aussi aride, avec un style remarquable par son élégance autant que par son extrême pureté.

M. de Pastoret a prouvé en cela que sa place est également bien marquée, en sa double qualité d'érudit profond et d'écrivain habile, à l'Académie des Inscriptions et à l'Académie française.

Alexandre LE NOBLE.

PRINCIPES D'ORGANISATION INDUSTRIELLE, par J. J. FAZY (1).

Un auteur, animé de bonnes intentions, et possédant assez bien les doctrines de l'économie politique moderne, dans un ouvrage publié depuis peu, en même tems qu'il convient des progrès apparens de l'instruction générale et de la prospérité publique, se plaint amèrement du peu de fruit réel que les classes productives de la société recueillent de ces progrès. Cette remarque est juste, et mérite attention. Tandis que l'administration se vante des accroissemens de notre population, il résulte des documens recueillis dans toute l'Europe par M. JACOB (2) que depuis la paix générale la France est de tous les États du continent celui dont la population a fait proportionnellement le moins de progrès, et que c'est celui où l'on se plaint le plus généralement des souffrances de l'agriculture, des arts et du commerce. C'est un fait à la connaissance de tout le monde que, malgré les places nombreuses dans l'ordre militaire et l'ordre civil que distribue tous les ans la faveur, les jeunes gens, à mesure qu'ils parviennent à l'âge d'embrasser une profession, ne réussissent pas, sans les plus grandes difficultés, à utiliser leur bonne volonté et leurs talens. L'Angleterre a diminué ses dépenses annuelles de plus de deux cent millions; elle a remboursé une bonne partie de

(1) Paris, 1850; Malher et Cie. In-8o de 204 pages; prix, 6 fr. (2) Envoyé par le Comité d'enquête d'Angleterre pour constater la production et le prix des blés sur le continent.

T. XLVI. JUIN 1850.

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sa dette; et nous, en même tems que notre territoire s'est trouvé considérablement diminué, nous avons augmenté la somme de nos contributions, et triplé notre dette.

Il est certain qu'au fond de tout cela il se trouve un vice, une maladie sociale que tout bon citoyen doit s'efforcer de guérir. Ce vice eșt-il dans la nature invincible des choses ? est-il dans nos institutions? Par quels moyens peuvent-elles être réformées ? On ne saurait nier que ces questions ne soient d'un haut intérêt; mais on ne saurait prétendre à les résoudre, si l'on ne joint à une grande expérience un jugement solide et une parfaite connaissance de l'économie politique.

C'est bien aussi' sur cette science (qui n'est autre qu'une expérience raisonnée ) que l'auteur du livre que nous annonçons prétend s'appuyer, lorsqu'il signale les causes et le remède du mal qui nous tourmente. On ne peut lui refuser l'intelligence des bons principes; mais en possède-t-il l'ensemble et la liaison? Beaucoup de ses assertions sont incontestables; mais le sont-elles toutes? Il se fonde sur de grandes vérités; mais n'invoque-t-il pas aussi de grandes erreurs ? Lorsqu'il se plaint des entraves que nous imposent nos lois fiscales, nos monopoles, notre administration de la justice et notre administration civile, il a malheureusement trop raison; mais, quand il veut que ce soient des administrations délibérantes qui apprécient les facultés des hommes et la valeur des choses (p. 145), certes il est coupable d'un grand outrage envers l'économie politique. Nulle valeur intrinsèque ne peut résulter que du degré de satisfaction attaché à l'usage des divers produits; et le seul moyen d'apprécier cette satisfaction est le prix, librement consenti, que les consommateurs mettent à chacun de ces produits. Les facultés des hommes, comme leurs capitaux, sont une partie de leurs propriétés, et c'est y porter de graves atteintes que de vouloir les faire apprécier par des administrations, quelque spontanées, quelque libres qu'elles soient. Si on les apprécie au-dessous de leur valeur, au-dessous du prix courant, on fait tort au propriétaire; si on les apprécie audessus, on favorise la dilapidation des capitaux, on fait tort

à la production, car on favorise la destruction, soit aux dépens de celui qui a cru produire, soit aux dépens de ceux qui vien

ment à son secours.

M. Fazy s'est emparé d'un principe dont la démonstration, quoique des plus importantes, n'est pas très-ancienne, et dont il n'a nulle part cité l'origine (1); c'est qu'en réalité on n'achette des produits qu'avec d'autres produits, et par conséquent que c'est la production qui favorise la production; et il en tire une conséquence exagérée et fausse. Il affirme que la production n'a point de bornes, non plus que les richesses; et que, si l'on ne produit pas indéfiniment, c'est uniquement par la faute de notre organisation sociale. Il oublie ce qui constitue la production. Pour qu'une marchandise mérite d'être appelée un produit, il ne suffit pas qu'elle soit le fruit de l'industrie, il faut encore que sa valeur échangeable égale ses frais de production. Si, en consommant une valeur égale à 10 fr. de matières premières, de main-d'œuvre, etc., vous ne parvenez à créer qu'un objet dont il soit impossible d'obtenir au delà de 9 fr., ou toute autre valeur équivalente à 9 fr., vous ne créez pas de la valeur, vous en détruisez, puisqu'il y avait auparavant dans le monde une valeur de 10 fr. que vous avez changée en une valeur de 9 fr.

L'auteur, en posant en fait que la production n'a point de bornes, admet comme vérité une assertion entièrement fausse. La création d'un objet de consommation exige des sacrifices: elle exige l'emploi d'un capital, d'un travail, qui ont une valeur. Du moment que la satisfaction qui peut résulter du produit n'est pas équivalente à l'avance qu'on a faite, on ne peut plus la produire. S'il faut que je mette quatre semai nes pour créer des valeurs qui ne peuvent pourvoir à ma subsistance que pendant trois semaines, je mourrai pendant la quatrième, à moins que je ne vive de la charité publique,

(1) Voyez le Traité d'Économie politique, liv. 1, ch. 15; et le Cours com plet d'Économie politique, 3a partie, ch. 1 à 5.

c'est-à-dire, sur des valeurs réelles mais produites par d'au

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En posant en fait que la production n'a point de bornes, l'auteur avance donc un fait qui n'est pas. La production est bornée lorsque les moyens de produire arrivent au point de se trouver plus chers que les produits qui peuvent en résulter. C'est une grande erreur de croire que des associations industrielles, et des moyens de crédit, puissent soutenir la valeur d'une marchandise qui ne se vend pas, quand il n'y a pas dans cette marchandise même une qualité qui en élève le prix au niveau de ses frais de production. Tout prix forcé est un abus payé par quelqu'un.

L'auteur s'imagine que des banques de circulation qui répandent des billets ayant cours de monnaie peuvent remédier à tout; et véritablement des banques qui ne seraient pas privilégiées comme l'est la Banque de France, des banques qui pourraient venir au secours de l'industrie proprement dite, et dans lesquelles on trouverait des espèces de compagnies d'assurance qui, sans s'exposer à des pertes supérieures à leurs gains, répareraient quelquefois les malheurs imprévus, seraient fort utiles au commerce en général. Mais il ne faut pas croire que des escomptes et des billets, en supposant qu'ils jouissent de la plus haute confiance, puissent tenir lieu de capitaux. Ils ne peuvent remplacer que l'agent de la circulation, et ne peuvent conserver leur valeur que lorsque leur somme n'excède pas la somme habituellement nécessaire pour les échanges. Les escomptes sont occasionnellement très-utiles; mais il vaut encore mieux que les industriels aient assez de capitaux à eux pour n'avoir pas recours aux escomptes.

Tels sont les principes dont il nous semble qu'il n'est pas permis de s'écarter, lorsqu'on propose un plan d'Oganisation industrielle. M. Fazy nous permettra encore de lui faire observer que ces mots organisation industrielle ne présentent point d'idée nette. On n'organise pas plus l'industrie qu'on n'organise les arts et les sciences. Ces choses se forment, se

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