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industrie du monde : non seulement il ne s'y mêlait pas, mais il ne voulait pas la comprendre. L'industrie minière ne peut vivre sans la dynamite, Tandis que la Chambre des Mines demandait que l'importation en fût libre le gouvernementen fit un monopole, donné d'abord pour cinq ans à Lippert, en 1887, puis, pour quinze ans, à Vorstman (1893). Le résultat de ce monopole n'a pas été celui que le Transvaal attendait. Le gouvernement voulait créer uné manufacture nationale, de manière à rendre le pays indépendant de l'étranger, sous le rapport des explosifs: mais, le Transvaal ne produisant ni soufre, ni salpêtre, la manufacture devait toujours importer les matières premières nécessaires, et le but du contrat ne pouvait être atteint, D'autre part, le gouvernement percevait 5 shillings par caisse de 50 livres, plus 20 p. 100 de l'excédent des bénéfices. Mais le trust Nobel et le concessionnaire Vorstman s'unirent pour fonder une compagnie par actions qui s'arrangea pour frustrer le trésor, en diminuant artificiellement le chiffre apparent des bénéfices. Lippert, l'ancien concessionnaire de 1887 à 1892, obtint, de la nouvelle compagnie (à quel titre ?) 2 sh. par caisse vendue, d'autres, Lewis et Mark, 2 sh. 6 par caisse, les administrateurs prélevèrent 6 sh. par caisse ; quant à la manufacture, que voulait créer le gouvernement, on lui consacra 10 sh. par caisse. Résultat: Le gouvernement ne touche pas ses 20 p. 100. Mais, pendant ce temps, les explosifs figurent pour près de 9 p. 100 dans les dépenses de l'exploitation minière. Les mines paient la dynamite 85 sh. et la gélatine explosive 107 sh. par caisse de 50 livres, tandis que les mêmes explosifs pris à Hambourg coùtent 23 sh. 6 et 37 sh. 6 par caisse, et que les frais de transport ne dépas sent pas, au maximum, 14 sh. par caisse. Bref, le bénéfice réalisé par la Compagnie Sud-Africaine est estimé au minimum à 40 ou 45 sh. par caisse tandis que, d'autre part, 5 sh. seulement vont au trésor. Si l'Etat, excipant du contrat (art. 15) et prononçant la déchéance de la Compagnie, voulait reprendre à son compte l'importation de la dynamite, même en la frappant d'un droit de 20 sh. par caisse, il pourrait en abaisser le prix de 25 sh. par rapport aux prix du début et de 15 sh. par rapport à une réduction de 10 sh., qui a été ultérieurement consentie. Peuple de pasteurs, ignorants des nécessités de l'industrie, les Boers n'ont pas mieux compris la question des transports. Les mines se plaignent que des tarifs trop élevés grè vent lourdement le transport des machines, du charbon et même des denrées alimentaires. La « Netherland Railway Company », qui a obtenu la concession (26 juin 1890) augmente ses tarifs et ses dividendes (12 p. 100), alors que l'Etat peut reprendre ou nationaliser - c'est le terme du contrat - le chemin de fer avec préavis d'un an, à des conditions, qui feraient de l'opération un bénéfice commun pour les mines et pour lui. Mais les membres du Volksraad, dit Fitzpatrick, n'ont jamais voulu rien y comprendre.

Les griefs économiques de la population minière l'amenaient à rechercher vivement la franchise qui, seule, pouvait lui permettre d'entrer aux conseils du gouvernement et d'y faire triompher les réformes que les Boers ne voulaient pas ou plutôt ne pouvaient pas comprendre. Mais, plus les étrangers désiraient entrer dans la cité, plus les Boers en défendaient l'accès. Le

Grondwet déclarait le territoire ouvert à tout étranger respectant les lois de l'Etat. Les étrangers étaient trop utiles à l'impôt, pour qu'il fût question de rien changer à ce texte. Mais les burghers n'entendaient pas que les nouveaux venus, les uitlan lers, puissent les déposséder au point de vue politique. Plus le flot des étrangers montait, plus la franchise électorale devenait difficile et sévère. Avant 1882, la loi accordait la naturalisation entière à tous ceux, propriétaires ou non-propriétaires, qui avaient un an de résidence. La loi n° 7 de 1882 imposa aux nouveaux venus, pour devenir citoyens, un stage de cinq ans à partir du jour de leur inscription sur les registres des districts. La loi no 4 de 1890 créa le second Volksraad, dépourvu de tout pouvoir effectif, à l'usage des naturalisés. Etaient électeurs au premier Volksraad les citoyens actifs au moment de la promulgation de cette loi. Ceux qui n'étaient pas citoyens actifs à cette époque pouvaient le devenir et acquérir le droit de vote au premier Volksraad dix ans après être devenus éligibles au second. L'âge de l'éligibilité étant fixé à trente ans, on ne pouvait donc être citoyen de pleine franchise qu'à quarante ans. En 1894, la loi no 3 décida que toutes les personnes nées ou arrivées dans la République avant le mois de mai 1876 jouiraient des droits politiques, que les autres, après deux ans d'inscription sur les registres des districts, auraient la petite naturalisation, puis, dix ans après l'âge d'éligibilité au 2e Raad, fixé à 30 ans, la grande naturalisation: 1o si la majorité des citoyens du district la demandait pour l'intéressé 20 si le président et le conseil exécutif ne s'y opposaient pas. Les enfants d'un uitlan ler, venus au monde avant la grande naturalisation du père, restaient étrangers comme lui. C'est seulement à l'âge de seize ans qu'ils pouvaient se faire inscrire au district et c'est seulement vingt-quatre ans plus tard qu'ils pouvaient acquérir le titre de « burghers >>.

Ne pouvant oblenir du Transvaal ni les réformes, ni la franchise, les uitlanders n'avaient plus d'espérance que dans la révolution (1). Mais, au lieu d'agir seuls et par eux-mêmes, ils cherchèrent au dehors un appui. Les uitlanders fondèrent à Johannesburg, en 1892, pour faire triompher la politique des réformes, une société qui s'appela l'Union nationale. En novembre 1895, son président, M. Léonard, se rendait au Cap pour conférer avec Cecil Rhodes. Qui venait-il consulter en lui? Le chef des grandes compagnies minières, directeur général des Consolidated Goldfiels? Le directeur de la South African Company? Le premier ministre du Cap? Cecil Rhodes réunissait tous ces titres. Mais il était avant tout l'âme de la South African Company ou « Chartered » fondée (29 octobre 1889), « pour le développement du protectorat du Bechuanaland et des contrées situées plus au Nord ». Réunir le Cap au Caire par une bande ininterrompue de territoires britanniques, tel était le projet de Cecil Rhodes et le but de la South African Company. Pour y arriver, il n'était pas nécessaire d'occuper le Transvaal; mais l'occupation du Transvaal pouvait faciliter l'entreprise. Non seulement Cecil Rhodes assura les uitlanders de son concours, mais il entendit associer la « Chartered » à leur mouvement. « Il dit que c'était à Johan

(1) Sur ce point et les suivants, Fitzpatrick, The Transvaal from within.

nesburg de choisir son moment et qu'en attendant il tiendrait son principal agent, le Dr Jameson, sur la frontière, comme un renfort moral ». En septembre 1895, des arrangements directs furent conclus avec Jameson, qui promit de rester sur la frontière avec 1.500 cavaliers et des canons. Plus tard, on décida que la révolution éclaterait, soit le 28 décembre, soit le 4 janvier. Mais les uitlanders entendaient conserver le drapeau du Transvaal; ils ne voulaient pas attenter à l'indépendance de la République sud-africaine: ce qu'ils désiraient, ce n'était pas l'annexion, mais des réformes: bientôt les uitlanders s'aperçurent que leurs alliés avaient des arrière-pensées et des projets personnels qui n'étaient pas exactement les leurs. En même temps la ville, qui se trouvait insuffisamment armée, voulait remettre à plus tard. Le 28 décembre, elle décida d'arrêter l'expédition de Jameson, qui devait se mettre en marche le lendemain. Mais, sans tenir compte du contre-ordre reçu, Jameson partit avec 500 hommes qu'il avait sous la main. En face de Johannesburg, le 4 janvier 1896, sa petite troupe tombait aux mains des Boers. Sir John Willoughby, qui la commandait obtenait pour ses hommes la vie sauve, et le gouvernement du Transvaal remettait au gouvernement de la Reine, Jameson, sujet britannique, pour être jugé dans son pays. En même temps, les principaux membres du comité des réformes étaient arrêtés et quatre d'entre eux condamnés à mort; mais bientôt toutes les peines étaient commuées en de fortes amendes.

L'alliance de Jameson n'avait pas été favorable aux uitlanders. Non seulement elle compromit leur cause vis-à-vis du Transvaal et vis-à-vis de l'Europe, mais en même temps elle démontra que, derrière les réclamations des uitlanders, l'Angleterre cherchait la satisfaction de ses intérêts personnels. En séparant sa cause de celle de Johannesburg, en refusant d'obéir aux contre-ordres reçus, Jameson avait bien prouvé que l'Angleterre poursuivait un but distinct. Les uitlanders voulaient des réformes. Jameson et Cecil Rhodes l'annexion.

Dès ce moment, le gouvernement du Transvaal ne considéra plus les uitlanders que comme des ennemis. Il vit en eux, non pas des révoltés, ni des insurgés, fauteurs de guerre civile, mais des adversaires de la nation, complices de l'Angleterre et fauteurs d'une guerre internationale. De plus

en

plus il devint hostile aux réclamations des uitlanders, qu'il rejetait à l'origine parce que le sens industriel lui manquait, et qu'il repoussa plus violemment encore quand il vit Cecil Rhodes et les ambitions de la Greater Britain apparaître derrière les réclamations du Rand. Averti par la tentative de Jameson, le gouvernement du Transvaal se mit en mesure d'en prévenir le retour. Il fit des préparatifs, acheta des munitions et des armes. Il se mit, pour l'éventualité d'une guerre, sous la protection de la Convention de Genève (30 sept. 1896). Cherchant des alliances, il voulut fortifier, par une intime union, les liens de la sympathie et d'amitié que la communauté d'origine avait créés entre l'Etat libre d'Orange et lui. Profitant de la circonstance que les conventions du Transvaal avec les autres Etats étaient soumises au veto de l'Angleterre dans le délai de six mois, mais les conventions avec l'Etat libre d'Orange affranchies de cette

réserve, le président Krüger et le président Steijn jetèrent librement, à Bloemfontein, le 17 mars 1897, les bases d'une Union fédérative entre les deux pays. L'Angleterre, qui ne pouvait protester, se vengea en rappelant le Transvaal au respect de la vassalité que, disait-elle, le traité de 1884 n'avait pas abolie. Le Secrétaire d'Etat aux Colonies préparait, dès ce moment, l'arme juridique dont, le cas échéant, il voulait se servir. Ainsi le conflit des uitlanders et des burghers devenait celui de l'Angleterre et des Boers. Plus le Transvaal rejetait les réclamations des uitlanders, plus l'Angleterre s'irritait de l'insuccès. Le Transvaal, indigné du raid Jameson, en craignait le retour. L'Angleterre, humiliée de son échec, en voulait la revanche. Rigueur de la part du Transvaal, excitation de la part de l'Angleterre, tout contribuait à développer les griefs des uitlanders.

NOUVEAUX GRIEFS DES UITLANDERS. LA SITUATION APRÈS LE RAID JAMESON. Après le raid Jameson, il était permis d'espérer que le gouvernement de Prétoria, mieux éclairé, donnerait peu à peu aux nitlanders quelques unes des réformes économiques qu'ils demandaient. Une commission d'enquête industrielle fut instituée le 3 avril 1897 par le Président et les membres du Conseil exécutif (1). Le 13 avril, elle arrêtait son programme d'études; le 20 avril, elle commençait ses travaux à Johannesburg. Recherchant minutieusement les causes de dépression de l'industrie minière, elle signalait la cherté de la main-d'œuvre blanche, l'insuffisance de la main-d'œuvre noire, les dangers de la vente des boissons fortes, contre lesquelles les travailleurs des mines étaient mal défendus par suite de la mauvaise application de la loi n° 17 de 1896 (Liquor law); elle accusait l'injustice des droits de transit, pour lesquels la République payait tous les ans aux Etats voisins, l'Orange excepté, une somme de £ 600.000, elle recommandait l'entrée en franchise des objets d'alimentation, condamnait le monopole de la dynamite, réclamait la réduction des tarifs des chemins de fer, la répression des vols d'or, et finalement proposait la création d'un Comité industriel composé de membres nommés par le gouvernement et de représentants de l'industrie minière et du commerce du Witwatersrand comité qui serait chargé notamment de surveiller l'application de la loi sur l'alcool, de la loi des passes et de la loi sur la répression des vols d'or (rapport du 7 août 1897). Le rapport de la commission, gros volume de 700 pages, accompagné de nombreux graphiques, fit le meilleur effet. On espérait que quelques-unes au moins des recommandations des rapporteurs seraient accueillies. Mais le président Krüger fit nommer une seconde commission pour sur-enquêter sur la première (2). Des réformes illusoires sauvèrent les grosses compagnies. La Netherland Railway Company se tira d'affaire avec une réduction insignifiante de ses tarifs. Une réduction insignifiante (10 sh. par caisse), dont le gouvernement supportait la moitié (en renonçant à son droit de 5 sh. par caisse), avait eu lieu sur le prix de la dynamite; on s'en tint là. La proposition d'établir dans les

(1) Complaints of british subjects, C. 9.245, p. 27-37.

(2) Fitzpatrick op. cit. (trad. Mermeix), p. 238.

champs d'or un Industrial board fut écartée comme créant un imperium in imperio. Les taxes supprimées sur certaines denrées de consommation furent relevées sur d'autres, de manière à compenser, et au delà, toutes les pertes que les dégrèvements auraient pu causer au Trésor. Même, en 1898, cette très inattendue proposition fut faite de prolonger pendant 15 ans le monopole de la dynamite, moyennant une nouvelle réduction de 5 sh. par caisse. Un nouvel impôt de 2 1/2 p. 100 fut mis sur la production brute des locations minières (mynpachts). Les dépenses publiques, qui étaient de £ 813.029 en 1896, dépassaient £ 1.080.302 en 1898 (1). Les Boers avaient une comparaison biblique pour expliquer que l'Angleterre convoitait la vigne de Naboth; mais les uitlanders, trouvant la leur dans la mythologie, demandaient qu'un nouvel Hercule vint nettoyer la corruption de ces écuries d'Augias (2).

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Au point de vue municipal, Johannesburg demandait un régime spécial. Pendant longtemps les Boers, qui ont l'horreur des villes, ne pouvaient ni concevoir, ni créer ce régime. Après le raid, ils comprirent qu'ils ne pouvaient toujours le refuser. En septembre 1897, le gouvernement s'y décida, mais dans des conditions si étroites que les uitlanders ne peuvent s'en déclarer satisfaits. Dans cette grande cité, toute peuplée d'étrangers, la moitié des membres du conseil municipal, douze sur vingt-quatre, doivent être des burghers (art. 1er). Le bourgmestre est nommé par le Président de la République sud-africaine pour une période de cinq ans (art. 2). Il a le droit de veto (art. 24) contre les résolutions qu'il juge contraires à la loi (3). Les uitlanders s'étaient toujours plaints de l'insuffisance de l'enseignement. En mars 1898, le Volksraad vote pour l'éducation des enfants £ 229.591, dont £ 50.000 pour l'éducation des uitlanders. Mais ce vote ne rassure pas les étrangers, avertis par l'expérience de l'année précédente, où £ 30.000 ayant été votées, £ 3.050 avaient été envoyées (British Agent, Conyngham Greene, Pretoria, to the high commissionner, Alfred Milner, Capetown) (4).

Très minces étaient les réformes. En revanche, depuis le raid Jameson, la situation des uitlanders s'était fortement empirée. Le gouvernement effrayé, sentant l'heure des grandes crises prochaine, avait énergiquement concentré dans sa main tous les pouvoirs. La justice était favorable, assez souvent, aux uitlanders. La Haute Cour, plus libérale que le Volksraad, venait d'annuler pour inconstitutionnalité une décision du pouvoir législatif, ratifiée par l'exécutif, retirant une concession à un Anglais nommé Brown (5), quand une loi no 1 de 1897, votée par 23 voix contre 4, enjoignit aux juges de donner toujours force de loi à la dernière décision du Raad, sans rechercher si elle était conforme ou contraire à la constitution. Le président de la Haute Cour, le juge Kotze, refusa de s'y soumettre et fut révoqué. Grand émoi parmi les uitlanders. Mais le gouvernement

(1) Fitzpatrick, op. cit., p. 265-267.

(2) W. Hosken, The future of South Africa, dans Fortnightly review, avril 1900, p. 555. (3) C. 9.345, p. 65.

(4) C. 9.345, p. 71.

(5) Bulletin de l'Afrique française, 1897, p. 139.

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