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étrangère; mais c'est par une volonté publique, générale, invariable, qui ne gêne la liberté du sujet en quelques points, que pour assurer à l'époux, au père de famille, au propriétaire, au mercénaire même, l'usage paisible de tous leurs droits naturels et civils; par une volonté conforme, non-seulement à l'intérêt public, mais encore à l'intérêt particulier bien entendu; par une volonté que tous les hommes vertueux et amis de l'ordre s'empressent de ratifier, et qui, dès-lors, n'est plus à leur égard une volonté étrangère.

C'est une question parmi les publicistes, de savoir si le droit d'esclavage est contraire à la nature. Peut-être ne faudrait-il, pour se trouver d'accord, que distinguer le droit en lui-même, de l'abus inhumain qu'en ont fait dans tous les tems l'ambition, la volupté et la cupidité. Du moins, il me semble difficile de ne pas convenir que dans certaines circonstances, un homme, c'est-à-dire son travail, peut devenir la propriété d'un autre homme, ou par son propre choix pour assurer sa subsistance, ou en punition de quelque crime. On ne niera pas non plus qu'il ne soit au pouvoir d'un citoyen de renoncer en tout, ou en partie, aux droits que lui donne la liberté civile, pour se réduire à l'état de domesticité. Pourquoi donc prétendrait-on qu'il est contraire à la nature de re

noncer à la liberté politique, en conservant la liberté civile dans toute son étendue? Dans tous les états qui ont une constitution, la loi civile laisse un champ assez vaste à l'exercice de nos facultés. Parce qu'on n'est pas législateur, il ne faut pas se croire esclave; entre ces deux extrêmes, il existe un intervalle immense.

Mais qu'est-il besoin de raisonner contre un principe que la démocratie est forcée d'abjurer? Si la liberté politique est un droit naturel, inaliénable, imprescriptible, pourquoi les femmes n'en jouissent-elles pas ? La nature aurait-elle condamné à l'esclavage et déshérité la moitié de l'espèce humaine? Pourquoi même dans la constitution française, ce droit est-il refusé à tous ceux qui ne payent pas à l'Etat une contribution équivalente au salaire d'un certain nombre de journées de travail (1)? Des législateurs qui se vantent de rétablir l'égalité naturelle, devaient-ils aggraver le malheur de l'indigence, en la dépouillant d'un droit que la nature, selon eux, accorde à tous les hommes?

La liberté ne consiste pas à pouvoir agir par caprice et sans raison. Or ce que la raison prescrirait à l'homme sage et maître de ses passions,

(1) Pour être électeur, il faut payer une contribution de 300 fr. au moins, et avoir 30 ans. Art. 40 de la Charte. (Note de l'éditeur. į

la loi, qui est la raison écrite, le prescrit à tous. Pour le méchant, pour l'insensé, la loi est une chaîne accablante: pour l'homme raisonnable et vertueux, c'est une lisière qui le guide et le soutient. Il ne se croit jamais plus libre, que lorsqu'il obéit à la loi, parce qu'alors il ne donne rien aux passions. La liberté civile suffit à ses besoins et à ses désirs, parce que la loi ne lui interdit que ce qu'il s'interdirait lui même.

Si la liberté politique est le vœu de quelques ambitieux qui se croient nés pour commander, la plus nombreuse partie du genre humain consent à se laisser gouverner, et ne demande que des maîtres: justes. Pauci libertatem, pars magna justos dominos volunt (1). La liberté civile remplit l'objet que les hommes ont dû se proposer en s'unissant en société, et l'expérience des tems anciens et modernes prouve que les états les plus heureux, et par conséquent les mieux constitués, sont ceux où le peuple jouit de la liberté civile, sans prétendre à la liberté poli tique.

Quel est, en effet, le but des sociétés politiques, sinon de garantir à tous la sûreté, la propriété et l'exercice légitime des facultés naturelles ? Les sociétés n'ont pas été instituées pour qu'il existât

(1) Salluste.

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une autorité, une force publique, une constitution. Ce sont là les moyens, mais non la fin et le but de l'ordre social. Il est nécessaire que tous soient protégés; mais il ne l'est pas que tous gouvernent, et celui qui obéit n'a point à se plaindre de la société, s'il obtient sûreté pour sa personne et pour ses biens. Or il est certain, non-seulement que l'on peut atteindre le but de l'association civile, sans que tous les membres de la société partagent le pouvoir législatif, mais, qu'en général, la tranquillité publique n'est jamais plus assurée, que dans les états où la multitude ne sait qu'obéir.

Tout ce qu'il y a jamais eu de gouvernemens sur la terre, les républiques même qui portaient jusqu'au fanatisme l'amour de la liberté, concentraient le pouvoir législatif et soumettaient la multitude au petit nombre. Athènes, Sparte, Syracuse, Rome, Carthage, comptaient sur leur territoire infiniment plus d'esclaves que de citoyens. Dans le dénombrement fait à Athènes, sous Démétrius de Phalère; il se trouva au rapport d'Athénée, 21000 citoyens, 10000 étrangers et 400000 esclaves. La disproportion était encore plus grande à Rome, où tous. les métiers étaient exercés par des esclaves, et où il nétait pas rare de voir des particuliers qui en avaient cinq à six cents à leur service. Ces anciens gouvernemens, lors même qu'ils prenaient le nom

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de démocraties, n'étaient dans le fait, que des aristocraties oppressives, où la liberté civile du grand nombre était immolée à la liberté politique, c'est-àdire au luxe et à la tyrannie de ce petit nombre qui s'appelait le peuple.

Dans nos monarchies modernes, tant calomniées par les philosophes, la dignité de l'homme est plus respectée. On n'y connaît point l'odieuse distinction de citoyens et d'esclaves; tous y jouissent de la liberté civile, et si la liberté politique en est exclue, ce désavantage apparent tourne au profit du bonheur public et de la véritable liberté. La Grèce, au jugement de Polybe, était plus heureuse et plus florissante sous l'empire des Romains, qu'elle ne l'avait été lorsqu'elle se gouvernait elle-même. Tite-Live remarque que les villes sujettes à Eumène, roi de Pergame, n'auraient pas voulu changer de condition avec celles d'aucune république..

Le seul gouvernement, où la liberté politique puisse avoir lieu dans toute son étendue, c'est la démocratie pure, qui admet tous les habitans d'un pays à partager également l'autorité souveraine et le droit de législation. Mais ce gouvernement, le plus parfait, le seul légitime dans les principes de Rousseau, de l'aveu de Rousseau lui-même, ne convient pas à des hommes, et répugne à l'ordre naturel. « A prendre le terme dans la rigueur de l'ac

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