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davantage de vivre sous celui qui laisse à tous la liberté de tout faire.

Dans l'esprit du sage, l'idée de la liberté se joint toujours à celle de la soumission; mais dans l'esprit du vulgaire, ce nom ne réveille jamais que les idées de l'indépendance et de l'impunité. C'est un mot de ralliement pour tous ceux qui portent impatiemment le joug des lois; et dans une nation, où les mœurs et les opinions sont également corrompues, toutes les classes de la société, celles même à qui l'ordre public assure des avantages distingués, renferment une foule de mécontens qui se laissent prendre à cet appât usé, les uns par ignorance, par imbécillité , par séduction; les autres par ambition, et dans la coupable espérance de partager les débris de l'autorité légitime.

C'était donc de la part des prétendus législateurs de la France, un attentat manifeste contre l'ordre public, que de se proclamer les restaurateurs de la liberté. Dès-lors, il était évident, et la suite n'a que trop prouvé que cette liberté dont ils flattaient la multitude n'était que la subversion de toutes les lois, et de toutes les autorités. S'ils n'eussent voulu qu'assurer la liberté légitime, et la défendre des atteintes du pouvoir arbitraire, il n'eut pas été besoin d'invoquer la populace pour une réforme que le Roi se montrait plus jaloux d'accorder, que la

nation ne paraissait empressée de l'obtenir. Les vœux et les justes doléances de la nation étaient consignés dans les cahiers des trois ordres. En leur imprimant le sceau de la loi, le Roi eut affermi la liberté publique, sans ébranler l'autorité souveraine, et la France eut eté sauvée par les seuls principes de sa constitution.

Mais ce n'est ni le salut de la patrie, ni la réforme des abus que veulent un Catilina, un Jean de Leyde, un Mazanielle, un Mirabeau. Le cri de la liberté, dans leur bouche, est un appel à la révolte, et la révolte un moyen d'établir leur propre domination. Ut imperium evertant, libertatem proferunt : si everterint ipsam aggredientur. (1)

Revenons aux vraies notions de la liberté; et pour ne pas tomber dans les erreurs qui naissent de l'abus des termes, distinguons trois sortes de liberté : la liberté naturelle, la liberté civile, et la liberté politique.

J'appelle liberté naturelle, le droit de faire tout ce qui n'est défendu ni par la raison, ni par la religion. Liberté civile, le droit de faire tout ce qui n'est pas interdit par les lois de l'Etat.

Liberté politique, le droit de concourir à la formation de la loi civile, soit immédiatement par

(1) Tacite.

voie de suffrage, soit médiatement par la nomination des législateurs.

Or, il est évident que la liberté naturelle ne peut subsister avec l'état de société, puisque les sociétés civiles n'ont été instituées que pour prévenir et réprimer les désordres qu'entraînerait l'abus infaillible de la liberté naturelle. Il semble d'abord, qu'en sortant de l'état de nature pour passer dans l'état de société, on a perdu quelque chose de sa liberté: mais pour peu que l'on réfléchisse, on voit que chaque individu gagne plus à la limitation de la liberté des autres, qu'il ne perd par la diminution de la sienne. La liberté naturelle est un droit de commune sur un vaste désert: la liberté civile est la jouissance paisible et exclusive d'un champ cultivé et enclos.

Il est également certain que tout citoyen a droit à la liberté civile, c'est-à-dire qu'il ne doit être soumis à d'autres lois qu'à celles qui sont établies et reconnues dans la société dont il est membre. Dans toute société constituée, il ne peut exister d'autre autorité que celle de la loi : tout usage arbitraire du pouvoir, est un acte illégal: le souverain lui-même est soumis à des lois et à des formes dont la violation emporte nullité.

Si dans des cas extraordinaires, le bien publio demande que le souverain se mette au-dessus des

formes reçues, cette interruption d'une loi particulière est justifiée par la loi générale qui lui confie tout le pouvoir nécessaire pour le salut de l'Etat. C'est ainsi que, sans blesser la liberté civile, le Sénat de Rome ordonnait aux consuls de veiller à ce que la république n'essuyât aucun dommage, ne quid detrimenti respublica caperet, et qu'en Angleterre le Parlement, suspend la loi d'habeas corpus, qui néanmoins, dans la constitution britannique, est le plus ferme rempart de la liberté civile. Je dirais la même chose de nos Lettres de Cachet, si les ministres de Louis XV ne les avaient pas scandaleusement prodiguées, et souvent pour des intérêts bien étrangers à ceux de l'Etat.

J'observerai encore qu'il faut distinguer la liberté personnelle ou individuelle, de la liberté civile (1). Un coupable ou un accusé, que l'on emprisonne en observant toutes les formes juridiques, perd sa liberté personnelle, et non sa liberté civile. C'est ce qu'on a voulu exprimer, en gravant le mot liberté sur la porte des prisons d'une république d'Italie.

Puisqu'il ne peut y avoir de difficulté, rela

(1) La liberté individuelle est garantie. Personne ne peut être poursuivi ni arrêté que dans les cas prévus par la loi, et dans la forme qu'elle prescrit. Art. 4 de la Charte. (Note de l'éditeur.)

tivement à la liberté naturelle et à la liberté civile, la question se réduit à savoir si, par un droit naturel à l'homme, et en vertu du pacte social, tout citoyen, sous un gouvernement légitime, peut prétendre à la liberté politique.

Tout le systême de la révolution française porte sur ce principe, emprunté du Contrat social de Rousseau, que la liberté politique, telle que je l'ai définie, est pour tous les hommes un droit naturel, inaliénable, imprescriptible; qu'il n'est point de milieu entre la condition d'esclave et l'état de citoyen; et que l'on ne peut se dire citoyen, si l'on n'est pas membre du souverain, et si l'on n'a pas en cette qualité, une part active à la législation. C'est en conséquence de ce principe, qu'il est dit dans la déclaration des droits, article VI, << que la loi est l'expression de la volonté générale, >> et que tous les citoyens ont droit de concourir » personnellement, ou par leurs réprésentans à >> sa formation. >>

Pour sentir l'exagération et la fausseté de cette doctrine, il suffit de considérer l'extrême différence qui se trouve entre l'esclave qui n'a ni propriété, ni volonté, et le sujet qui, n'obéissant qu'aux lois, conserve sous leur autorité la faculté de disposer de ses actions et de ses biens. Il est vrai que liberté de celui-ci est limitée par une volonté

la

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