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Fontenelle..

Montezume.

J'en tombe d'accord. Mais je veux vous demander, fi c'étoit un Peuple poli que les Athéniens.

F. Cortez.

Comment? Ce font eux qui ont enfeigné la politeffe au refte des Hommes.

Montezume.

Et que dites-vous de la maniere dont fe fervit le tyran Pififtrate, pour rentrer dans la Citadelle d'Athénes, d'où il avoit été chaffé? N'habilla -t-il pas une Femme en Minerve? (car on dit que Minerve étoit la Déeffe qui protégeoit Athénes). Ne monta-t-il pas fur un Chariot avec cette Déeffe de fa façon, qui traversa toute la Ville avec lui, en le tenant par la main, et en criant aux Athéniens: Voici Pififtrate que je vous amene, et que je vous ordonne de recevoir; et ce Peuple fi habile et fi fpirituel, ne fe foumit-il pas à ce Tyran, pour plaire à Minerve, qui s'en étoit expliquée de fa propre bouche.

F. Cortez,

Qui vous en a tant appris fur le chapitre des Athéniens?

Montezume.

Depuis que je fuis ici, je me fuis mis à étudier 'Hiftoire, par les converfations que j'ai euës avee diferens Morts. Mais enfin, vous conviendrez que les Athéniens étoient un peu plus dupes que nous. Nous n'avions jamais vû de Navires, ni de Canons; et quand Pifistrate entreprit de les réduire fous fon obéiffance, par le moyen de la Déesse, il leur marqua affurement moins d'eftime que vous ne nous en

mar

marquates en nous fubjuguant avec votre Artille- Fontenelle.

rie.

F. Cortez.

Il n'y a point de Peuple qui ne puisse donner une fois dans un panneau groffier. On eft furpris; la multitude entraine les Gens de bon-fens. Que vous dirai-je? Il fe joint encore à cela des circonftances qu'on ne peut pas deviner, et qu'on ne remarqueroit peut-être pas, quand on les verroit,

Montezume.

Mais a-ce été par furprise que les Grecs ont crû dans tous les tems, que la fcience de l'avenir étoit contenue dans un trou foûterrain, d'où elle fortoit en exhalaifons. Et par quel artifice leur avoiton perfuadé, que, quand la Lune étoit éclipfée, ils pouvoient la faire revenir de fon évanouiffement, par un bruit effroyable? Et pourquoi n'y avoit-il qu'un petit nombre de Gens qui ofaffent fe dire à l'oreille, qu'elle étoit obfcurcie par l'ombre de la terre? Je ne dis rien des Romains, et de ces Dieux qu'ils prioient à manger dans leurs jours de réjouiffances, et de ces Poulets facrez, dont l'apétit décidoit de tout dans la Capitale du Monde. Enfin vous ne fauriez me reprocher une fottile de nos Peuples d'Amérique, que je ne vous en fourniffe une plus grande de vos Contrées, et même je m'engage à ne vous mettre en ligne de compte que des fottifes Gréques, ou Romaines.

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F. Cortez.

Avec ces fottifes-là cependant, les Grecs et les Romains ont inventé tous les Arts et toutes les Sciences, dont vous n'aviez pas la moindre idée.

Mon

Fontenelle.

Montezume.

Nous étions bien, heureux d'ignorer qu'il y eut des Sciences au monde; nous n'euffions peut-être pas eu affez de raifon pour nous empêcher d'être favans. On n'eft pas toujours capable de fuivre l'exemple de ces Grecs, qui apporterent tant de foins à fe préferver de la contagion des Sciences de leurs Voifins. Pour les Arts, l'Amérique avoit trouvé des moyens de s'en paffer, plus admirables peut-être que les Arts même de l'Europe. Il eft aifé de faire. des Hiftoires, quand on fçait écrire; mais nous ne fçavions point écrire, et nous faifions des Hiftoires. On peut faire des Ponts, quand on fait bâtir dans l'eau; mais la difficulté eft de n'y favoir point bâtir, et de faire des Ponts. Vous devez vous fouvenir que les Espagnols ont trouvé dans nos terres des Enigmes, où ils n'ont rien entendu; je veux dire, par exemple, des Pierres prodigieufes, qu'ils ne concevoient pas qu'on eut pû élever fans machines, auffi haut qu'elles étoient élévées. Que dites-vous à tout celà? Il me femble que jusqu'à préfent vous ne m'avez pas trop bien prouvé les avantages de l'Europe. fur l'Amérique.

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Ils font affez prouvez par tout ce qui peut distinguer les Peuples polis d'avec les Peuples barbares. La civilité regne parmi nous; la force et la violence ni ont point de lieu, toutes les Puiffances y font moderées par la juftice, toutes les guerres y font fondées fur des caufes légitimes; et mêmes voyez à quel point nous fommes fcrupuleux: Nous n'allames porter la guerre dans votre Pais qu'après que nous eumes examiné fort rigoureusement, s'il nous apartenoit, et décidé cette question pour nous.

Mon

Fontenelle.

Montezume.

Sans doute, c'étoit traiter des Barbares avec plus d'égard qu'ils ne méritoient; mais je croi que vous étes civils et juftes les uns avec les autres, comme vous éties fcrupuleux avec nous. Qui ôteroit à l'Europe fes formalitez, la rendroit bien femblable à l'Amérique. La civilité mefure tous vos pas, dicte toutes vos paroles, embarrasse tous vos difcours, et gêne toutes vos actions; mais elle ne va point jusqu'à vos fentimens; et toute la juftice qui devroit fe trouver dans vos defleins, ne fe trouve que dans vos pretextes.

F. Cortez.

On ne

Je ne vous garantis point les coeurs. voit les Hommes que par dehors. Un Héritier qui perd un Parent, et gagne beaucoup de bien, prend un Habit noir. Eft-il bien affligé? Non, apparement. Cependant s'il ne le prenoit pas, il blefferoit la raifon.

Montezume.

Ce n'eft

J'entens ce que vous voulez dire. pas la raifon qui gouverne parmi vous, mais du moins elle fait fa proteftation que les chofes devroient aller autrement qu'elles ne vont; que les Héritiers, par exemple, devroient regretter leurs Parens ; ils reçoivent cette proteftation, et pour luy en donner Acte, ils prennent un Habit noir. Vos formalitez ne fervent qu'à marquer un droit qu'elle a, et que vous ne faites pas, mais vous répréfentez ce que vous devriez faire.

F. Cortez.

N'eft-ce pas beaucoup? La raifon a fi peu de pouvoir chez vous, qu'elle ne peut feulement rien

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mettre

Fontenelle mettre dans vos actions, qui vous avertiffe de ce qui

y devroit être.

Montezume.

Mais vous vous fouvenez d'elle auffi inutilement, que de certains Grecs, dont on m'a parlé ici, fe fouvenoient de leur origine. Ils s'étoient établis dans la Toícane, Païs barbare felon eux, et peu-àpeu ils en avoient fi bien pris les coûtumes, qu'ils avoient oublié les leurs. Ils fentoient pourtant je ne fçai quel déplaifir d'être devenus Barbares; et tous les ans, à certain jour, ils s'affembloient. Ils lifoient en Grec leurs anciennes Loix, qu'ils ne fuivoient plus, et qu'a peine ils entendoient encore; ils pleuroient, et puis fe féparoient. Au fortir de

là, ils reprenoient gayement la maniere de vivre du Païs. Il étoit queftion chez eux des Loix Gréques, comme chez vous de la raison. Ils fçavoient que ces Loix étoient au monde, ils en faifoient mention, mais legerément, et fans fruit. Encore les regret toient-ils en quelque forte; mais pour la raifon que vous avez abandonnée, vous ne la regrettez point du tout. Vous avez pris l'habitude de la connoitre, et de la mépriser.

F. Cortez.

Du moins, quand on la connoit mieux, on eft bien plus en état de la fuivre.

Montezumè.'

Ce n'est donc que par cet endroit que nous vous cedons. Ah! que n'avions-nous des Vaiffeaux pour aller decouvrir vos Terres, et que ne nous avifions-nous de décider qu'elles nous appartenoient! Nous euffions eu autant de droit de les conquérir, que vous en eutes de conquérir les notres.

Remond

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