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législation de son pays. Ce n'est, au fond, qu'une question de mot. Dans la langue des Grecs et des Romains, qui n'avaient pas l'idée de la monarchie, ainsi que l'observe très-bien Montesquieu, parce qu'ils ne la distinguaient pas du despotisme, le nom de citoyen était reservé aux républiques (1). Dans notre usage, il s'applique aux monarchies, pour désigner non-seulement les vertus civiles, mais encore des droits politiques qui n'appartiennent ni au voyageur, ni à l'étranger domicilié, mais non naturalisé, ni à ceux qu'une sentence en dernier ressort a retranchés du corps de la société. Rousseau se moque avec quelque raison d'un écrivain qui, dans une réponse au citoyen de Genève, s'intitulait citoyen de Toulouse. Nos villes n'étaient pas des cités proprement dites: elle faisaient partie de la cité qui comprenait la France toute entière. Les

(1) Ils employaient le terme servi pour désigner les sujets d'un roi. L'auteur du contrat social a abusé de cette expression pour confondre l'esclavage avec la soumission à un roì. Grotius après Aristote a dit qu'il y a des peuples qui aiment mieux être gouvernés que de se gouverner eux-mêmes; et il cite notamment les Capadociens à qui les Romains offraient la liberté politique, et qui préférèrent continuer de vivre sous un roi, prétendant qu'ils ne seraient pas heureux en se gouvernant euxmêmes, et parce qu'il se sert des mots: ad servitutem aptos, J. J. prétend qu'Aristote prenait l'effet pour la cause. Sa remarque pourrait convenir à l'esclavage, mais elle ne convient point à l'état de la question. Les sujets ne sont point des esclaves ; et de la soumission à un roi légitime ; à l'état de servitude, la distance est immense.

Parisiens étaient bourgeois et non citoyens de Paris: Mais tout Français pouvait se dire citoyen de la France. Car tout Etat constitué forme une cité; et tout membre de la cité est citoyen. Ce sont les Français républicains qui n'ont pas compris la signification du titre de citoyens, puisqu'ils le donnent aux femmes, et à la classe indigente du peuple qu'ils ont exclue de leurs assemblées politiques.

Concluons, en reconnaissant que la vraie liberté consiste dans la soumission aux lois, que les souverains en sont les gardiens et les défenseurs, et qu'elle disparaît du moment que le peuple ose se croire au-dessus des lois et du souverain. Le desir effréné de la liberté conduit toujours à la servitude: Avidè ruendo ad libertatem, in servitutem delapsos. (Tite-Live.)

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Vers la fin du 14. siècle, un certain Jean Ball disciple de Wiclef, souleva en Angleterre les paysans contre le clergé, la noblesse et les magistrats. Il prêchait l'égalité, et prenait pour le texte de ses déclamations séditieuses le proverbe anglais : quand Adam bechait et qu'Eve filait, où étaient les nobles? Avec la même doctrine, les Anabaptistes, au seizième siècle, embrasèrent une partie de l'Allemagne. Du tems de Cromwel, le fanatisme de l'égalité enfanta la secte des Levellers ou des Niveleurs. Tels ont été les préludes, et comme les premiers essais de la révolution française.

Selon le premier article de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, « les hommes >> naissent et demeurent égaux en droits; les dis»tinctions sociales ne peuvent être fondées que » sur l'utilité commune. » Et dans l'art. 6. « La loi » doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, >> soit qu'elle punisse. Tous les citoyens étant égaux » à ses yeux, sont également admissibles à toutes » dignités, places et emplois publics, selon leur

» capacité, et sans autre distinction que celle de >> leurs vertus et de leurs talens. »

Est-ce de l'homme vivant en société, est-ce de l'homme considéré dans l'état de nature qu'ont voulu parler les rédacteurs de la déclaration lorsqu'ils ont dit que les hommes naissent et demeurent égaux en droit? Ou plutôt, n'ont-ils pas affecté cette expression vague et indéterminée, si indigne, je ne dis pas d'une assemblée de législateurs, mais d'un philosophe, afin de laisser à la populace, dont ils voulaient faire l'instrument de la révolution, le droit de donner à cette maxine équivoque toute l'étendue que demandaient leurs projets destructeurs? Pour nous qui, ne cherchant que le vrai, avons besoin de mettre de l'ordre et de la précision dans nos idées, nous distinguerons, comme nous avons fait en parlant de la liberté, l'égalité naturelle, l'égalité civile et l'égalité politique.

L'égalité naturelle suppose que tous les hommes, dans l'état de nature, auraient et pourraient exercer les mêmes droits.

L'égalité civile demande que tous les membres d'un même état soient également soumis à la loi

commune.

L'égalité politique consiste en ce que tous les membres de l'état aient un droit égal à l'administration de la chose publique, sans autres distinction que celle des vertus et des talens.

Or je dis premièrement, que si l'égalité naturelle existe dans le droit, elle ne peut subsister dans le fait.

Secondement, que l'égalité politique n'est pas compatible avec l'ordre social, sur-tout dans un grand empire.

Troisièmement, que l'égalité civile est la seule que le citoyen soit en droit de réclamer.

L'état de nature est essentiellement un état de liberté et d'égalité; et c'est parce que le genre humain ne saurait se conserver avec cette liberté et cette égalité parfaite, que l'état de nature a fait place à l'état social.

Dans l'état de nature l'égalité existe de droit, mais tout concourt à la détruire. Car, si d'un côté, tous les hommes sont égaux, en ce sens, qu'ils ont une même nature, une même origine, une même fin; d'un autre côté il sont extrêmement inégaux. en force, en lumières, en vertu; et l'on voit assez que l'égalité métaphysique qui résulte de l'identité de nature, ne tardera pas à disparaître devant l'inégalité réelle que produit nécessairement la différence des qualités physiques, intellectuelles et morales. « Il n'y a dans la nature, dit un » écrivain non suspect aux amis de la révolution, » qu'une égalité de droit, et jamais une égalité de » fait. Les sauvages même ne sont pas égaux dès » qu'ils sont rassemblés en hordes: ils ne le sont

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