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les caisses régionales à faire des opérations avec toutes, tranche nettement la question (1).

Cependant un rapport de M. Lourties au Sénat pouvait faire croire que, dans la pensée du rapporteur, les banque locales du type de la loi du 5 novembre 1894, auraient seules ce droit, à l'exclusion des sociétés à responsabilité limitée, régies par la loi du 24 juillet 1867 et de celles. qui ont adopté le principe de la solidarité. Cette restriction eût singulièrement diminué le champ d'application de la loi et son utilité pour le développement du crédit rural. Elle émut sérieusement les représentants autorisés de l'agriculture qui portèrent leurs doléances près du rapporteur. Si, en effet, cette interprétation eût été maintenue, les sociétés locales si intéressantes des deux premiers types ci-dessus signalés n'auraient pu participer aux bienfaits de la loi qu'en se transformant et en mettant leurs statuts en accord complet avec la loi de 1894.

Cette transformation est chose possible. Cependant les sociétés locales en question répugnaient profondément à se soumettre à toutes les dispositions de la loi du 5 novembre 1894. Il en est une qui soulève en effet, les plus justes critiques :

L'article 6 édicte des poursuites correctionnelles contre les administrateurs pour toute violation des statuts, même sans gravité, comme peut l'être, par exemple, une irrégularité dans la tenue des livres ou dans leur vérification. Rien de semblable n'existe dans le droit commun applicable aux sociétés commerciales, et on ne comprend pas que le législateur de 1894 ait usé d'une telle sévérité à l'égard du type nouveau de société qu'il instituait.

Ce malentendu a été heureusement dissipé. Dans la séance du Sénat du 17 mars 1899, sur un amendement proposé par MM. Lecour-Grandmaison et Halgan à l'article 2, le président de la commission a fait la déclaration suivante : « La commission s'est réunie aujourd'hui; elle a entendu M. le ministre de l'agriculture, ainsi que l'auteur de l'amendement, et, après une discussion approfondie, nous nous sommes tous mis d'accord sur ce point, que la rédaction du premier paragraphe de l'article 2 devait être maintenue, étant bien entendu que par ces mots : <«<les sociétés locales de crédit agricole de leur circonscription, on devait comprendre non seulement les sociétés de crédit agricole mutuel qui ont été fondées sous l'empire de la loi de 1894, mais également celles qui avaient été établies sous l'empire de la loi de 1867 ».

La circulaire de M. Dupuy, ministre de l'agriculture, aux préfets, sur l'application de la loi n'est pas moins formelle. Elle s'exprime ainsi : « toute société, qu'elle soit régie par la loi de 1867 ou par la loi de 1894,

(1) L'exposé des motifs du projet de loi primitif déposé par M. Méline disait déjà les banques régionales s'appuieront sur les banques locales, sur celles qui ont été organisées en vertu de la loi du 6 novembre 1894, et sur toute autre banque locale de crédit agricole, qui serait fondée dans les conditions du droit commun, à condition toutefois qu'elle soit mutue le.

peut coopérer à la constitution d'une caisse régionale de crédit agricole mutuel. La seule condition imposée est qu'elle soit mutuelle et exclusivement agricole. »

Modifications du projet primitif par la commission.

La commission de la Chambre fit subir au projet primitif du gouvernement d'utiles modifications :

1o Dans ce projet, les caisses régionales pouvaient dans le chef-lien de leur circonscription faire des prêts directs aux agriculteurs. Elles jouaient dans cette localité, le rôle de caisse locale et avaient ainsi un caractère double qui prêtait à quelque confusion. La commission de la Chambre sépara nettement les opérations des deux sociétés, réservant d'une manière absolue aux sociétes locales les opérations de prêts aux particuliers. Les caisses régionales ont, au contraire, pour clientes exclusives les caisses locales. Celles-ci n'ont plus à redouter la concurrence des premières, vis-à-vis de leur clientèle d'emprunteurs. Leur création en sera rendue plus facile.

2o Aux termes du projet ministériel, les sociétés locales étaient membres de droit des caisses régionales. Elles auraient pu, par conséquent, participer aux délibérations des assemblées générales de la caisse régionale de leur circonscription, même sans avoir souscrit aucune part du capital social de cette caisse. Cette disposition a été remplacée par celle qui réserve les deux cinquièmes des parts de la caisse régionale aux caisses locales de la circonscription (art. 5). Les sociétés locales qui ont pris une part dans le capital de la caisse régionale peuvent seules participer à son administration; la caisse régionale n'aura plus de membres de droit, mais seulement des membres volontaires ayant souscrit une partie de son capital. Vu son caractère de caisse mutuelle, elle ne pourra faire d'affaires qu'avec ces sociétés.

3o Le projet du gouvernement faisait une distinction entre l'avance de 40 millions faite au Trésor par la Banque de France et la redevance annuelle de 2 millions que la Banque doit payer jusqu'en 1920.

Les 40 millions étaient attribués aux caisses régionales. Mais l'avance annuelle était réservée aux sociétés locales. La commission de la Chambre attribue l'une et l'autre de ces ressources aux caisses régionales seules qui en font la répartition entre les caisse locales de leur circonscription.

Les caisses locales ne recevront directement aucune somme l'Etat, el devront passer par l'intermédiaire des caises régionales. L'organisation créée par la loi devient ainsi plus régulière et plus harmonieuse.

Dans ce projet primitif, la création des caisses régionales, vu leur caractère d'institutions privilégiées et subventionnées, était soumise à des conditions sévères. Elles devaient êtres autorisées par décret du Conseil d'État et leur statuts approuvés dans la même forme. Le Consei! d'État recevait délégation de poser les règles nécessaires pour l'application de la loi. Cet appareil imposant eût sans aucun doute singuli

rement entravé la création des caisses régionales et rendu la loi inefficace.

La loi laisse au contraire une grande liberté aux caisses régionales pour la rédaction de leurs statuts, se référant seulement aux dispositions de la loi de 1894 et elle a supprimé la nécessité de l'examen préalable et de l'approbation de ces statuts par l'autorité administrative.

Discussion devant le parlement. Le texte de loi, proposé par la commission de la Chambre des députés, d'accord avec le gouvernement, a été adopté par les deux chambres sans aucune modification. Il n'y a même eu aucune discussion devant la Chambre des députés.

Au Sénat, le projet rencontra un adversaire convaincu, M. MillièsLacroix. Il combattit la création obligatoire des caisses régionales, disant qu'aucune d'elles n'existait encore, qu'elles étaient une conception toute artificielle du législateur et qu'avant que les caisses locales soient assez développées pour en établir de leur propre initiative, il était préférable de répartir directement à celles-ci les fonds de la Banque de France. Des capitalistes ne manqueront par de fonler des caisses régionales pour obtenir de l'État sans intérêts un subside égal au capital fourni et de se procurer ainsi de belles rentes avec facilité. Les caisses locales de crédit mutuel ne sont encore qu'au nombre de 83 réparties dans 34 départements. Ce sont elles qu'il faut développer tout d'abord. Sans les caisses locales, les caisses régionales sont un rouage inutile. M. Milliès-Lacroix critiqua aussi la gratuité du prêt fait par l'État. C'est une erreur économique de supposer que le crédit peut être gratuit et qu'il peut être fourni par l'État dans ces conditions. C'est allumer toutes les convoitises. L'honorable député eût voulu qu'un intérêt minime inférieur de 1 % au taux d'escompte de la Banque de France fut demandé aux caisses de crédit. C'est ce que demandaient aussi les syndicats agricoles et le congrès du crédit populaire et agricole tenu à Angoulême en novembre 1898.

M. Lourties, rapporteur, et M. Viger, ministre de l'agriculture, défendirent les caisses régionales, repoussant la répartition directe par l'État des fonds de la Banque à laquelle aboutissait la proposition de M. Milliès-Lacroix. Cette répartition serait pleine de danger et deviendrait une œuvre purement politique. Il faut décentraliser le crédit agricole et l'organiser par l'association mutuelle libre. La caisse régionale est indispensable au réescompte du papier agricole. C'est elle qui fournira la troisième signature, nécessaire pour que les effets de la petite société locale de crédit puissent être escomptés à la Banque de France. Aujourd'hui, cette troisième signature ne peut être obtenue que par la complaisance d'un banquier qui s'intéresse aux opérations de la caisse locale et qui veut les faciliter. La caisse régionale est une caisse de réescompte, qui évitera à l'emprunteur les commissions successives du renouvellement qu'il doit payer aujourd'hui et permet aux caisses locales de placer leur papier à longue échéance.

Bienfaits de la loi. En résumé, les bienfaits de la loi nouvelle peuvent être définis en ces termes :

1° Elle encourage puissamment l'organisation du crédit agricole en France, en mettant à sa disposition les redevances considérables versées par la Banque de France;

2o Elle poursuit ce but en stimulant et fécondant l'initiative privée à qui il appartient de créer les caisses régionales et locales, qui recevront ces redevances à titre de prêt gratuit ;

3o Elle fait appel au principe fécond de la mutualité; car les caisses régionales et locales, qui ont adopté ce principe, participent seules à ses faveurs ;

4o Elle favorise enfin l'institution des syndicats agricoles car les caisses régionales devront être constituées par la totalité ou par une partie des membres d'un ou de plusieurs syndicats agricoles, conformément à loi du 5 novembre 1894.

Art. 1er. L'avance de 40 millions de francs et la redevance annuelle à verser au Trésor par la Banque de France, en vertu de la convention du 31 octobre 1896, approuvée par la loi du 17 novembre 1897, sont mises à la disposition du gouvernement pour ètre attribuées à titre d'avances sans intérêts aux caisses régionales de crédit agricole mutuel, qui seront constituées d'après les dispositions de la loi du 5 novembre 1894.

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Art. 2. Les caisses régionales ont pour but de faciliter les opérations concernant l'industrie agricole effectuées par les membres des sociétés locales de crédit agricole mutuel de leur circonscription et garanties par ces sociétés.

A cet effet, elles escomptent les effets souscrits par les membres des sociétés locales et endossés par ces sociétés.

Elles peuvent faire à ces sociétés les avances nécessaires pour la constitution de leur fonds de roulement.

Toutes autres opérations leur sont interdites (1).

-

Art. 3. Le montant des avances faites aux caisses régionales ne pourra excéder le montant du capital versé en espèces (2).

(1) Dans son projet, M. Méline indiquait qu'en outre de l'escompte des effets agricoles, les caisses régionales pourraient faire d'autres opérations, telles que les avances sur produits agricoles, et la création de magasins généraux qui seraient à la fois des centres d'approvisionnement et de débit. Le dernier paragraphe de l'article 2 qui ne figurait pas dans le projet Méline, leur interdit la création des magasins généraux. Mais les caisses locales, peuvent faire l'escompte des warrants agricoles institués par la loi du 18 juillet 1898, et ce papier, revêtu de la signature des banques locales, pourra être escompté à son tour par les caisses régionales, aux termes du paragraphe 2 de notre article.

(2) Il eût été préférable de proportionner les avances au montant du capital

Les avances ne pourront être faites pour une durée de plus de cinq ans. Elles pourront être renouvelées.

Elles deviendront immédiatement remboursables en cas de violation des statuts ou de modification à ces statuts qui diminueraient les garanties de remboursement.

Art. 4.

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La répartition des avances sera faite par le ministre de l'agriculture sur l'avis d'une commission spéciale nommée par décret, qui sera ainsi composée (1):

Le ministre de l'agriculture, président;

Deux sénateurs ;

Trois députés;

Un membre du Conseil d'Etat ;

Un membre de la Cour des comptes;

Le gouverneur de la Banque de France ou son délégué;

Deux fonctionnaires du ministère des finances;

Trois fonctionnaires du ministère de l'agriculture;

Six représentants des sociétés de crédit agricole mutuel régionales ou locales, choisis parmi les membres de ces sociétés;

Trois membres du conseil supérieur de l'agriculture.
Art. 5.

Un décret, rendu sur l'avis de la commission, fixera les moyens de contrôle et de surveillance à exercer sur les caisses régionales.

souscrit et non du capital versé. On comprend que l'État, exige des caisses régionales un certain capital pour assurer le service de leur fonctionnement el garantir le remboursement des avances qu'il leur fait. Mais un capital vers trop considérable peut être un embarras pour une société naissante. Un capital souscrit et non versé est une réserve qui sauvegarderait davantage les droits de l'État, car il ne pourrait être dissipé comme un capital versé. Les souscripteurs de parts agricoles sont des souscripteurs sérieux, et leur solvabilité est d'autant plus assurée que leur souscription est étrangère à toute idée de spéculation. Le capital souscrit, qui dans les affaires financières est quelquefois d'un recouvrement difficile, ne présenterait pas les mêmes risques dans une caisse locale de crédit agricole.

L'avance faite à une caisse régionale pourra être inférieure à son capital versé. La commission de répartition aura la faculté pour fixer le chiffre de ces avances de tenir compte de l'importance des opérations de la caisse. Ces avances pourront être échelonnées sur plusieurs années.

(1) Le projet du gouvernement chargeait le Conseil d'État de statuer par un règlement d'administration publique sur les conditions et les bases de l'attribution des avances, ainsi que sur leur durée et sur les délais et le mode de leur remboursement. La commission de la Chambre y substitua la présente commission, composée d'agriculteurs et d'hommes spéciaux au nombre de 23, qui lui ont paru plus compétents pour ce travail que les membres du Conseil d'État. Elle n'a que voix consultative et le ministre décide sur son avis. C'est un organe indispensable au fonctionnement de la loi et son rôle est capital. Elle aura notamment à apprécier si les caisses régionales qui sollicitent le prêt gratuit des fonds de la Banque de France ne sont pas formées dans un but de spéculation, et si elles sont constituées uniquement dans l'intérêt de l'agriculture.

« EelmineJätka »