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tefois, il faut bien qu'un seul prenne l'initiative lorsqu'il s'agira de remplir le devoir commun, de suggérer l'arbitrage.

On peut donc partir de l'idée de M. Holls, qui semble très acceptable; mais il s'agit de la compléter utilement par l'institution d'un mécanisme qui mettra l'alliance neutre en mouvement. Ce mécanisme pourrait consister dans l'institution d'une sorte de présidence, d'une action directrice, qui, chaque année, se déplacerait et serait transportée à un nouvel Etat compris dans l'Alliance. A cet égard les Etats pourraient se succéder d'après l'ordre alphabétique.

En ce cas, le rappel aux Etats en conflit que la Cour permanente d'arbitrage leur est ouverte, se ferait grâce à une note collective, envoyée par l'Etat directeur au nom de l'Alliance. Cette note devrait être rédigée d'avance dans une forme convenue une fois pour toutes, comme la lettre du secrétaire général du Bureau de La Haye, dans la proposition de M. d'Estournelles. La rédaction antérieure et toujours identique serait nécessaire afin que le mécanisme pût agir le plus rapidement possible. A cet égard, on peut parfaitement adopter, avec les modifications nécessaires, le modèle même qui fut présenté par le délégué français, à la séance du comité d'examen de la troisième commission, en ces termes : « Monsieur le Ministre, -Les puissances signataires de l'Acte général de La Haye s'étant expressément engagées à ne rien négliger pour favoriser la solution pacifique des conflits qui menaceraient d'éclater entre deux ou plusieurs d'entre elles, et ces puissances ayant donné mandat à l'Alliance des neutres de rappeler, le moment venu, cet engagement aux parties intéressées, j'ai l'honneur de vous faire savoir que je me tiens à votre disposition pour consigner la Cour permanente d'arbitrage... » (1).

L'adhésion à l'Alliance dont nous venons de parler, que l'on pourrait qualifier de pacigérante par opposition tout indiquée au terme de belligérance, serait ouverte à tout Etat souverain qui adopterait des statuts communs aux Etats déjà alliés. On considérerait cette Alliance comme constituée dès que les Etats fondateurs en nombre suffisant auraient notifié leur intention aux autres par voie diplomatique. Les statuts des Etats entrés

(1) Procès-verbaux précités, IV, 167.

dans l'Alliance devraient être envoyés aux autres Etats avec une invitation à y adhérer. Nous n'avons pas à entrer dans le détail des points divers qui devraient être visés dans les statuts. Disons cependant qu'il serait souhaitable d'y rencontrer ceux qui figurent déjà dans les conventions de La Haye. Ainsi les statuts déclareraient, par exemple, que les Etats de l'Alliance conclueront entre eux des traitéspermanents d'arbitrage, soit généraux soit particuliers, en vue de rendre le règlement par voie pacifique obligatoire dans tous les cas où ils le jugeraient possible (conf. l'art. 19 de la convention précitée de La Haye).

Les Etats de l'Alliance, qui le jugeraient convenable et possible d'après leur situation internationale, pourraient encore conclure entre eux des traités permanents de neutralité collective qu'ils joindraient aux traités d'arbitrage. En tout cas, il serait indispensable qu'ils se missent d'accord sur les principes à suivre lorsqu'il s'agirait de maintenir les droits et de remplir les devoirs, découlant de leur situation nouvelle, principes qui serviraient de base à une codification future, non seulement dans leurs rapports respectifs, mais en outre vis-à-vis de tous les Etats en général dont l'intérêt évident consiste à définir d'une manière très nette les lois jusqu'ici incertaines de la neutralité. L'histoire du droit maritime nous donne un bel exemple de ces formations qui s'opèrent lentement mais sûrement comme s'édifient les récifs de corail dans les profondeurs des mers. C'est ainsi, par exemple, que les six alliances de neutralité des trois petits Etats scandinaves depuis 1691 jusqu'à la guerre de Crimée - ont contribué efficacement à jeter les bases fondamentales du droit maritime actuel contenues dans la déclaration de Paris du 16 avril 1856 (1).

III

En somme, comme nous venons de le préciser, autorisée par les Etats faisant partie de l'Alliance, la puissance directrice au

(1) Voir mon étude intitulée : Le système scandinave de neutralité pendant la guerre de Crimée et son origine historique dans la Revue d'histoire diplomatique, 1900, p. 259-288.

REVUE DU DROIT PUBLIC. T. XV.

moment du conflit ou de l'éventualité du conflit enverrait une note collective pour rappeler aux Etats litigants que la Cour permanente d'arbitrage leur est ouverte.

II serait parfois difficile de juger du moment le plus opportun pour cet envoi qui ne devrait être effectué ni trop tôt ni trop tard. Et c'est pour ce motif qu'on a été amené à se demander quelquefois si, dans certains cas, l'offre des bons offices ou de la médiation, de la part de l'un des Etats de l'Alliance, ne serait pas préférable à la proposition d'arbitrage.

Pour apprécier assez sûrement le procédé le meilleur à suivre, on devra faire soigneusement d'avance, dans chaque hypothèse, un examen impartial et consciencieux, des questions de fait d'où pourrait jaillir un conflit international. L'Alliance ne pourra pas, en ce cas, se servir des « commissions internationales d'enquêtes », instituées par les articles 7 à 14 de la convention de la Haye pour le règlement pacifique des conflits internationaux. En effet, ces commissions ne peuvent être instituées, suivant le texte précité, que par « les parties qui n'auraient pu se mettre d'accord par les voies diplomatiques », ce qui n'est pas l'hypothèse dont nous nous occupons ici. Ce qu'il faudrait instituer dans notre cas, c'est une commission permanente d'enquête dans le genre de ce qu'a proposé, dans le même ordre d'idées, un membre distingué de l'Institut de droit international et du Conseil interparlementaire, M. L. de Bar, professeur à Goettingue, qui suggéra la dénomination d'Académie pour l'institution dont il préconisait la création (1). Au surplus le nom importe peu, pourvu qu'on s'accorde sur le fond. Cette commission permanente d'enquête pourrait fort bien être encadrée dans le futur Institut Nobel qu'une personnalité norvégienne des plus autorisées, M. V. Ullman, ancien président du Storthing a qualifié d'« établissement central pour les études scientifiques et le développement du droit international »> (2). Pourquoi l'Alliance n'utiliserait-elle pas ce

(1) Conf. Die Nation, revue hebdomadaire allemande paraissant à Berlin, n° du 15 octobre 1898, p. 34.

(2) L'extrait suivant que nous citons indiquera ce qu'est l'Institut Nobel dont nous croyons ici l'intervention possible et utile, «On a vu qu'il doit être fondé à Christiania, pour les œuvres de la paix, un Institut appelé Nobel (du nom de son fondateur)..... avec un capital de 300.000 couronnes (411.000 francs), et

laboratoire de droit international et de science diplomatique pour faire ainsi le plus sérieux examen des causes possibles de guerres que son action bienfaisante tendrait à prévenir. En résumé, l'idée que nous soumettons aux méditations de tous ceux qui s'intéressent au succès des conventions votées à La Haye en 1899 et spécialement de la plus importante qui a trait au règlement pacifique des conflits internationaux, est la suivante. L'article 27 de cette dernière convention édicte un devoir moral pour l'accomplissement duquel il faut inventer un mécanisme pratique sur lequel les délégués n'ont pu s'entendre. Ce mécanisme est ainsi constitué deux - peutêtre trois-Etats au moins forment entre eux une Alliance pacigérante renforcée si possible par des traités de neutralité perpétuelle ou d'arbitrage permanent ou par les deux à la fois.Entre ces Etats s'établit un roulement pour la direction de l'action pacificatrice. Dès qu'un conflit éclate ou menace d'éclater, l'Etat momentanément directeur, en vertu de l'assentiment préalable des autres Etats alliés, prend l'initiative de l'envoi d'une note aux Etats litigants, leur indiquant l'existence de la Cour arbitrale et la nécessité d'avoir recours à son intervention. D'autre part, préalablement à l'apparition des conflits internationaux et dans le but d'étudier mûrement les questions de fait qui donneraient naissance à ces conflits, il conviendrait d'instituer une commission permanente qui pour

de plus un supplément annuel de..... 50.000 couronnes par an. La mission essentielle de cet Institut suivant la disposition fondamentale du testament du Dr Nobel, son fondateur, « doit consister à éveiller les sentiments fraternels entre les peuples ». Grâce à cet Institut, des savants de tout âge et de toutes les nationalités pourront avoir l'occasion d'opérer des recherches, d'écrire des ouvrages et de faire des cours subventionnés. Un établissement de ce genre semblerait conforme à l'esprit du siècle, qui verra activement fonctionner la Cour permanente d'arbitrage de La Haye. C'est en présence de ce fonctionnement qu'il sera nécessaire au plus haut degré que le droit international soit étudié, développé et fixé; et nous estimons qu'avec le secours des subventions fondées par le Docteur Nobel il pourra exister dans notre pays un siège principal et un centre pour le développement et la fixation du droit international dans les divers pays de l'Europe........... C'est en 1901 qu'aura lieu la première distribution du prix Nobel (de 150.000 couronnes, le 10 décembre 1901, à Christiania), et qu'on pourra fonder l'Institut Nobel ». Actuellement il n'est pas établi; et on n'est pas même sûr qu'il soit ouvert le 10 décembre. Mais déjà, le 29 juin 1900, le roi de Suède et Norvège a sanctionné les « statuts fondamentaux » de la Fondation Nobel, concernant aussi l'Institut Nobel (Discours de M. Ullmann à la neuvième conférence interparlementaire du 2 août 1899 à Christiania, Compte-rendu officiel, p. 37).

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L'ARTICLE 27 DE LA CONVENTION DE LA HAYE

rait être enclavée dans la belle fondation de l'ingénieur Dr Nobel, destinée à servir, de la façon la plus efficace, la cause de la paix et à aider à la réalisation des principes établis par la conférence de La Haye elle-même.

IV

Avant tout, il faut donc créer l'Alliance pacigérante; et la commission du Bureau international de la paix (de Berne) semble l'avoir si bien compris qu'elle a, dans sa séance du 1er octobre, à Paris, adopté à l'unanimité une proposition de celui qui écrit ces lignes, proposition consistant à nommer un Comité chargé d'étudier « les moyens les plus pratiques d'arriver à la création » d'une telle Alliance. En dehors de l'auteur de cette proposition, ce Comité est composé de Mme la baronne Bertha de Suttner (Autriche), de MM. Henri La Fon. taine (Belgique), Émile Arnaud, président de la Ligue internationale de la Paix et de la Liberté (France), Nicolas Fleva ancien ministre, actuellement envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire de Roumanie à Rome (Roumanie), et Elie Ducommun, secrétaire général honoraire du Bureau (Suisse).

Toutes les bonnes volontés sont invitées à venir en aide au Comité dans ses études préparatoires. Une fois ces études terminées, commencera une vive propagande en faveur de la réalisation de l'idée au cours du nouveau siècle. Nous serons sûrs de réussir, si tous États et individus nous appor tons à l'œuvre de la paix dans les temps nouveaux le même enthousiasme que nos ancêtres ont apporté à la guerre dans les siècles écoulés.

FREDRIK BAJER,

Président de la Commission du Bureau international de la Paix (Berne)
Conseiller interparlementaire, Député danois (1872-95).

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