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tion bien agréable pour moi, et je n'y pouvois être d'aucune utilité au service du roi. Depuis que la paix a été faite, je vous ai écrit trois fois sans recevoir jamais de réponse de vous. Cette incertitude-là est cruelle: pourquoi ne pas me dire franchement les volontés du roi à mon égard? J'aurois été aussi heureux qu'il est possible, lorsqu'on n'est pas dans son pays, d'être uni à la famille de Naples et de tout devoir à des parents aussi bons; mais les circonstances empêchent-elles cette union? Ma présence seroit-elle incommode? Le traitement qu'on a bien voulu m'accorder est-il une gêne dans un moment où les finances du roi sont si cruellement obérées? Je mets le tout à ses pieds, avec la même reconnoissance : je vous supplie seulement de vouloir bien faire continuer de payer les 5,000 ducats que le roi a eu l'extrême bonté d'accorder aux officiers de ma maison. Ces gentilshommes, invariables dans leur devoir et leurs principes, ne fléchiront jamais. la tête sous le joug d'un usurpateur, et tous ont abandonné leurs fortunes pour me suivre. Je ne réclame donc rien pour moi que le passé. Je n'ai eu jusque ici d'autres ressources que la générosité du roi; mais vous savez sûrement les retards que j'ai éprouvés. Cela me met dans le plus grand embarras. N'ayant rien à moi, je regarderois comme une infamie de faire une dette.

« Je suis bien sûr que vous sentirez les raisons de mon empressement à connoître mon sort, quand vous saurez que dans un mois je n'aurai en vendant mes équipages que de quoi rejoindre mon père. »

La réponse de M. d'Acton n'arriva point', et Mgr le duc de Berry partit pour l'Angleterre.

CHAPITRE II.

M LE DUC DE BERRY EN ÉCOSSE.

Ce fut dans cette île que se réfugièrent tour à tour, à quelques années d'intervalle les uns des autres, les princes de la maison de France poursuivis par la fortune. Mgr le prince de Condé erra quelque temps en Allemagne. Comme la gloire ne se peut cacher, il trouvoit difficilement un asile le généreux duc de Brunswick, son ancien adversaire, ainsi que celui des maréchaux de Broglie et de Castries,

1. M. le chevalier de Vernègues parvint dans la suite à faire connoître la vérité au roi, et obtint sur l'arriéré de la pension une somme de 80,000 ducats.

lui offrit une retraite; mais l'illustre rejeton de la maison d'Este devoit être brisé lui-même par ce fléau qui brisoit tous les royaumes et toutes les renommées. Mgr le prince de Condé, passant enfin en Angleterre, y rejoignit Mgr le duc de Bourbon, son fils.

Louis XVIII avoit été forcé de sortir de Saxe en 1798, par ordre de ce Directoire qui se déchargeoit sur l'Europe du mépris dont il étoit accablé en France. « Le roi, écrivoit alors Mgr le duc de Berry, va encore courir de pays en pays chercher un asile qu'on lui refusera partout. Mon frère le suivra. » Le roi se retira à Mittau: Pierre le Grand vint en France apprendre au pied de la statue de Richelieu à commencer un empire; l'adversité, le premier des maîtres, conduisit Louis XVIII dans les États russes, pour lui apprendre à relever un empire qui finissoit. Paul Ier se souvint d'avoir été voyageur dans notre patrie, et il accueillit l'hôte illustre que notre patrie lui envoyoit. Mais l'usurpateur vint à son tour dicter des lois. Obligé de quitter Mittau avec MADAME, le roi ne trouva d'asile assuré qu'au sein de ces mers sur lesquelles toute puissance a été refusée à Buonaparte, et qui devoient commettre à la garde de ce génie des tempêtes leurs orages et leurs abîmes.

Le pays qu'habita d'abord Mgr le duc de Berry auprès de son père étoit uni à la France par d'anciens liens d'hospitalité. Les Écossois avoient fourni une garde à nos rois et servi puissamment dans leurs revers Charles VII et Henri IV. Montross, qui donnoit au cardinal de Retz l'idée de certains héros que l'on ne voit plus que dans les Vies de Plutarque', représentoit à Msr le duc de Berry les généreux François immolés à la cause de leur roi. Il retrouvoit encore le souvenir de ces hommes fidèles dans celui des officiers qui s'attachèrent à la fortune de Jacques II.

«Leurs aventures furent dignes des beaux jours de Sparte et d'Athènes. Ils étoient tous d'une naissance honorable, attachés à leurs chefs et affectionnés les uns aux autres, irréprochables en tout... Ils se formèrent en une compagnie de soldats au service de France... Ils furent passés en revue par le roi à Saint-Germain-en-Laye; le roi salua le corps par une inclination et le chapeau bas. Il revint, s'inclina de nouveau, et fondit en larmes. Ils se mirent à genoux, baissèrent la tête contre terre; puis, se relevant tous à la fois, ils lui firent le salut militaire. Ils furent envoyés de là aux frontières d'Espagne, ce qui formoit une marche de 900 milles. Partout où ils passoient ils tiroient les larmes des yeux des femmes, obtenoient le respect de quelques

1. Mémoires du cardinal de Retz, liv. III.

hommes, et en faisoient rire d'autres par la moquerie qui s'attache au malheur. Ils étoient toujours les premiers dans une bataille, et les derniers dans la retraite... Ils manquèrent souvent des choses les plus nécessaires à la vie; cependant on ne les entendit jamais se plaindre, excepté des souffrances de celui qu'ils regardoient comme leur souverain'. » Qui ne croiroit lire une page de l'histoire des émigrés françois !

Mgr le duc de Berry habitoit près d'Édimbourg, avec son père, le château de Marie Stuart, la première veuve d'un roi de France qui porta sa tête sur l'échafaud, et qui regrettoit en mourant de n'avoir pas la tête tranchée avec une épée à la françoise 2. Il aimoit à répéter sous les vieilles voûtes du château la ballade où l'infortunée princesse faisoit ses adieux au plaisant pays de France:

Adieu, plaisant pays de France,
O ma patrie

La plus chérie,

Qui as nourri ma jeune enfance!

Adieu, France, adieu nos beaux jours!
La nef qui déjoint nos amours

N'a eu de moi que la moitié.

Une part te reste : elle est tienne;

Je la fie à ton amitié,,

Pour que de l'autre il te souvienne.

Lorsque MONSIEUR vint demeurer à Londres, Mgr le duc de Berry l'y suivit, et sa vie changea encore comme sa fortune.

CHAPITRE III.

MGR LE DUC DE BERRY ARRIVE A LONDRES.

SES FOIBLESSES. ADMIRABLE DÉCLARATION DU ROI ET DES PRINCES DE LA MAISON DE FRANCE.

Un prince qui ne règne plus, un banni sans patrie, un soldat qui ne fait plus la guerre, est le plus indépendant des hommes : il arrive souvent qu'il cherche dans les affections du cœur de quoi remplir le vide de ses journées. Il seroit inutile de taire ce que la mort chrétienne et héroïque du prince a révélé. Le duc de Berry faillit comme

1. DALRYM., Mémoires de la Grande-Bretagne.

2. Rech. de Pasquier.

François Ier et Bayard, Henri IV et Crillon, Louis XIV et Turenne : le roi Jean vint reprendre en Angleterre des fers qu'il préféroit à la liberté. Il y a deux espèces de fautes qui, toutes graves qu'elles doivent être aux yeux de la religion, sont traitées avec indulgence dans la patrie d'Agnès et de Gabrielle. En condamnant trop sévèrement dans ses rois les foiblesses de l'amour et le penchant à la gloire, la France craindroit de se condamner elle-même.

Mgr le duc de Berry eut une de ces joies si pures que produit l'honneur, en donnant (avec tous les princes de la famille royale qui se trouvoient en Angleterre) son adhésion à la note du roi, en réponse à la proposition que lui fit faire Buonaparte de renoncer au trône de France moyennant des indemnités : cette note est un des plus beaux documents de notre histoire. Tandis que de puissants monarques étoient forcés d'abandonner leurs trônes au conquérant, un roi de France proscrit refusoit le sien à l'usurpateur qui l'occupoit le sénat romain ne fit pas acte de propriété plus magnanime en vendant le champ où campoit Annibal.

Varsovie, 22 février 1803.

« Je ne confonds pas M. Buonaparte avec ceux qui l'ont précédé; j'estime sa valeur, ses talents militaires; je lui sais gré de plusieurs actes d'administration, car le bien que l'on fera à mon peuple me sera toujours cher. Mais il se trompe s'il croit m'engager à transiger sur mes droits loin de là, il les établiroit lui-même, s'ils pouvoient être litigieux, par la démarche qu'il fait en ce moment.

« J'ignore quels sont les desseins de Dieu sur ma race et sur moi; mais je connois les obligations qu'il m'a imposées par le rang où il lui a plu de me faire naître. Chrétien, je remplirai ces obligations jusqu'à mon dernier soupir; fils de saint Louis, je saurai à son exemple me respecter jusque dans les fers; successeur de François I, je veux du moins pouvoir dire comme lui : Nous avons tout perdu, fors l'honneur.

Et au bas :

« Signé LOUIS. »

<«< Avec la permission du roi mon oncle, j'adhère de cœur et d'âme au contenu de cette note.

« Signé LOUIS-ANTOINE. »

Mer le duc d'Angoulême résidoit alors auprès du roi à Varsovie. MONSIEUR, Mgr le duc de Berry, Ms le duc d'Orléans et les deux princes ses frères alors vivants, Mgr le prince de Condé, Mgr le duc de Bourbon, tous exilés dans la Grande-Bretagne, envoyèrent au roi l'adhésion suivante :

« Pénétrés des mêmes sentiments dont S. M. Louis XVIII, roi de France et de Navarre, notre seigneur et roi, se montre si glorieusement animé dans sa noble réponse à la proposition qui lui a été faite de renoncer au trône de France, et d'exiger de tous les princes de la maison de Bourbon une renonciation à leurs imprescriptibles droits de succession à ce même tròne,

<< DÉCLARONS

«Que notre attachement à nos devoirs et notre honneur ne pourront jamais nous permettre de transiger sur nos principes et sur nos droits, et que nous adhérons de cœur et d'âme à la réponse de notre roi ;

« Qu'à son illustre exemple, nous ne nous prêterons jamais à la moindre démarche qui pût avilir la maison de Bourbon et lui faire manquer à ce qu'elle se doit à elle-même, à ses ancêtres, à ses descendants;

Et que si l'injuste emploi d'une force majeure parvenoit (ce qu'à Dieu ne plaise!) à placer de fait, et jamais de droit, sur le trône de France tout autre que notre roi légitime, nous suivrons avec autant de confiance que de fidélité la voix de l'honneur, qui nous prescrit d'en appeler jusqu'à notre dernier soupir à Dieu, aux François et à notre épée. »

Mer le duc d'Enghien envoya de son côté, au roi, son adhésion particulière :

<< SIRE,

« La lettre du 5 mars, dont Votre Majesté a daigné m'honorer, m'est exactement parvenue. Votre Majesté connoît trop bien le sang qui coule dans mes veines pour avoir pu conserver un instant de doute sur le sens de la réponse qu'elle me demande. Je suis François, SIRE, et François resté fidèle à son Dieu, à son roi et à ses serments d'honneur: bien d'autres m'envieront peut-être un jour ce triple avantage. Que Votre Majesté daigne donc me permettre de joindre ma signature à celle de Mar le duc d'Angoulême, adhérant comme lui de cœur et d'âme au contenu de la note de mon roi.

« Signé LOUIS-ANTOINE-HENRI DE BOURBON. >>

Ettenheim, ce 22 mars 1803.

Quels sentiments! quelle signature! et quelle date! Lorsqu'on lit à cette époque l'histoire des deux France, ancienne et nouvelle, qui existoient en même temps, on ne sait de laquelle on doit être plus fier : les succès héroïques sont pour la France nouvelle, les malheurs héroïques pour l'ancienne; nos princes avoient tout emporté des grandeurs de notre patrie, ils n'y avoient laissé que la victoire.

« EelmineJätka »