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(art. 38); la loi de finances du 26 janvier 1892 dispense du timbre les bulletins délivrés aux particuliers et fixe le droit d'enregistrement à un taux réduit (art. 5), ne montrent-elles pas que le parlement est favorable à la communication des renseignements figurant au casier? N'a-t-il pas même voulu rendre cette communication plus facile quand, en 1892, il a diminué les droits à la perception desquels elle donnait lieu ? Et si, lors de la discussion de la loi du 26 mars 1891 sur l'aggravation et l'atténuation des peines, un débat s'est institué devant le Sénat, d'où est sortie l'initiative du projet de loi, si des critiques ont été dirigées contre le fonctionnement actuel du casier judiciaire et ses dangers, le principe même de la publicité a-t-il été attaqué? L'idée de la clandestinité ressort-elle des indications fournies par la loi? Loin de là; de l'article 4, paragraphe 2, de la loi du 26 mars 1891, il résulte très expressément que, même pour la catégorie de condamnés qui peut paraître la plus intéressante, pour ceux à qui les tribunaux auront accordé la suspension de l'exécution de la peine, la condamnation continuera à figurer sur les extraits délivrés aux parties pendant toute la durée de cette suspension.

Ainsi, pas de courant dans l'opinion, pas de mouvement en ce sens dans le parlement. Quelles raisons fait-on donc valoir en faveur du caractère occulte que l'on voudrait conserver aux mentions portées au casier judiciaire? La publicité résultant de la délivrance d'extraits serait, dit-on, une peine, et une peine en contradiction avec tous les principes de notre législation. On parle de pilori, d'exposition publique, de robe de Nessus. Comment admettre, si cela était exact, qu'une telle peine ait pu subsister quarante ans, qu'il ne se soit trouvé aucun parlement pour dénoncer le vice du principe; que les chambres, ayant eu à quatre reprises à mentionner le casier dans les lois, n'aient pas prohibé une semblable pratique par un texte formel et l'aient, au contraire, consacrée tout au moins indirectement ? Il faut se garder de ces exagérations: la pratique peut être à réformer, le principe n'est pas à condamner, car il n'est nullement contraire aux règles qui commandent notre législation pénale. Cette publicité n'est pas une peine, elle n'est autre chose qu'un mode de publication, différent sans doute de ceux qui existent actuellement, et, à ce titre, ce n'étaient point peut-être de simples circulaires ministérielles qui la pouvaient établir: elle devait être réglée par la loi; c'est cette irrégularité qui sera couverte dorénavant. Comme toute publication de condamnation, l'inscription au casier constitue une aggravation de la peine et présente un caractère afflictif. On lui reproche son caractère de permanence que ne revêtent pas les autres modes de publication; l'affichage, l'insertion par extraits dans les journaux, aboutissent à une publicité de durée limitée. On oublie que les libérés ont deux moyens de mettre fin à la révélation de leurs antécédents : s'ils sont condamnés primaires, s'ils ont bénéficié du sursis à l'exécution de leur peine, leur bonne conduite seule, pendant une période de cinq ans, leur assure, sans aucune procédure, aux termes de l'article 4 de la loi du 26 mars 1891, la

radiation de la condamnation sur l'extrait; quant aux condamnés qui ont subi leur peine, fût-ce une peine criminelle, ils peuvent, trois ou cinq ans après leur libération, selon les cas, en témoignant de leur amendement, obtenir de la cour d'appel un arrêt de réhabilitation qui efface leur condamnation. Que l'on n'accuse donc point la permanence de cette publicité : chacun a en lui-même les moyens de la faire cesser, il suffit pour cela de se bien conduire; elle n'existe en fait et en droit que pour le malfaiteur endurci. La publicité, dans l'espèce, est donc, en réalité, limitée dans sa durée; elle l'est aussi dans son étendue. Du jour où, par une prescription fort sage, M. le garde des sceaux Dufaure a interdit la délivrance d'extraits aux tiers, ne permettant la communication qu'aux intéressés, la divulgation des antécédents ne peut plus être faite que par l'intéressé lui-même et, en admettant qu'il puisse s'y trouver contraint, elle ne sera faite qu'à un nombre fort restreint de personnes. Par ses caractères, ce mode de publication ne diffère donc pas essentiellement de ceux qui sont actuellement prévus par son but, il cadre aussi bien avec celui qu'a poursuivi la loi dans tous les cas où elle prescrit la publicité: mettre en garde les personnes qui auraient à traiter avec le condamné, en les avertissant de son passé judiciaire et des infractions qu'il a pu commettre à la loi pénale; dans l'espèce, le moyen sera plus efficace, ce sera un procédé de publication supérieur à ceux qui existent.

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Il est d'ailleurs inexact de dire que le fait seul de toute condamnation, quelque minime ou de quelque nature qu'elle soit, ferme toutes les portes à celui qui veut réellement et sincèrement trouver du travail. De semblables exigences peuvent être formulées par beaucoup de compagnies ou de patrons, mais il ne faut pas conclure même du plus grand nombre à la généralité. Il est assurément des industriels qui, préoccupés des questions de philanthropie, consentent à employer des libérés qui leur paraissent susceptibles d'être ramenés au bien; il est des natures de travaux pour lesquels la production du casier judiciaire n'est pas exigée, des chantiers où l'on peut trouver du travail sans que l'on s'inquiète d'un passé judiciaire de peu d'importance. Le genre d'occupation sera peut-être d'un ordre moins relevé, la recherche du travail sera peutêtre plus difficile pour le libéré que pour l'honnête ouvrier qui n'a jamais failli; n'est-ce pas justice? Et celui qui persévérera dans le bien malgré ces difficultés ne témoignera-t-il pas ainsi plus sûrement de la sincérité de ses bonnes intentions? Ces libérés repentants et de bonne volonté ne rencontreront-ils pas un appui souvent efficace dans les sociétés de patronage dont la loi du 14 août 1885 a voulu favoriser la création et le développement? Ces sociétés dont l'œuvre est si méritoire, qui sont mêlées de si près à toutes ces questions délicates d'amendement des coupables, ont-elles trouvé des difficultés insurmontables dans l'existence du casier judiciaire? Lors d'une discussion fort intéressante qui a eu lieu dans le cours des mois de mai, juin et juillet 1891 à la Société générale des prisons, des représentants autorisés de sociétés

importantes ont déclaré très fermement que, loin de les gêner dans leur action, le casier leur était très utile. Ce n'est point assurément l'avis unanime de tous ceux qui s'intéressent à ces questions de patronage; mais il est utile de noter que l'accord est loin d'être complet entre eux sur le prétendu effet funeste que produirait le casier pour le reclassement des libérés. D'ailleurs, si puissant que soit pour la société l'intérêt qui s'attache à l'amendement des coupables, il ne saurait être poursuivi par des moyens de nature à porter préjudice aux travailleurs qui n'ont jamais cessé d'être honnêtes et à la protection desquels la société est intéressée à un plus hant degré encore. Si la suppression de la publicité du casier doit avoir pour résultat de faire attribuer à un libéré un emploi qui, ses antécédents étant connus, eût été réservé à un ouvrier indemne de toute condamnation, ne sera-ce pas très injustement que l'on privera celui-ci d'une place pour l'assurer à moins honnête que lui? Pour empêcher un libéré de retomber dans le mal, ne va-t-on pas y pousser un honnête homme ?

Le système de la clandestinité est également critiquable, comme conduisant à une inconséquence. On ne peut prétendre empêcher que le patron, n'ayant plus cette source facile de renseignements qu'il puisait dans le casier, n'interpelle celui qui sollicite un emploi sur ses antécédents. Or, si l'on veut que le casier reste interdit au public, c'est que l'on entend que le passé judiciaire ne sera point révélé, c'est dire au demandeur d'emploi qu'il doit nier les condamnations qu'il a pu encourir. La clandestinité, c'est l'excitation au mensonge par la loi elle-même.

Qu'est-il besoin aussi de prohiber toute publicité, si c'est l'intérêt seul des condamnés susceptibles d'amendement que l'on poursuit? Cette préoccupation, très légitime assurément, ne saurait justifier la dissimulation des antécédents des pires malfaiteurs, de ceux qui, endurcis dans le mal, constituent un véritable danger social: la sécurité publique et la sécurité individuelle exigent que l'on soit mis en garde contre les seconds. Que l'on distingue, si l'on veut, entre les uns et les autres pour établir des règles différentes, mais, s'il faut aider les condamnés qui peuvent encore revenir au bien, ce n'est pas une raison pour faire aux malfaiteurs une situation identique à celle des honnêtes gens. Car, enfin, il faut bien voir aussi l'intérêt de ceux-ci dans la question et les services importants que leur rend l'institution du casier.

Faute de pouvoir se renseigner légalement et avec certitude sur les antécédents judiciaires, les « employeurs » pour nous servir d'une expression consacrée dans les débats auxquels a donné lieu la discussion de la loi, vont donc être exposés à introduire dans leurs ateliers, dans leurs usines, dans leurs bureaux, sous le même toit qu'eux, jusque dans leur famille peut-être, des hommes dont la présence seule pourra constituer un danger, et ils n'en seront même pas aver'is! Ils imposeront à leurs autres employés ou ouvriers honnêtes un contact qui pourra n'être pas sans graves conséquences, qui leur répugnerait, dans tous les cas, s'ils connaissaient le passé de leur nouveau camarade, et celui-ci

cependant se montrera comme eux, le front haut, jouissant d'une sorte d'honnêteté légale. Voilà tout ce que pourrait prévenir l'Etat possédant les renseignements par devers lui, et il ne le ferait pas! Il sacrifierait cet intérêt supérieur des honnêtes gens à la préoccupation de ménager les coupables.

Mais, utile à l'employeur, cette publicité ne rend pas moins de services à la grande masse des citoyens dont l'honorabilité est toujours demeurée intacte et qui y trouvent un moyen aisé de faire preuve de cette honorabilité même. Le travailleur, l'ouvrier, que n'a jamais frappé la justice de son pays et n'est-ce pas le plus grand nombre? — peut, en justifiant de l'absence de toute condamnation par la production d'un bulletin néant, se procurer du travail, et on lui retirerait cette arme pour assurer de l'occupation aux condamnés! Accusé injustement d'avoir comparu devant les tribunaux, l'honnête homme n'a qu'à s'adresser au greffe pour obtenir un certificat établissant l'injustice de l'accusation, et l'on voudrait lui refuser cette preuve que l'État détient dans ses cartons!

A un autre point de vue, la publicité du casier n'est-elle pas aussi efficace? ne constitue-t-elle pas un mode de prévention sérieux?«< Salutaire avertissement, dit la circulaire du 6 novembre 1850, pour ceux que leur conscience seule ne retiendrait pas suffisamment dans la voie du devoir.» Combien n'ont pas été arrêtés au moment de commettre un délit par la crainte de voir leur condamnation figurer au casier judiciaire!

Si l'on consulte enfin les législations étrangères, partout où, à l'instar de la France, le mode de réunion des renseignements judiciaires a été établi, on constate que l'on a admis la communication aux particuliers: aucune législation n'a fait place à l'idée de conserver aux indications du casier un caractère occulte. Ainsi, le vœu de clandestinité procède d'une exagération de sentimentalité et son application pourrait avoir des conséquences funestes.

Pour toutes ces raisons, le Conseil d'État concluait au maintien du statu quo.

IV. Système intermédiaire adopté par la loi. — Le projet de loi qui a définitivement triomphé a cherché à concilier le double intérêt et de ceux qui ont besoin d'être renseignés et des condamnés dont l'amendement ne doit pas être entravé. Il part de ce principe qu'il faut fournir au public toutes les indications qui lui sont nécessaires et qu'il ne faut restreindre les communications qu'en ce qui concerne les condamnés véritablement intéressants. Écartant d'abord un certain nombre de décisions judiciaires qui ne peuvent, en aucun cas, intéresser les tiers, la commission sénatoriale n'avait considéré comme réellement dignes de son attention que les condamnés primaires n'ayant subi qu'une peine d'un mois d'emprisonnement ou inférieure à un mois, pourvu que cette peine n'eût pas été prononcée pour un des délits impliquant une atteinte

à la probité ou à la moralité, que visent et la loi militaire et le décret de février 1852, relatif aux inscriptions sur les listes électorales, dans le paragraphe 5 de son article 15. Les condamnations uniques au-dessus du taux fixé devaient être inscrites, mais elles étaient effacées si dans un délai déterminé, sept ou quinze ans suivant qu'il s'agissait de délit ou de crime, elles n'étaient suivies d'aucune autre condamnation. Toutes ces premières condamnations, non inscrites dès le début ou ayant cessé de l'être, devaient être mentionnées de nouveau au bulletin public si, à une époque quelconque, intervenait une nouvelle décision judiciaire contre le titulaire du bulletin. Ainsi, condamnations jamais inscrites, quel qu'en soit le nombre; condamnations primaires non inscrites audessous d'un certain taux de pénalité, sauf pour certains délits exceptés; condamnations inscrites, mais pouvant cesser de l'être, et, après avoir été rayées, pouvant encore reparaître au bulletin.

Comme on peut le voir par la lecture des articles 8 et suivants de la loi, tel est aussi le principe admis par le parlement. Il est bon de noter qu'un certain nombre de membres du Sénat, bien que partisans de la communication du casier judiciaire aux seuls juges, se sont ralliés au système transactionnel de la commission en vue d'aboutir à une réforme comprenant les dispositions relatives à la cessation de l'inscription après un certain temps et à la réhabilitation de droit (V. les observations de M. Bérenger à la séance du 8 décembre 1898).

V. Exámen du système admis par la loi du 5 août 1899. Ce système a été l'objet de vives critiques qui se sont fait jour principalement devant le Conseil d'État.

Certes, a-t-on dit, il peut être ingénieux; dans tous les cas, sa complication ne saurait être niée.

Mais ce n'est pas la seule objection qu'il soulève : il se heurte à tous les inconvénients que les auteurs de la proposition, au sein de la commission extraparlementaire, reprochaient aux autres propositions transactionnelles entre la clandestinité et la publicité complètes. Comment arrêter à l'avance les renseignements dont la connaissance peut être utile aux tiers? Ce n'est ni la qualification du fait délictueux ni l'importance de la peine qui permettent de les déterminer, c'est le plus souvent la nature même de l'emploi sollicité. Une condamnation, même unique, à quelques jours de prison pour violences et voies de fait, pour infraction aux lois sur la protection de l'enfance, devrait faire obstacle à l'obtention d'un emploi de précepteur, d'instituteur, d'employé dans les manufactures où se trouvent des enfants; avec ce système, elle sera cependant dissimulée. Une condamnation, même faible, pour vol peut avoir été motivée par un entraînement résultant de la misère, du besoin, des souffrances de la famille; elle ne devrait pas s'opposer à certains emplois purement matériels dans lesquels le condamné ne sera exposé à aucune tentation, et celle-là sera révélée publiquement. Qui ne sait que souvent, sous la qualification d'outrage public à la pudeur, se pour

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