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poursuivait son œuvre. Après avoir mis la justice dans sa main, il y mettait la presse par une loi du 13 juin 1898 (loi no 44 de 1898). Aucun article <«< de nature politique ou personnelle » ne peut être publié que sous la signature pleine et sincère de son auteur. Toute publication doit porter sur chaque exemplaire le nom et la demeure de l'éditeur responsable, et celui-ci doit avoir sa résidence permanente dans la République. Venant après la suspension des journaux le Star, le Critic, cette loi fit l'objet de protestations très vives. C'est en dépit des représentations d'une presse unanime, d'après les Standart and Digger's News, que le Volksraad a voté cette loi (1).

Enfin, dès le raid Jameson, le gouvernement de Prétoria s'était assuré, contre les étrangers, d'une arme décisive. En juillet 1896, il saisissait le Volksraad d'une loi donnant tout pouvoir au Président,avec consentement du Conseil exécutif, pour expulser tout étranger « dangereux à la paix publique et à l'ordre »> ou lui assigner une résidence déterminée dans la République. L'étranger n'a aucun recours en justice contre un telle mesure. Les burghers, au contraire, ne peuvent être expulsés, sauf en vertu d'une sentence judiciaire. Le haut commissaire britannique (général Goodenough) protesta contre cette mesure, comme contraire à la lettre et à l'esprit de la Convention de Londres. Malgré les protestations répétées de l'Angleterre, le Volksraad vota cette loi, qui prit le n° 25 de 1896. Aussitôt le gouver nement anglais déclara qu'il la tenait pour nulle (dépêche du 6 mars 1897) (2). Le 15 juillet 1897, une motion fut déposée au Volksraad pour transférer de l'exécutif au judiciaire le pouvoir d'expulser les étrangers. Le Colonial Office voyait dans cette mesure (16 octobre 1897) le moyen de fermer la brèche ouverte dans la Convention de Londres. Mais cette espérance fut bientôt déçue. En 1898, un projet de revision fut déposé par le gouvernement et voté par le Raad. Mais, d'après les uitlanders, le nouveau texte garde tous les défauts de l'ancien. « Il n'en diffère, écrit sir Alfred Milner à M. Chamberlain, qu'en ce qu'il est plus long, et, dans plusieurs de ses dispositions, plus obscur » (3). Le Président reste maître d'expulser tout étranger dangereux pour la paix publique et pour l'ordre, avec le consentement du Conseil exécutif et de l'attorney d'Etat. Il a le droit d'assigner sa résidence à l'étranger. Celui-ci n'a donc aucune sécurité jusqu'à l'heure lointaine de sa naturalisation. Les uitlanders en étaient d'autant plus irrités que, pour la plupart sujets britanniques, relevant d'un pays qui ne pratique pas l'expulsion, cette législation leur paraissait non seulement sévère, mais étrange.

Sur ces entrefaites, l'affaire Edgard fit tout déborder (4). Edgard, sujet britannique, habitant Johannesburg, rentrait chez lui dans la nuit de Noël 1898, quand, insulté par un homme ivre, il répondit par un coup de poing. L'homme porta plainte. Quatre agents de police se précipitent chez lui, de nuit, pour arrêter le coupable. Leur refusa-t-il sa porte ou l'enfoncèrent-ils

(1) C. 9.345, p. 51.

(2) C. 9.345, p. 61 et s.

(3) C. 9.345, p. 61.

(4) C. 9.345, p. 108 ets.

sans sommation préalable? Sur ce point, les versions diffèrent. Toujours est-il qu'aussitôt la porte ouverte, l'un des agents, Jones, tira un coup de revolver sur Edgard, qui tomba mort entre les bras de sa femme. Le lendemain, l'agent meurtrier était arrêté pour la forme et remis en liberté sous une caution de 5.000 francs garantie par ses camarades. Le journal le Critic ayant pris texte de ces faits contre le Dr Krause, procureur de la République, celui-ci intenta un procès en diffamation au journal, sans que l'affaire Jones fùt encore jugée. « Alors, dit Fitzpatrick, on vit le magistrat chargé de poursuivre Jones comparaître comme témoin dans une cause connexe et décharger à l'avance l'accusé » (1). Enfin, passant devant un jury exclusivement composé de Boers, Jones fut acquitté, avec les félicitations du Juge Kock, invitant la police à faire toujours son devoir. La suppression des deux journaux anglophiles le Critic et le Star, qui avaient pris parti contre Jones, acheva de surexciter les esprits. Dès l'origine de l'affaire Edgard, 21.000 uitlanders se retournèrent vers le gouvernement anglais pour lui demander sa protection. A l'occasion de cette pétition, de nouveaux incidents se produisirent. MM. Th. R. Dodd et Clément Davies Webb furent arrêtés comme organisateurs d'une réunion illégale, dans le Market Square, où il n'avait pas été prononcé de discours, mais où il avait été donné lecture de la pétition à la Reine. Pour blàmer leurs arrestations, protester contre la loi sur les réunions publiques, et faire signer la pétition à la reine Victoria, un meeting eut lieu à l'Amphithéâtre (2), le 14 janvier 1899. Les uitlanders y rencontrèrent des burghers et des agents provocateurs: une bagarre éclata, qui acheva de les exciter. La pétition à la Reine, transmise par sir Alfred Milner, le 28 mars, fut couverte de noms et même d'un peu trop, si l'on en croit les observations du Transvaal, car plus d'un la signa qui n'était pas Anglais. Toujours est-il qu'elle recueillit 21.684 signatures dont très peu furent, après enquête, reconnues irrégulières. Le mécontentement croissait. Deux menus incidents, grossis par la passion politique, l'alimentaient encore: la police envahissait à Johannesburg, de nuit et sans mandat, le domicile de sujets britanniques (affaire Lombard); et, le 28 avril 1899, le meurtre en plein jour d'une couleur (3) Anglaise, Mme Appelbe, achevait d'exciter les uitlanders contre l'incurie de la police boer et l'insuffisance administrative du Transvaal (4). LA CONFÉRENCE DE BLOEMFONTEIN. De quel côté chercher la solution de ces difficultés ? En février 1896, M. Chamberlain avait proposé au président Krüger de trancher le conflit par l'autonomie des centres miniers (5). Mais cette proposition, qui peut-être était la plus sage, n'était pas accep table au lendemain du raid. Il était douteux qu'on pùt maintenant la reprendre. Le mieux était d'examiner ensemble, dans un esprit de conciliation et de paix, les questions difficiles qui surexcitaient l'opinion. La péti

(1) Fitzpatrick, op. cit,, p. 283.

(2) C. 9.345, p. 139 et s.

(3) C. 9.345, p. 91.

(4) C. 9.345, p. 176.

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(5) Yves Guyot, La politique boer, devait, de son côté, proposer spontanément un système semblable, p. 7.

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tion des uitlanders à la Reine ne pouvait rester sans effet. Comme l'écrivait sir Alfred Milner « le spectacle de milliers de sujets anglais, perpétuellement traités comme des ilotes, constamment accablés sous d'indiscutables iniquités,et qui appelleraient en vain à leur secours le gouvernement de S. M., ruinerait l'influence et la réputation de la Grande Bretagne, ainsi que le respect du gouvernement britannique dans les domaines de la Reine Milner to Chamberlain, Telegram, 5 mai 1899) (1). Le président de l'Afrikander Bond, M. Hofmeyr, et le premier ministre du Cap, M. Schreiner, désireux d'aplanir les difficultés, s'entremirent pour appuyer près du haut commissaire britannique l'invitation du président de l'Etat libre d'Orange, qui lui offrait sa capitale Bloemfontein pour une entrevue avec le président Krüger (10 mai 1899). Le 16 mai, le président Krüger acceptait. Le 17 mai, sir Alfred Milner avait de Londres l'autorisation d'accepter à son tour. Le 22 mai il recevait ses instruc tions (2). Le 31 mai, la première réunion s'ouvrait. Dès les premiers mots, le président Krüger déclare qu'en se rendant à la Conférence il fait toutes ses réserves sur l'indépendance de la République Sud africaine, à quoi sir Alfred Milner répond que de son côté le gouvernement de S. M. se plaint de faits tels que, même dans une contrée libre de toute obligation conventionnelle, il y aurait place encore pour ces représentations. Ces explications échangées, le président Krüger demande à sir Alfred Milner quels sont les points qu'il veut discuter, et tout de suite celui-ci répond qu'il désire commencer par la question de franchise, vu qu'en cas d'accord sur cette question, la discussion des autres deviendrait inutile. « A mon avis, dit A. Milner, j'avais à poursuivre une de ces deux politiques: 1o ou tenter d'obtenir pour les uitlanders une position telle qu'ils pussent ensuite remédier eux-mêmes, graduellement, à leurs principaux griefs; 20 ou insister sur un certain nombre de réformes particulières (3) » Des deux méthodes, la première était la meilleure, car on ne pouvait pas aborder le premier point après le deuxième, tandis qu'après avoir pris en bloc toutes les réformes avec la franchise on pouvait ensuite, en cas d'échec, les prendre en détail, une à une. C'est donc sur la question de la franchise que le haut commissaire concentra tout l'effort de ses réclamations. Sir Alfred Milner demandait la naturalisation après cinq ans de résidence pour tout étranger qui prêterait serment d'obéir aux lois et de défendre le pays; il ne s'opposait pas à ce que la mesure fût limitée aux personnes d'un certain chiffre de propriété et d'une bonne conduite (1er juin) (4). A ce projet, le président Krüger répliquait que si les 60.000 uitlanders bénéficiaient de cette naturalisation rapide ils submergeraient rapidement les 30.000 burghers. Sir Alfred Milner convenait que, sans doute, il serait imprudent de donner la franchise aux 60.000 d'un seul coup; mais il proposait de distribuer les circonscriptions de telle manière que les anciens burghers pussent retenir une partie effective du pouvoir législatif :

(1) Complaints of british subjects, C. 9.345, p. 212.

(2) C. 9.545, p. 242 et suiv.

(3) C. 9.404. Bloemfontein Conference, p. 13.

(4) C. 9.404. Blæmfontein Conference, p. 25.

à quoi le président objecta qu'avec le referendum, admis par la constitution, les burghers, quel que fùt l'arrangement des circonscriptions, succomberaient toujours sous le nombre. En conséquence il proposa un plan de franchise graduelle qui divisait les uitlanders en quatre classes: 1o ceux qui ont obtenu antérieurement la pleine franchise; 2o ceux qui ont fixé leur résidence dans le Transvaal avant 1890, et qui peuvent devenir citoyens au bout de deux ans ; 30 ceux qui ont déjà deux ans de résidence et qui peuvent obtenir leur entière naturalisation au bout de cinq ans ; 40 les autres enfin qui peuvent obtenir leur pleine franchise au bout de sept ans (1). Ce n'était pas là ce qu'attendait l'Angleterre. Sir Alfred Milner déclara que ce projet ne pouvait le satisfaire. Alors M. Krüger proposa de joindre toutes les questions afin de les résoudre en même temps: indemnité par le raid Jameson, annexion du Souaziland antérieurement placé (1894) sous le protectorat du Transvaal, arbitrage pour les autres difficultés. Milner refuse. A la proposition d'arbitrage il objecte, que le gouvernement de S. M. « n'entend souffrir l'intervention d'aucun gouvernement étranger ni même aucune espèce d'intervention étrangère entre lui et la République sud-africaine » (2) « Si, dit-il, un autre moyen peut être trouvé de soumettre à un tribunal impartial les questions qui peuvent s'élever dans l'avenir, et quelques-unes de celles qui se posent dans le présent..., je m'empresserai de les transmettre au gouvernement de S. M. et je m'emploierai personnellement à obtenir une solution satisfaisante à cet égard ». Le président Krüger ayant proposé l'arbitrage d'une cour ou d'une commission, sans caractère politique, cette ouverture ne fut pas relevée, et la conférence prit fin, le 6 juin, sans avoir ni rien obtenu, ni rien décidé.

Pour donner spontanément des gages de sa bonne volonté, le président Krüger soumit au Volksrad, dès son retour à Prétoria, un projet de loi dont le trait caractéristique était d'abaisser à sept années l'acquisition de la franchise. Mais au lieu d'accueillir favorablement ces dispositions conciliantes, la Grande-Bretagne les repoussa avec hauteur, demandant que le projet lui fût soumis, puis examiné par une Commission mixte, avant d'être présenté au Volksraad: procédés blessants d'immixtion dans ses affaires intérieures que le Transvaal ne pouvait accepter. Cependant le gouvernement de Prétoria cédait peu à peu. Vers la fin d'août (19 et 21 août), il acquiesçait à toutes les réclamations présentées par l'Angleterre à Bloemfontein franchise électorale par cinq ans de résidence avec effet rétroactif pour les résidants actuels; huit nouveaux siéges en faveur des uitlanders au Volksraad (dix en tout); droit d'élection pour le président et le commandant général; garantie que la représentation des nouveaux citoyens ne serait pas inférieure au quart de la représentation totale. En retour, il demandait simplement de la Grande-Bretagne : 1° la promesse de ne plus intervenir dans les affaires intérieures de l'Afrique du Sud ; 20 l'abandon de toute prétention à la suzeraineté ; 3o l'arbitrage pour les

(1) Political affairs in the South African republics, C. 9.521 p. 59. (2) C. 9.521, p. 60.

REVUE DU DROIT PUBLIC.

T. XV

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difficultés particulières. Telles sont les propositions du Dr. Reitz, secrétaire d'Etat du Transvaal, le 21 août 1899 (1). A ces propositions, sir Alfred Milner objecte que l'admission des uitlanders à la franchise, tout en leur permettant de livrer eux-mêmes leurs propres batailles, n'empêchait cependant pas plus d'un sujet de discorde entre les deux gouvernements; condition des sujets indiens ou des Cape Boys, violation de la frontière du Zoulouland, administration du Swaziland, protestation des étrangers propriétaires contre la taxe militaire; toutes ces questions indépendantes ne pouvaient, disait-il, trouver satisfaction par l'accès des uitlanders aux droits politiques. Accessoirement il relevait que les uitlanders, ne formant pas un corps homogène, trouveraient très vite entre eux des sujets de division. A la rigueur il admettait bien que certaines questions (taxe militaire. interprétation de la convention du Swaziland) pouvaient faire l'objet d'un arbitrage. Mais il n'en pouvait être de même des autres. Aussi le haut commissaire britannique déclarait-il inacceptable la séparation de la franchise et des autres questions: «< Aussi longtemps, insinuait-il, qu'existeront ces difficultés, qui sont calculées pour brouiller le gouvernement de Sa Majesté avec la South african Republic, les uitlanders britanniques hésiteront à devenir citoyens de cet Etat, par crainte d'avoir à prendre un jour les armes contre leur ancienne patrie» (23 août 1899, high commissioner Sir Alfred Milner to Mr. Chamberlain) (2). Argumentation fragile. Malgré tous ses efforts, sir Alfred Milner ne pouvait mettre cette nouvelle attitude d'accord avec celle de Bloemfontein. A Bloemfontein, il considérait la question de la franchise comme essentielle, quand les Boers la refusaient; maintenant que le Transvaal se rend et lui cède, il la regarde au contraire 'comme insuffisante. Rien n'était plus décourageant pour le Transvaal ni plus inquiétant pour la paix. En même temps à Johanesburg, l'Union nationale s'agitait; elle demandait que les forts de la république fussent démantelés et démolis et la population boer désarmée ; elle réclamait « des garanties matérielles plus solides que le simple papier des conventions » (3) (some material guarantee more substantial than mere paper conventions). M. Asquith devait le déclarer plus tard (Speech at Ashington, Times, 27 nov. 1899) « la diplomatie était empoisonnée et étouffée dans une atmosphère de suspicion ». A son tour, dans son discours sur l'Adresse, sir William Harcourt le note avec force. « Le président Krüger offre d'accepter toutes les propositions faites par sir Alfred Milner à Bloemfontein. C'est l'offre de la franchise de cinq ans, sous une condi. tion. Tout roule sur cette condition. Le président Krüger dit: Je vous ai donné tout ce que vous me demandiez. Vous devez à votre tour me donner l'assurance que ce ne sera pas un précédent pour une constante intervention, vous allez me donner l'assurance qu'à l'avenir vous respecterez l'indépendance dans la direction de nos propres affaires que vous m'avez garantie dans les conventions de 1881 et de 1884. Telle est la condition, et

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