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greffiers des tribunaux correctionnels et des cours d'assises étaient tenus de consigner, sur un répertoire alphabétique, les noms, prénoms, àge, profession et lieu de résidence des individus condamnés à un emprisonnement correctionnel ou à une peine plus forte.

Copie des condamnations prononcées était transmise, tous les trois mois, au ministère de la justice et de la police, pour constituer, dans chacun d'eux, un registre général. Ces sommiers judiciaires étaient uniquement à la disposition des magistrats, qui les consultaient pour s'éclairer sur les antécédents des individus poursuivis. Mais cette centralisation même devait paralyser l'institution et empêcher qu'elle pût rendre des services sérieux. Ses inconvénients ne sont en effet que trop évidents. Le double dépôt des notices de condamnations au ministère de la justice et à celui de la police générale, prescrit par les articles 690 et suivants du code d'instruction criminelle, ne satisfaisait pas au but en vue duquel il avait été établi. L'accumulation des registres rendait difficiles les recherches et ne permettait pas d'avoir avec certitude des renseignements complets sur les antécédents des individus appelés à comparaître devant les tribunaux. Un instrument plus pratique et plus exact, pour constater légalement et avec précision la situation judiciaire de chacun, était devenu nécessaire.

A un autre point de vue, le bon recrutement des fonctionnaires, l'introduction du suffrage universel, l'augmentation du nombre des citoyens appelés à participer à l'action de la justice et à faire partie du jury criminel, exigeaient que l'on pût prévenir l'admission aux emplois publics, l'inscription sur les listes électorales et sur celles du jury de personnes indignes. Pour remédier à ces inconvénients et faciliter les recherches, on a supprimé la centralisation prescrite par le code d'instruction criminelle. On a réparti entre tous les arrondissements les feuilles de renseignements recueillis au ministère de la justice. C'est au greffe du tribunal de l'arrondissement que se trouve le casier judiciaire de tous les individus qui y sont nés. On n'a conservé le casier central au ministère que pour les étrangers et les personnes nées hors de France. Telle est l'idée fondamentale qui a été mise en pratique par la circulaire du 6 novembre 1850.

L'utilité du casier judiciaire, l'excellence de son fonctionnement pour les nécessités de la justice et de la police, comme pour les besoins de l'État, ne sont plus à démontrer. Les circulaires ministérielles des 6 novembre 1850 (casier d'arrondissement) et 30 août 1855 (casier central), en prescrivant la réunion des renseignements judiciaires an greffe du tribunal de l'arrondissement du lieu de naissance, ou au ministère de la justice pour les individus nés hors de France ou dont le lieu de naissance est inconnu, ont multiplié les centres d'informations, rendu les recherches plus faciles et donné à leurs résultats un caractère de précision et de certitude qui leur manquait jusqu'alors. Avec les tendances actuelles de la législation pénale à faire une part de plus en plus large à la moralité ou à l'immoralité de l'agent, les avantages

de l'institution du casier judiciaire apparaissent encore plus sensibles. Le code de 1810 s'attachait plus spécialement à la matérialité de l'acte; de nos lois nouvelles, on voit aujourd'hui se dégager la distinction des coupables en trois catégories: le délinquant primaire à qui la loi du 14 août 1885 rend la libération conditionnelle et la réhabilitation plus facilement accessible, et à qui la loi du 26 mars 1891 permet d'accorder le sursis à l'exécution de la peine; le récidiviste simple dont la situation est réglée par les articles 56, 57 et 58 du code pénal, modifiés par la loi du 26 mars 1891, et le malfaiteur d'habitude que la loi du 27 mai 1885 frappe de la relégation. De là un intérêt plus grand à faciliter au juge la connaissance très exacte de la biographie judiciaire des prévenus.

A côté de ces avantages, le casier judiciaire, tel qu'il était pratiqué, présentait certains inconvénients, à cause de la divulgation des antécédents judiciaires des condamnés. Si les renseignements concentrés jadis dans les registres transmis à l'administration centrale, n'étant destinés qu'à faciliter l'œuvre de la justice et de la police, ne devaient être consultés que par l'État, on n'avait pas tardé à penser que l'état judiciaire de chacun, constitué à côté de son état civil, devait participer de la même publicité que celui-ci, et on avait décidé que ses avantages devaient être utilisés « non seulement au point de vue judiciaire et au point de vue politique, mais encore au point de vue des simples relations des citoyens entre eux, de façon que toute personne intéressée à connaître les antécédents judiciaires d'un tiers pût le suivre dans sa carrière en remontant jusqu'à sa naissance ». (Circulaire du 6 novembre 1859, § 2.) Le casier avait été dès lors institué comme une sorte de dépôt public où les particuliers pouvaient venir se renseigner légalement sur le passé judiciaire de quiconque, sous la seule réserve de justifier d'un intérêt à prendre connaissance des indications que contenait le casier. Sur simple demande motivée, on recevait un relevé (bulletin n° 2) des divers bulletins no 1 de condamnation d'une personne déterminée.

D'une telle facilité de communication, qui risquait de mettre entre les mains de gens malintentionnés des armes de chantage et de diffamation, résultèrent des abus graves on y voulut porter remède en décidant (circulaires des 14 août et 6 décembre 1876) que désormais le bulletin n° 2 ne serait plus délivré aux tiers, mais seulement à celui qu'il concernerait.

Telle était la pratique suivie jusqu'à ces derniers temps : malgré la restriction établie en 1876, elle a soulevé encore des objections qui se sont particulièrement traduites dans la discussion au Sénat de la loi sur l'atténuation et l'aggravation des peines, et dont la principale est la suivante :

La communication du casier judiciaire, a-t-on dit, n'est limitée qu'en apparence au titulaire du bulletin; en fait, elle équivaut à la divulgation aux tiers, puisque l'individu qui dépend d'autrui ne saurait invoquer une impossibilité légale pour éviter de produire son casier judiciaire.

La plupart des patrons recrutent leur personnel d'employés et d'ouvriers en ayant recours à ce mode d'information. Il en résulte trop souvent que des condamnés disposés à s'amender par le travail se voient refuser les moyens d'existence et commettent de nouveaux délits. C'est ce qui a permis de dire que le casier judiciaire est un des facteurs de la récidive.

C'est à la suite d'observations diverses sur ce point que M. Fallières, garde des sceaux, a chargé une commission extraparlementaire d'étudier cette question. La commission se mit à l'étude; mais, dans son sein, des divergences de vues se manifestèrent.

Plusieurs membres ont défendu le système de la clandestinité absolue du casier. Ils ont demandé que le casier judiciaire, créé en vue d'assurer l'action de la justice, ne fût communiqué qu'aux seuls magistrats, ainsi qu'aux administrations publiques intéressées à le connaître. Certains membres de la commission, au contraire, ont soutenu le maintien du statu quo. Enfin, une troisième opinion s'est fait jour. Elle a proposé un système intermédiaire destiné à concilier les deux ordres de considération qui se heurtent dans cette question. Pour la justice, pour les administrations publiques, on a proposé de maintenir la situation actuelle. On continuerait à leur communiquer toutes les indications portées au casier. Mais, pour les simples particuliers, le bulletin spécial à leur délivrer ne devrait pas mentionner toutes les condamnations prononcées. On proposait d'exclure de ce bulletin les condamnations légères ou celles remontant à un certain nombre d'années. A la suite de longues discussions, la commission s'est ralliée à ce dernier système.

Devant le conseil d'État, auquel le projet de loi avait été renvoyé, ces trois systèmes ont été jégalement examinés. La section de législation s'était prononcée pour la clandestinité absolue du casier. Mais, en assemblée générale, le projet qu'elle avait préparé a été repoussé et le conseil a adopté, en principe, le maintien du statu quo.

Devant la commission, le gouvernement est venu s'expliquer et il s'est rallié au projet de la commission extraparlementaire, acceptant ainsi, dans son principe, le texte dont le Sénat avait été saisi par M. Fallières, et qui a prévalu, en définitive, du moins dans ses grandes lignes, et sauf des modifications de détail. Avant de donner le texte de la loi, nous résumons ci-après les principaux arguments invoqués, de part et d'autre, en faveur des trois systèmes ci-dessus mentionnés.

Parmi

II. Système de la clandestinité absolue du casier judiciaire. les adversaires de la pratique créée par les circulaires de 1850 et 1876, il s'en est trouvé qui voulaient refuser absolument aux particuliers, même à l'intéressé direct, communication de tous renseignements contenus au casier. Pour eux, au principe de la publicité complète, c'est celui de la clandestinité absolue qui devait être substitué. Pourquoi, disaient-ils, vouloir faire jouer à l'État le rôle d'agence de renseigne

ments? D'ailleurs, il importe de se bien rendre compte des conséquences de la divulgation qui est son œuvre. La publicité, telle qu'elle est organisée, constitue sinon une peine, tout au moins une aggravation, une continuation de la peine après que le condamné a, par l'exécution de celle-ci, payé sa dette à la société, et elle ne remplit pas les conditions qui doivent être exigées des peines. Il faut remarquer aussi que cette publicité est en contradiction avec les principes de notre législation. Si le code pénal a prévu la publication des arrêts et jugements de condamnation par la voie de l'affichage ou de l'insertion dans les journaux, il ne l'a prescrite d'une façon générale que pour les peines criminelles (art. 36, code pénal). En matière correctionnelle, le principe contraire est la règle; ce n'est que dans des cas très rares et limitativement déterminés que la publication est admise, et seulement à titre facultatif pour le juge; en outre, la publicité qui en résulte n'a qu'un caractère essentiellement temporaire.

Il n'en est pas de même de la faculté de communication des renseignements contenus au casier; elle constitue une publicité permanente et continue, sans aucune distinction entre les diverses natures d'infractions ou suivant la gravité de la peine; cette publicité est encourue de plein droit, même dans des cas où ni la loi ni le juge n'ont décidé qu'il y eût lieu d'édicter ou de prononcer une publicité spéciale. Ne doit-on pas reconnaitre aussi qu'en supprimant la marque (L. 28 avril 1832), puis la surveillance de la haute police (L. 27 mai 1885), le législateur s'est prononcé contre toutes dispositions susceptibles de révéler publiquement les antécédents judiciaires des libérés, comme de nature à compromettre leur relèvement et à favoriser la récidive. On ajoute que, s'il n'est pas contestable que la publicité, telle qu'elle résulte du fonctionnement actuel du casier judiciaire, ait un caractère afflictif, elle n'est susceptible de produire aucun effet d'intimidation sur ceux au sujet de qui le casier contient déjà quelque mention; qu'ainsi elle ne prévient pas la récidive. Loin d'être réformatrice, en révélant toute condamnation de quelque nature ou de quelque gravité qu'elle soit, elle met obstacle à l'obtention d'un emploi pour le libéré et le conduit fatalement, par la misère, à retomber dans la voie du mal. Sans doute, depuis 1876, les extraits du casier judiciaire ne sont plus délivrés aux tiers, mais seulement à l'intéressé; mais si l'on a voulu ainsi réagir contre la publicité, on n'a pas atteint le résultat recherché ; le procédé seul est changé; le tiers, qui ne peut plus obtenir l'extrait directement, l'exige de quiconque s'adresse à lui pour être employé; le seul refus de produire l'extrait équivaut à l'aveu d'une condamnation; on ne peut dire que l'on est libre de ne pas publier les mentions vous concernant au casier, quand cette publication est la condition du travail et de l'existence. Ainsi les tiers reçoivent, par l'intermédiaire de l'intéressé, les renseignements légaux dont on avait voulu leur prohiber la communication. La situation antérieure n'a nullement été modifiée, et tous les dangers de l'ancien système de la publicité absolue ont survécu à la restriction, plus apparente que réelle, établie par les circulaires de 1876. Que l'État recueille

tous les renseignements concernant le passé judiciaire des individus, qu'il en organise la concentration de façon à pouvoir les consulter facilement pour les besoins et les nécessités d'ordre judiciaire, politique ou administratif, soit; mais il ne doit à personne la divulgation des renseignements ainsi réunis; il est d'autant moins tenu à les mettre à la disposition du public que la publicité, en semblable matière, favorise la récidive et compromet gravement l'œuvre de l'amendement des coupables qui intéresse, à un haut degré, la sécurité sociale et doit être le but d'une saine législation.

III. Système du statu quo, ou de la publicité restreinte. L'institution du casier judiciaire, ont dit les partisans de ce système, remonte à 1850; dès l'origine, il a paru qu'après avoir créé cet excellent instrument d'informations, l'État ne pouvait pousser l'égoïsme au point de vouloir conserver pour lui seul les indications que renferme le casier, et de refuser aux intéressés des renseignements qui peuvent leur être utiles et qu'il pourrait leur fournir si aisément. La faveur que devait rencontrer, dans le public, ce mode d'informations, était prévue dans la circulaire du 6 novembre 1850 qui l'instituait: « Combien aussi de simples particuliers ne tiendront-ils pas à recourir à cette salutaire précaution avant de conclure une affaire importante de famille ou d'argent, pour s'éviter les regrets si amers qui les menacent aujourd'hui, faute de pouvoir se renseigner légalement sur les antécédents de celui avec lequel ils contractent. » L'événement n'a-t-il pas justifié ces prévisions? En 1889, ce n'est pas moins de 163,000 extraits du casier qui ont été demandés et obtenus par des particuliers, tant en France qu'en Algérie. Et pour réagir contre une pratique de plus de quarante années aussi profondément entrée dans nos mœurs et nos habitudes, quels motifs invoque-t-on ? Existe-t-il un courant sérieux d'opinion contre la divulgation des antécédents à l'aide du casier judiciaire? Certes, des hommes de haute autorité ont pu soutenir le système de la clandestinité; mais leur voix est jusqu'ici restée isolée, et l'on n'a pu nulle part constater un mouvement profond qui seul justifierait un retour aussi complet en arrière. Les délivrances de bulletins sollicitées par les intéressés vont sans cesse augmentant en nombre (l'accroissement n'est pas moindre de 5,000 de 1888 à 1889), témoignant ainsi du prix de plus en plus grand que le public attache aux avantages de l'institution. Bien que fondé et réglementé seulement par des circulaires, le casier judiciaire a été visé par un certain nombre de lois récentes: le législateur, quand il a eu à s'en occuper dans ces dernières années, a-t-il trahi des sentiments favorables à la suppression de la publicité? C'est le contraire qui apparaît dans les textes votés: La loi du 14 août 1885 interdit de porter les condamnations effacées par la réhabilitation sur les extraits délivrés aux parties (nouvel article 633, code d'instruction criminelle); la loi du 30 octobre 1886 exige la production de l'extrait de casier judiciaire pour tout instituteur qui veut ouvrir une école privée

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