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torité toute entière soit abandonnée à une seule

personne.

Toutes les formes de gouvernement, j'entends les formes simples du mélange desquelles se composent les formes mixtes, se réduisent donc à lạ démocratie ou l'empire du peuple, à l'aristocratie ou l'empire des nobles (optimates), à la monarchie ou l'empire d'un seul. Cunctas nationes et, urbes dit Tacite, populus, aut primores, aut singuli regunt.

Chacune de ces trois formes est susceptible de modifications, dont quelques-unes les différencient essentiellement. La démocratie, où le peuple tout entier s'assemble pour délibérer et gouverner immédiatement, comine dans les ancieunes républiques de la Grèce et dans les comices de Rome, n'est pas la même que celle où il ne gouverne que que par les représentans qu'il a nommés. L'aristocratie de Venise, où les nobles n'avaient d'autorité que comme membres du sénat ou des conseils assemblés, différait de l'aristocratie polonaise, qui donnait aux nobles une autorité individuelle qu'ils exerçaient même hors de la diète. Enfin la monarchie tempérée, où un seul gouverne selon des lois fixes et reconnues ne doit pas être confondue avec le despotisme, où un seul gouverne sans autre loi que sa volonté.

Montesquieu, et la plupart des publicistes di

visent les gouvernemens en despotisme, monarchie et république. Cette division me semble peu exacte. D'une part, le despotisme n'est que l'abus et la corruption de la monarchie; de l'autre, la démocratie et l'aristocratie n'ont rien de commun, et ne doivent pas être comprises sous une même dénomination. Si l'on veut parler avec justesse et précision, il n'y a que les démocraties qui puissent s'appeler républiques.

De ces trois formes de gouvernement, quelle est la plus parfaite? Question insensée, répond le célèbre Pope, le meilleur gouvernement est celui qui est le mieux administré.

For forms of governement le fools contest:

What'er is best administer'd, is best. (1)

Mais la question revient, et l'on demandera quelle est la forme de gouvernement qui se prête plus aisément à une bonne administration.

Tous les gouvernemens ont leurs avantages, leurs inconvéniens propres. La paix et la liberté sont les deux grands biens que les hommes ont prétendu s'assurer, en se donnant des lois et un gouvernement. Mais il n'est pas facile de concilier ces deux intérêts. La démocratie ne conserve la liberté des individus, qu'aux dépens de la tran

(1.) Que les sots se disputent sur les formes de gouvernemens: Celu qui est le mieux administré est le meilleur.

quillité publique ; la monarchie est plus favorable à la paix intérieure qu'à la liberté. L'aristocratie maintient la paix ou la liberté, selon qu'elle est héréditaire ou élective, c'est-à-dire, selon qu'elle se rapproche de la monarchie ou de la démocratie. . Dans les institutions humaines, la perfection absolue est une chimère. Les gonvernemens ne sont susceptibles que d'une perfection relative. Il ne faut pas demander quel est le gouvernement le plus parfait; mais quel est celui qui convient mieux au climat, au caractère, aux mœurs, aux habitudes, aux préjugés d'une nation. J'ai donné aux Athéniens, disait Solon, non les meilleures lois possibles, mais les meilleures qu'ils pussent recevoir.

Plus un gouvernement est ancien, plus en général il approche de la perfection. Car on doit penser qu'il n'a subsisté si long-tems, que par ce qu'il a trouvé ou rendu le caractère de la nation conforme à ses principes. «Non par opinion, mais en vérité, » dit le bon et judicieux Montaigne, l'excellente >> et meilleure police est à chacune nation celle sous » laquelle elle s'est maintenue. Sa forme et com»modité essentielle dépendent de l'usage.... ès af>>faires publiques, il n'est aucun si mauvais train, » pourvu qu'il ait de l'àge et de la consistance, » qui ne vaille mieux que le changement et le

>> remuement. >>

Un autre moyen d'apprécier les gouvernemens,

Il n'en existe point dans le despotisme et dans la démocratie pure, parce que le despote et le peuple ne voient rien au-dessus d'eux, et ne peuvent se croire liés aujourd'hui par la volonté qu'ils ont eue hier. Dans un état ordonné, la constitution est la loi du souverain, comme du simple citoyen: il y est soumis, parce que ce n'est pas lui qui l'a faite, et qu'il ne peut la violer, comme dit l'illustre Fénélon, sans violer son titre fondamental. Mais comment le despote et le peuple souverain seraientils soumis à une constitution qui est leur ouvrage, et qu'ils sont en droit de changer toutes les fois qu'il leur en prend envie?

Un principe, ou plutôt une erreur manifeste des publicistes de la révolution, c'est qu'il ne peut y avoir de constitution dans une monarchie. De sa nature, le gouvernement monarchique n'est pas moins compatible que les gouvernemens mixtes ou républicains avec une constitution qui prévienne les abus du pouvoir arbitraire. Le Conseil ou le Sénat d'une république peut exercer un pouvoir illimité, comme le monarque peut ne jouir que d'une autorité circonscrite par la loi. L'histoire moderne nous montre en Europe des aristocraties despotiques et des monarchies tempérées.

Les publicistes révolutionnaires ont encore prétendu que la France n'avait pas une constitution, et c'est peut-être de tous leurs paradoxes celui qui a trouvé le plus de faveur auprès des étrangers.

Le pire des Etats, c'est l'Etat populaire (1). Burlamaqui a très-bien défini ce gouvernement, en disant qu'il n'a rien de bon, que la liberté qu'il laisse au peuple d'en choisir un meilleur.

La sûreté personnelle, la liberté, le droit de propriété n'existent et ne peuvent se maintenir que sous les gouvernemens modérés. Mais que faut-il entendre par un gouvernement modéré?

Les gouvernemens modérés, quelle que soit leur forme et leur dénomination, sont ceux où les sujets n'ont à souffrir ni des excès d'une entière liberté, ni de la gène d'une entière servitude: nec totam servitutem, nec totam libertatem. (2) Ce sont les gouvernemens où l'on reconnaît une constitution, c'est-à-dire des lois fondamentales qui fixent, restreignent et dirigent l'exercice du pouvoir souverain. Dans tout gouvernement, où nul citoyen ne peut être privé de ses biens, de sa liberté, de la vie, que par un jugement public rendu conformé ment à des lois, et selon des formes reçues; dans tout gouvernement, où il est permis d'appeler de la volonté arbitraire du souverain á sa volonté légale, il existe une constitution plus ou moins parfaite, selon que la propriété, la liberté, la sûreté des citoyens, et la tranquillité publique sont plus ou moins assurées.

( 1 ) Cinna

(2) Tacite.

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