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CHRONIQUE INTERNATIONALE

LA QUESTION SUD-AFRICAINE

II. Les hostilités.

III. !.a

Sommaire Introduction. I. Les origines de la guerre.
neutralité (Effets de la guerre sur les neutres et « Pacigérat »). Conclusion.

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Quand la Conférence de la Paix s'ouvrit à la Haye, le 18 mai 1899, la Chine, la Perse et le Siam furent représentés, malgré l'imperfection de leur civilisation; en Europe, la Bulgarie fut admise à titre distinct, au sein de la délégation turque, malgré le caractère incomplet de sa souveraineté. En opposition avec cette hospitalité facile, le Transvaal ne fut pas appelé, et l'Etat d'Orange qui venait de s'unir à lui (union fédérative du 17 mars 1897), partagea son sort. L'Asie fut admise, l'Afrique exclue : la race jaune invitée, les blancs d'Afrique omis. La Bulgarie dont la vassalité résultait avec certitude d'un texte précis (art. 1er du traité de Berlin, 13 juillet 1878) entrait dans le Congrès, tandis que le Transvaal, dont la vassalité, plus que douteuse, résultait d'une interprétation très osée du traité de Londres - demeurait à la porte. L'Europe faisait subir à la République sud-africaine le traitement qu'elle-même imposait aux uitlanders (1). A la Haye, cette exclusion de colons hollandais était soulignée plus vivement qu'ailleurs. Au seuil des travaux pacifiques elle introduisait une sensation de malaise, que l'opinion a très vivement ressentie (2). Plus tard, vers la fin de la Conférence, cette même impression reparut encore. Les trois grandes conventions sur la guerre terrestre, sur l'extension maritime de la Convention de Genève et sur la solution pacifique des conflits avaient été votées. Il s'agissait de savoir si les Etats non représentés à la Conférence pourraient les signer. Le délégué britannique s'y opposa; puis, se ravisant, il accepta de laisser ouvertes les deux conventions relatives à la guerre ; mais il déclara que la convention d'arbitrage resterait fermée. L'article 60 de la convention fit droit à cette demande, en déclarant que la question serait tranchée plus tard. Quel motif avait inspiré le gouvernement britannique ? « Il semblait avoir en vue le Transvaal : c'est le rapport officiel de la délégation française qui le dit (3). Quant à la conclusion, elle était singulière. Admis à signer le texte relatif aux lois de la guerre, le Transvaal ne pouvait s'introduire au bénéfice de la solution pacifique des conflits. Paix fermée, guerre ouverte tout un avenir menaçant s'y montrait. C'est le 29 juil

(1) Suivant le mot de M. Stead. Dagblad, 27 juillet 1899 no 175.

(2) Mérignhac. La conférence internationale de la Paix, p. 15 et surtout H. Verkou. teren. Chronique politique, Pays-Bas, dans cette Revue, juillet-août 1900, p. 135. (3) Rapport de la délégation française p. 42.

let que la Conférence de la Paix termine ses travaux ; c'est le 10 octobre 1899 que la guerre du Transvaal éclate.

Il y a dans cette rapide succession des évènements plus et mieux qu'un simple rapprochement de hasard. Venue plus tôt ou plus tard, la guerre du Transvaal aurait toujours la même ampleur morale; elle présenterait encore, si l'on veut, la même importance historique; elle n'aurait pas la même valeur juridique.

Au lendemain de la Conférence de La Haye, elle en précise l'influence immédiate. Quand le président de la Conférence, M. de Staal, en clôturait les travaux, il renonçait à porter un jugement, même provisoire, sur l'œuvre accomplie ; « nous sommes encore trop près, disait-il, la perspective nous fait défaut ; (1) » ailleurs il répétait : «< attendons la moisson »>. Paroles pleines de sagesse et de raison (2). A ceux qui montreraient trop d'impatience du résultat pacifique, la guerre du Transvaal rappelle qu'ils doivent savoir attendre. A ceux qui exagéreraient l'effort accompli, elle prouve que le chemin parcouru à La Haye, vers l'idéal de justice et de paix, n'est peut-être ni si long ni si lumineux qu'on pourrait le croire. Le jugement des plus optimistes s'en trouve déjà rectifié (3). Les plus intransigeants le reconnaissent « au lendemain de la Conférence de La Haye, la guerre du Transvaal en a voilé les résultats » (4). Pourquoi ne pas l'avouer? Est-ce diminuer la hauteur du but que d'en mesurer la distance? N'est-ce pas rendre service à l'humanité que de la mettre en garde contre les désillusions, qui naissent d'une trop grande confiance? Le meilleur de la Conférence, au point de vue pacifique, est dans deux textes: l'un, d'après lequel les puissances recommandent l'emploi de la médiation (art. 3), l'autre, plus significatif encore, par lequel les puissances signataires considèrent comme un devoir, dans le cas où un conflit aigu menacerait d'éclater entre une ou plusieurs d'entre elles, de rappeler à celles-ci que la Cour permanente leur est ouverte » (art. 27). C'est l'appli cation aux nations de la grande loi de solidarité sociale. Dans quelle mesure se sont-elles conformées à cette loi ? Quels efforts ont-elles tentés, soit pour empêcher la guerre, soit pour y mettre fin? Quel a été le rôle pacifiant des neutres ? Les actes des puissances se sont-ils haussés jusqu'à cette élévation qui est dans la lettre des textes et dans les promesses de la Convention de La Haye ? Il y a plus. La Conférence de La Haye n'a pas seulement poursuivi le progrès dans la voie lointaine de la paix. Elle l'a cherché dans le proche domaine de la guerre. Elle a voté un règlement des lois et coutumes de la guerre terrestre, que l'Angleterre a signé. Comment ce

(4) Dernière séance, 29 juillet 1899. Procès-verbal p. 1.

(2) Autographe dans la Review of Reviews, août 1899, p. 145.

(3) Certes, il faudra s'attendre à bier. des déboires dans l'avenir, car l'ère des violences internationales est loin d'être close. Ainsi les résolutions de La Haye n'ont pas empêché la guerre anglo-transvaalienne et les Anglais ont systématiquement repoussé le recours aux voies pacifiques, spécialement à l'arbitrage. Mais on ne doit pas oublier que des innovations pareilles à celles que la Conférence de la Paix a traitées ne s'introduisent pas en un jour » Mérignac. La Conference de la Paix, p. 399.

(4) Arthur Desjardins. Les résultats de la Conférence de La Haye, allocution prononcée à la Société d'Economie Sociale, 1900, p. 36.

texte a-il été appliqué ? Après avoir promis de le respecter, la Grande-Bretagne s'y est-elle effectivement conformée? Enfin la Conférence avait prohibé certaines armes, notamment les balles qui s'épanouissent (périphrase destinée à proscrire les dum-dum) et l'Angleterre avait refusé de signer cette déclaration; mais il a été dit que, malgré ce refus, l'Angleterre n'osa plus employer les dum-dum, de sorte qu'ici la Conférence aurait atteint son but (1), ses résultats moraux dépassant ses résultats matériels. Est-ce exact? Si oui, l'horizon s'élargit et l'œuvre de la Conférence s'étend. De tous côtés, pour la connaître et pour la juger, il faut la suivre jusque dans la question sud-africaine. Dans une étude pleine de vues profondes et justes, M. de Bar (2) a cru devoir rapprocher ces deux événements qui terminent le siècle, la guerre du Transvaal et la Conférence de La Haye, pour apprécier l'un à la lumière de l'autre. Cet avis n'est pas unanime. Dans l'opinion opposée, M. d'Estournelles (3) plus récemment (4) la baronne de Süttner (5) s'efforcent d'écarter ce qui s'est passé à La Haye de ce qui se passe au Transvaal. Qui a tort ? Qui a raison ? De toute façon, nul ne peut juger la Conférence de La Haye sans la suivre jusqu'à ce lendemain sud-africain que l'histoire lui donne.

A un autre point de vue, l'Impérialisme, qui a provoqué la guerre,s'éclaire à ses reflets (6). Jusqu'ici, il n'a encore été étudié qu'au point de vue de l'histoire et de l'économie politique, dans son évolution et dans ses bases. L'historien Seeley a montré comment l'Angleterre avait en quelque sorte laissé l'Europe derrière elle pour devenir peu à peu un Etat universel (World-State) (7). Sir Ch. Dilke (8) a suivi dans le détail des faits contemporains le mouvement dont Seeley avait magistralement fixé les grandes lignes dans l'histoire. D'autres ont cherché les fondements de l'Impérialisme. Il y a, dit E. R. Faraday (9), trois conceptions de l'Empire: l'une, sentimentale ou poétique qui base l'Empire sur la communauté de race, d'histoire, de langue; l'autre qui confond l'Empire avec la fédération et ne lui donne d'autre but que le gouvernement politique; l'autre, enfin qui fait de l'Impérialisme une théorie économique, dont la formule est d'étendre le territoire pour augmenter le commerce qui suit le drapeau «< Trade follows the flag ». Comment l'impérialisme anglais est-il né, dans une heure de crise, de la détresse industrielle de l'Angleterre? C'est ce qui a été admira

(1) Desjardins, loc. cit.

(2) Der Burenkrieg, die Russificirung Finnlands, die Haager Friedens conferens, Hanover, 1900, p. 61.

(3) Le Transvaal et l'Europe divisée, dans la Revue de Paris, 1900, n° du 15 mars, P. 439.

(4) L'opposition de la guerre du Transvaal et de la Conférence de La Haye est nettement avouée dans le clan des Pacifiques, par W. T. Stead. Shall i Slay my brother Boer ? London, 1899.

(5) Present status and prospects of the peace movement, dans the North American Review, nov. 1900, p. 653 et s.

(6) Sur l'Impérialisme, cpr. Questions franco-anglaises, dans cette Revue, 1899. XI, p. 277 et s. et les auteurs cités. Adde. E. R. Faraday, Some economic aspects of the imperial idea, dans Fortnightly review, déc. 1898, p. 961. J. H. Muirhead. What imperialism means, dans Fortnightly review, 11 août 1900, p. 177 et s.

(7) Seeley, L'expansion de l'Angleterre, trad. Rambaud, Paris, 1885, p. 349 et s.

(8) Problems of Greater Britain, London, 1890.

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blement montré par V. Bérard, dans son livre L'Angleterre et L'Impérialisme(1). Issu d'une cause économique, adapté à une fin économique, l'Impérialisme est un instrument merveilleux aux mains de celui qui a dit que « le commerce, c'est l'empire, et l'empire c'est le commerce » (2). Attiré vers le Transvaal par le développement de l'industrie minière, l'Impérialisme britannique montre, une fois de plus, le caractère économique qui le distingue. Mais la crise sud-africaine n'éclaire pas seulement l'Impérialisme dans son fondement, qui est maintenant bien connu, elle l'éclaire encore dans ses procé dés, qui le sont moins. Très étudié dans sa nature et dans ses causes, l'Impérialisme ne l'a guère été jusqu'ici dans ses moyens techniques et dans ses combinaisons pratiques. Envisagé souvent du point de vue de l'histoire ou de la science économique, il l'est beaucoup plus rarement sous l'angle de la politique et du droit. La question sud-africaine le montre sous ce double aspect. Depuis bientôt vingt ans, la politique des grandes puissances lui prépare les voies. L'expansion coloniale s'est efforcée d'adoucir et d'atténuer la conquête. A la politique des annexions s'est substituée la politique des influences: à mesure que l'extension est plus lointaine et plus développée,il faut en diminuer la profondeur pour en augmenter la surface au lieu d'une maîtrise absolue, c'est un droit éminent plus ou moins vague que le conquérant s'adjuge à l'annexion il substitue le protectorat, au protectorat l'hinterland, à l'hinterland la prise à bail. La mi-souveraineté s'étire, s'étend, se nuance. L'Impérialisme accuse encore cette tendance. Ces procédés lui conviennent d'autant mieux qu'ils permettent d'enlacer le monde dans le mince filet de droits éminents, qu'on peut acquérir assez facilement, laisser dormir quand il convient, et ramener jusqu'à l'annexion totale, quand les circonstances l'exigent.Dans la question sud-africaine, l'Impérialisme se révèle tour à tour sous ces deux faces, l'une insinuante, l'autre brutale. D'abord il dispose mollement les liens ténus et presque invisibles d'une souple et vague souveraineté ; il les laisse flotter, quand l'absence de ressources ou d'intérêt l'exige; il les reprend ensuite et ramène le filet, quand le commerce, qui est l'âme de l'Empire, juge le moment venu de parler en maître et d'imposer sa loi. Mais des résistances se produisent. Alors, l'Impérialisme essaie d'éviter la guerre, non parce qu'il a souci de l'humanité, mais parce qu'il sait le prix des expéditions militaires, dont il balance le coût probable avec le bénéfice possible. Cependant la guerre se décide. Nulle ne sera plus cruelle ni plus pressée d'en finir à tout prix, car elle a hâte d'arriver à son but,qui est la reprise des affaires. Voilà l'Impérialisme. Avant la guerre sud-africaine, on pouvait le prévoir, depuis, on ne peut le nier.

Enfin, la question sud-africaine est intéressante en elle-même, par la profonde variété des problèmes qu'elle a successivement suscités dans l'histoire et par la nouveauté tragique de celui qu'elle pose aujourd'hui. Non seulement elle tient en cinquante ans toute la vie d'un Etat, de sa naissance à son déclin, qui, plus ou moins proche, plus ou moins net, n'en sem

(1) V. Bérard. L'Angleterre et l'impérialisme, Paris, 1900.

(2) J. Chamberlain, au Congrès des Chambres de Commerce, 10 juin 1896. Bérard, op. cit.

ble pas moins fatal; mais encore, dans ce bref espace de temps, elle donne naissance aux questions les plus variées. Des colons ont-ils le droit d'abandonner en masse la colonie cédée par la mère-patrie, d'en rompre l'allégeance et trouvant ailleurs des territoires sans maître d'y fonder un

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Etat nouveau ? Si cet Etat met en péril, directement ou indirectement, l'ancien, ou s'il est incapable d'assurer l'ordre, l'ancienne allégeance peutelle revivre ? Puis, quand affluent sur le territoire de nouveaux venus, les anciens peuvent ils, tout en ouvrant leur frontière, fermer aux étrangers le droit de cité? Le peuvent-ils, alors que les nouveaux venus, fils de la civilisation industrielle, se livrent à des travaux que les anciens, fils de la civilisation agricole, dédaignent, si bien que sans les étrangers, les richesses du tréfonds minier demeureraient stériles au sein de la terre ? Le peuvent-ils encore, quand les nouveaux venus sont le double de la population ancienne et paient les neuf dixièmes de l'impôt ? Jamais le heurt de deux civilisations, l'une agricole, l'autre industrielle, n'a posé dans des condi. tions plus nettes, et dans des circonstances plus tragiques, le redoutable problème des droits de l'étranger.

1.

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I

LES ORIGINES DE LA GUERRE (1)

SOMMAIRE Les premières phases de la question sud-africaine. 2. La phase actuelle. 3. L'argumentation anglaise (protection des nationaux, suzeraineté, art. 14 du traité de Londres). 4. Le problème sud-africain, au point de vue du droit pur.-5. La question de l'arbitrage.

1. LES PREMIÈRES PHASES DE LA QUESTION SUD-AFRICAINE. En 1652 la Compagnie hollandaise des Indes fit débarquer dans la baie de la Table un détachement chargé d'y bàtir un fort, un hôpital et d'y semer des légumes. La ville du Cap était fondée. Après la révocation de l'édit de

(1) SOURCES PARLEMENTAIRES, ENGLISH PARLIAMENTARY PAPERS :

ETAT LIBRE D'ORANGE.

1848 State papers, liv, p. 324. Proclamation of british Sovereignty.

1851 State papers, liv, p. 1115. Letters patent for Territorial Government.

1854 State papers, liv, p. 131. Bloemfontein Convention.

1859 State papers, liv, pp. 327-28. Revocation of Letters patent and Abandonment of British Sovereignty.

1869 State papers, lxx, p. 322. Convention concerning Basutoland.

1876 State papers, lxx, p. 330. Agreement settling claims to Diamond Districts.

TRANSVAAL.

1852. State papers, liv. p. 1112. Sand river Convention.

1858. State papers, lxiii, p. 605. Treaty vith Portugal.

1871. Accounts and Papers, G. 5.219, 2. 482. Keat award.

1877. British Assumption. Proclamation of Shepstone. Sate papers, ixviii, p, 140; Accounts and Papers, xlviii pp. 337-42.

1878. Reports on Transvaal. Accounts and Papers, xlviii, C. 2. 598.

1879. Proclamation of Wolseley, State Papers, lxx, p. 1258; Letters patent for government of Transvaal. State Papers, lxx. p. 1259: Efforts of Boers to obtain Independence, Accounts and Papers, C. 2182 pp. 37, 337, 456, 461, 468, 476-77. Further correspon. dence. id., C. 2.584, 2,586. 2.655, 2,676, 2.695.

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