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Lorfque le roi eft obligé de faire un emprunt, il aliène à la ville de Turin une des branches de l'impôt; alors elle fe charge de trouver la fomme nécessaire, d'en payer les intérêts & les acquitte exactement, jusqu'à ce que le capital soit amorti. L'état fe ménage ainsi un crédit qui le met à même de pourvoir aux dépenfes qu'une guerre, ou d'autres malheurs imprévus peuvent exiger.

Ce qui prouve incontestablement la confiance que l'on a dans l'administration des finances de l'état, c'est le cours du papier-monnoie dont la valeur s'est toujours foutenue à un taux égal à celui de l'or & de l'argent; cependant il n'a ni ce gage immenfe, ni cette hypothèque inébranlable, qui forment la base du nôtre, mais aussi la haine de la prospérité publique ne confpire pas contre le premier; elle n'emploie pas toutes fes reflources pour le difcréditer & l'arrêter dans fon cours.

Une des plus pefantes charges du roi de Sardaigne, & qui abforbe près de la moitié de fon revenu, c'est son état militaire. S'il n'a point de projets de conquête, qu'a-t-il befoin de cinq régimens étrangers, qui joints aux neuf d'infanterie nationale, forment environ dix-huit mille hommes dont il faut folder l'inutile courage? Outre cette infanterie trop nombreuse en tems de paix, le roi entretient huit régimens de cavalerie.

Cette puiffance militaire eft encore fortifiée de

12 régimens de troupes provinciales, d'une légion de 1800 hommes, qu'on appelle la légion des campemens, & d'un corps de canoniers d'en viron 1 300 hommes.

L'ambition d'être compté au nombre des fouverains qui font d'un grand poids dans la balance politique, avoit infpiré au roi de Sardaigne le deffein de lever d'autres corps de troupes, qui auroient porté fes troupes de ligne à trente mille hommes. Heureusement la réflexion l'a détourné de ce projet qui, fans ajouter à fa puiffance, n'eut été qu'onéreux à fon peuple.

Cet accroiffement de forces qui commenceroit par épuifer fes finances, ne le rendroit pas plus redoutable ni à la Suiffe, ni à la France, ni à l'Empire. S'il avoit le deffein d'ufurper les états de quelques princes d'Italie, d'étendre fon territoire au-delà des limites qui le féparent de la république de Gênes, cette ambition feroit bientôt naître une ligue qui metroit fes poffeffions en péril, & le tiendroit dans un continuel état de guerre fous lequel il ne tarderoit pas à fuccomber.

Le roi de Sardaigne n'ayant point de colonies dans l'Amérique, point de poffeffions dans l'Inde, n'a nul befoin de marine; aufli toute la fienne confiftoit-elle, il y a quelques années, en une frégate, deux corvettes & une galiate.

L'ordre de S. Maurice & de S. Lazare, auquel sont attachées des commanderies, & dont les chevaliers, plus francs dans leurs amours que ceux de Malte, peuvent fe marier, eft tenu d'entretenir trois galères contre les Turcs.

C'étoit fans doute une belle inftitution que celle de ces ordres de chevalerie, s'ils euffent toujours rempli leur honorable miffion, qui n'étoit plus de foutenir une guerre aveugle & barbare contre les infidèles, de les pourfuivre, de les exterminer, parce qu'ils étoient dans l'erreur, mais de fe montrer les protecteurs du commerce, de pu rifier les mers des oppreffeurs de l'humanité. Combien, fous ce point de vue, ces généreux défenfeurs euffent été précieux aux peuples pour lefquels ils fe feroient expofés à tant de dangers divers! Qui auroit ofé attenter à leurs propriétés, confidérées comme la récompenfe de leurs fervices, comme le dernier afyle d'un courage épuifé par les fatigues & les années ? Malheureufement la vanité, l'amour des diftinctions, l'efpoir d'une riche commanderie ont enrôlé fous ces étendards, qui étoient bien moins ceux de la religion que ceux de l'orgueil, une jeunesse plus jalouse de se parer du figne de fon ordre, que d'en faire renaître

les antiques vertus.

Lorfqu'on eft venu à difcuter leurs priviléges, on n'en a plus trouvé la caufe; on a vu-beaucoup

de chevaliers & très-peu de chevalerie, de gran des récompenfes, & de foibles fervices. La voix de l'humanité s'eft à peine fait entendre en faveur de ceux qui s'étoient chargés de la protéger fur les & de l'arracher de l'esclavage.

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Cependant, voyons fi au lieu de retrancher la branche de l'un de ces ordres, menacée de ne plus fleurir fur le fol de la France, il ne feroit pas poffible de la faire reverdir fous l'influence de notre conftitution (1).

Nous ne devons pas nous le diffimuler, il importe à notre commerce du Levant de ne pas rompre, toute relation avec Malte. Les matelots qui fortent de cette ifle font les plus braves, les plus intrépidest navigateurs de la méditerranée. Si nous leur devenons étrangers, non feulement ils feront perdus pour nous, mais nos ennemis s'en fortifieront en tems de guerre, & nous oppoferont leur vengeance. Nous avons, dira-t-on, des traités avec les puiffances barbarefques; peut-on fe repofer fur la foi de ces peuples, dont la première loi eft de s'enrichir? Avec quelle affurance n'infesteront-ils pas nos parages, lorfqu'ils n'auront plus à craindre ce pavillon qui fond fur eux comme l'aigle fur le vautour? Il faudra donc charger le commerce d'une

(1) L'assemblée nationale n'avoit pas encore rendu le décret relatif aux chevaliers de Malte, lorfque ce difcours a été prononcé,

dépense onéreuse, en lui imposant la néceffité de faire fans cesse escorter ses navires.

D'un autre côté, comment concilier l'égalité que nous avons étendue fur toutes les classes de citoyens, avec cette exclufion prononcée contre les afpirans, qui ne produiront pas à l'orgueil chevalerefque deux files d'aïeux ennoblis au moins depuis un fiècle? Un moyen d'applanir cet obstacle se présente à ma pensée; c'eft de relever en un instant aux yeux de l'Europe toute la nation, de faire revivre fon origine guerrière, de déclarer que tout françois eft homme d'armes, & conféquemment noble de race, tant qu'on ne prouvera pas qu'il aura reçu le jour d'une famille étrangère, qu'il a dérogé dans l'état de fervitude, ou qu'un jugement flétrissant, en lui faisant perdre le titre de citoyen, l'a dépouillé de fa portion dans la fouveraineté nationale.

Cette loi folemnelle de l'état fera notifiée à l'ordre de Malte, & il lui fera en conféquence déclaré, que tout françois qui fe présentera pour lui être agrégé, ne fera plus tenu que de juftifier de fon origine; qu'il lui fera même défendu de fournir d'autres preuves; qu'il ne portera fur le territoire de France la décoration de la chevalerie qu'après avoir fait fes caravanes, & obtenu des villes maritimes l'atteftation honorable de Les fervices; que de ce moment il acquerrera des

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