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voir passer sa liste. Le parti radical-socialiste a obtenu une majorité accablante qui chaque année va augmenter. Comme les bourgmestres et leurs adjoints sont élus par le conseil municipal et comme celui-ci et ceux-là ont l'administration de la ville sans que le gouvernement puisse s'oppo. ser aux décisions prises par les bourgmestres avec l'approbation du conseil, on voit avec inquiétude les socialistes dominer le conseil et dans un proche avenir être à même d'occuper toutes les places de bourgmestre.

Ainsi la gauche et la droite sont d'accord qu'une réforme est nécessaire; la gauche propose de se borner à prescrire que les conseillers soient élus à l'élection proportionnelle; la droite, jugeant que la proposition de la gauche sera insuffisante, veut qu'on organise les élections à Copenhague comme elles le sont dans les provinces où le cens électoral est en vigueur pour l'élection d'une moitié des conseillers communaux.

Des dissentiments sur cette question et sur le droit de suffrage des femmes ont causé l'échec de la réforme.

EMILE HOLSOE,

Docteur en droit.

ANALYSES ET COMPTES RENDUS

Le vote plural et son application dans les élections belges. par Maxime MAURANGES, docteur en droit, attache à la Chancellerie.

in-8, 232 p. (Larose, éditeur, Paris, 1900).

1 vol.

Dans son article sur la « Crise de la science politique » (1), M. Deslandres se plaint de voir cette science presque complètement désertée aujourd'hui. Sans doute, c'est aussi notre avis, la science politique n'a pas encore, dans les programmes universitaires, dans la littérature juridique, dans les préoccupations de l'opinion publique, la place à laquelle elle aurait normalement le droit de prétendre; mais il faut reconnaître aussi que nous assistons sur ce point dans nos Facultés et au dehors, à une sorte de résurrection, trop timide encore, mais qui ne demande qu'à s'affirmer de plus en plus.

L'importante étude de M. Mauranges sur le Vote plural tiendra très honorablement sa place parmi les publications récentes où se manifeste la tendance progressive à aborder les questions politiques par leur côté juridique. L'établissement du doctorat politique dans nos Facultés de droit a certainement contribué pour une large part à cet état de choses, dont le développement pourrait peut-être aider puissamment à la solution de la crise de la science politique ». Nous n'avons pas la prétention de suivre dans tous ses détails l'étude si compréhensive de M. Mauranges. Nous nous bornerons à attirer l'attention du lecteur sur les parties les plus originales et les plus personnelles de cet ouvrage, I. Il s'agissait tout d'abord de situer pour ainsi dire le vote plural au milieu des diverses formes politiques plus ou moins analogues employées pour le recrutement des assemblées représentatives. Avant d'aborder l'étude d'une institution, il faut l'isoler, la différencier des institutions voisines, pour en saisir l'esprit même, et en dégager les principes directeurs. M. M. a abordé de front la difficulté et nous fournit une analyse juridique très fine, qui lui permet de distinguer d'une façon précise le vote plural d'une part, du vote multiple, du vote cumulatif, du vote à plusieurs degrés, du double vote, d'autre part (2).

a) Le vote plural est distinct du vote multiple. Dans le vote plural, l'électeur ne vote qu'une fois, mais le poids de ce vote unique est différent suivant la catégorie électorale à laquelle il appartient. Le vote multiple suppose au contraire un même électeur votant plusieurs fois, en des lieux différents, dans une période électorale donnée: il est encore pratiqué aujourd'hui, sur une échelle fort réduite d'ailleurs, en Angleterre, où sa présence s'explique surtout par des causes historiques: le lien entre le citoyen et un lieu déterminé constituant le fondement du droit de vote; dès lors que ce lien apparaît multiplié entre le même individu et plusieurs localités, il est naturel que le droit de vote soit en même temps multiplié. Dans la conception anglaise, le vote multiple constitue donc un mode de domination pour la puissance territoriale. Le vote plural tel qu'il nous apparaît en Belgique repose sur une conception beau

coup plus large.

b) Le vote cumulatif constitue un des procédés électoraux susceptibles

(1) Revue du dr. public, 1900, t. I, p. 5 et s.

(2) MAURANGES, op. cit., p. 36 et s.

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d'assurer la représentation proportionnelle des partis. Sans doute, il tend à ce résultat, mais il n'assure pas à la minorité nécessairement une représentation exactement proportionnelle à sa force numérique » (1); « il peut même accorder la majorité des députés à la minorité des electeurs (2); c'est en somme un moyen primitif de représentation proportionnelle. Ce système, qui implique le scrutin de liste, suppose que chaque électeur puisse porter sur son bulletin le nom d'un seul candidat, autant de fois répété qu'il y a de députés à élire. Ce système diffère du vote plural, et par son fonctionnement, et par les conceptions générales sur lesquelles il repose. Le vote plural s'accommode aussi bien du scrutin de liste que du suffrage uninominal; le vote cumulatif ne peut fonctionner qu'avec le premier de ces systèmes. Le vote plural suppose un législateur ayant établi à l'avance plusieurs classes parmi les électeurs, et ayant dosé l'importance de leur vote d'après l'importance sociale qu'il entend attacher à chacun d'eux; le système de vote cumulatif ne fait pas au contraire de catégories parmi les électeurs, mais tend seulement à obtenir pour la minorité de quelques éléments qu'elle se compose une représentation politique, qu'elle ne saurait obtenir avec certitude du suffrage majoritaire.

c) Le scrutin à deux ou plusieurs degrés suppose en général, comme le vote plural, l'existence d'électeurs jouissant pour une même élection d'une influence électorale supérieure à celle d'autres électeurs. Sous un régime de suffrage universel, tous les citoyens votent une première fois, puis choisissent parmi eux une élite d'électeurs, qui désigneront les représentants élus (1). Les électeurs primaires auront donc voté une seule fois; les électeurs secondaires, deux fois. Mais il y a, dans ce système, des divergences profondes qui le distingent du vote plural; celui-ci implique à sa base chez le législateur, nous le disions, cette conception d'après laquelle tous les citoyens n'ont pas une égale aptitude à participer au vote. Rien d'analogue à la base du scrutin à deux degrés: tous sont susceptibles de voter en premier lieu, susceptibles d'être désignés par les électeurs primaires comme électeurs secondaires. Le vote à deux degrés suppose donc le suffrage s'épurant lui-même, pour ainsi dire, reconnaissant de lui-même les supériorités qu'il renferme pour leur attribuer une influence électorale supérieure, indépendamment de toute action, de toute sélection préalable des pouvoirs publics. Le vote plural suppose, chez le législateur, moins de confiance dans le suffrage universel: c'est la loi elle-même qui se charge d'avance de cette détermination, d'après la base de l'âge, de la fortune, de la situation de famille.

d) Enfin le vote plural se différencie également du « double vote », cette institution, que Decazes fit aboutir chez nous par la célèbre loi du 29 juin 1820, et qui a retrouvé ces dernières années comme un regain d'actualité dans la loi électorale autrichienne de 1896, d'après laquelle tous les citoyens sont admis dans la cinquième Curie qui nomme un certain nombre de députés (72) s'ajoutant aux autres députés (353) élus par les quatre premières Curies. Dans ces deux systèmes, il y a double vote en ce que certains électeurs votent deux fois, dans deux collèges distincts, tandis que d'autres ne votent qu'une seule fois. Le vote plural implique toujours au contraire un seul vote, mais de poids différent suivant la catégorie à laquelle appartient l'électeur; avec le double vote, le même électeur a participé au choix de deux élus différents; le vote plural met l'électeur en présence d'un seul élu. Il semble que le double vote creuse par conséquent entre les diverses castes d'électeurs un fossé encore plus profond que celui qui résulte du vote plural, puisqu'il établit une sorte de hiérarchie non seulement entre les électeurs, mais encore entre les élus.

(1) MAURANGES, op. cit., p. 40.

(2) SARIPOLOS: l'Élection proportionnelle, 1899, t. II, p. 262.

Plusieurs de ces considérations paraîtront peut-être trop simples, trop élémentaires. Il est pourtant certain qu'il importait qu'elles fussent dites; M. M. a compris qu'avant d'aborder les problèmes abstraits et difficiles de son sujet, il fallait le délimiter, en l'entourant de frontières nettement tracées ; c'est dans un exposé alerte, vif et très clair qu'il fait le départ de ce qui appartient au vote plural et de ce qui forme le domaine des institutions voisines.

II. Quelle est la valeur théorique du vote plural? Peut-on l'asseoir sur une base juridique solide (1)? Partisans et adversaires du vote plural se sont livrés sur ce point à des controverses en général purement verbales. Si le vote constitue une fonction, a-t-on dit, la justification du vote plural est bien simple, l'Etat accordant les fonctions publiques à sa guise, et pouvant attribuer à telle ou telle classe d'électeurs-fonctionnaires » une participation plus ou moins importante à la votation. L'Etat désigne qui bon lui semble comme préfet ou sous-préfet, et confère à ces diverses classes de fonctionnaires le degré de participation aux affaires publiques qu'il juge convenable. Il se comporterait d'une façon identique vis-à-vis des électeurs. — Au contraire, ajoute-t-on, si le vote constitue un droit pour l'électeur, « les citoyens ont le droit de participer chacun, et au même titre, à la formation du pouvoir politique » (2); et, conclut-on, le vote plural ne saurait être justifié (3).

Nous considérons cette manière de voir comme insuffisante au point de vue théorique. Et tout d'abord il ne suffit pas de dire que le vote constitue un droit pour qu'on soit fondé à condamner le vote plural. N'y a-t il donc pas des droits qui sont répartis entre les individus d'après des proportions variables? Suffit-il de dire que la propriété constitue un droit pour établir entre les hommes l'égalité de la propriété ? Droit n'implique pas forcément égalité dans l'exercice du droit. Le vote peut donc être un droit, mais son exercice peut être conféré avec une intensité différente à diverses classes sociales. L'existence de droits exclut-elle d'ailleurs l'intervention, souvent puissante de l'Etat ? Ne voit-on pas celui-ci réglementer, modifier, accentuer, supprimer des droits? La propriété cesse-t-elle d'être un droit parce que l'Etat a le pouvoir juridique d'en dépouiller les individus? Les incapacités qui suivent les condamnations judiciaires ne sont-elles pas des entraves mises par l'Etat à l'exercice des droits ? L'existence d'un droit n'implique donc nullement égalité de fait, mais seulement égalité d'aptitude. Tout individu normal est aujourd'hui apte à être propriétaire, créancier, etc.... parce qu'il s'agit là de droits, et que la Révolution française a posé, à la base de notre droit public, le principe de l'égalité des droits, c'est-à-dire de l'égalité des aptitudes juridiques. De même, cette égalité dans le droit de vote ne sera pas rompue par le fonctionnement du vote plural, si l'organisation du système ne crée pas de castes fermées, mais laisse à chacune une aptitude égale à passer d'une classe dans l'autre. L'égalité de droits n'est pas rompue parce qu'il y a des riches et des pauvres, à raison de ce fait que le pauvre a une aptitude juridique à devenir riche; de même l'égalité des droits ne sera pas rompue par le fait qu'il y aura des électeurs dont le vote pèsera deux ou trois fois plus que le vote des autres, si on laisse à ces derniers une aptitude juridique égale à passer dans les classes supérieures. Le fait de considérer le vote comme un droit n'exclut donc pas le vote plural.

Mais il faut ajouter aussi que le fait de le regarder comme une fonction n'assure pas fatalement la justification du vote plural. Tout dépend de la législation

(1) MAURANGES, op. cit., p. 56.

(2) MAURANGES, op. cit., p. 59.

(3) Cf. sur ces questions la thèse de M. Duguet, Paris, 1900, p. 11 et s.

objective du pays où l'on considère la « fonction électorale ». Il se peut que l'octroi de cette fonction soit regardé comme une concession gracieuse, comme une faveur du souverain et sous un pareil régime, ce n'est pas seulement le vote plural qui sera justifié, mais encore le vote censitaire, et même la suppression de tout vote, puisque le souverain ne peut être contraint juridiquement à octroyer une faveur. Mais il se peut aussi que la législation appelle également tous les citoyens à l'exercice de cette fonction; en somme, que l'idée du vote-fonction n'exclue pas l'idée du vote-droit. Il n'y a en effet aucune antinomie nécessaire entre la fonction et le droit (1). Il semble bien d'ailleurs aujourd'hui que cette discussion un peu surannée sur le vote, droit ou fonction, tende à perdre de son importance, pour faire place à une notion nouvelle, élaborée par la science allemande, celle des organes » de l'Etat (2).

M. Mauranges pèse, avec perspicacité, les avantages et les vices théoriques de l'institution du vote plural. Il arrive à l'écarter, à l'aide d'une considération ingénieuse qui repose sur une analyse exacte du rôle de l'électeur. On concevrait, dit-il, le vote plural si le bulletin de vote constituait une participation de l'élec teur à la législation. Si le peuple devait voter comme sous les régimes du gouvernement direct ou semi-représentatif (3) -sur les mesures législatives elles-mêmes, M. M. ne serait peut-être pas éloigné de se rallier au vote plural ̧ Il en est autrement sous un régime de gouvernement représentatif: là, le rôle des électeurs se borne à désigner ceux qui légifèreront, mais les électeurs euxmèmes ne participent à aucun titre à l'œuvre législative. Sans doute, s'il s'agissait de légiférer, on pourrait admettre la nécessité de graduer l'importance des votes suivant la capacité des votants, les questions de réglementation législative ne pouvant pas être résolues par des masses ignorantes, trop souvent aveuglées par la passion ou dans tous les cas trop inexpérimentées (4). Sous le régime représentatif, au contraire, où les électeurs n'ont qu'à désigner par leurs votes les législateurs, il est, pour M. M., vraisemblable que tous les citoyens ont une compétence égale sur ce point. Il s'agit seulement de savoir si X... est honnête et capable de légiférer pour trancher cette question fort simple, il n'est pas nécessaire, pour M. M., de graduer les votes. On voit donc que notre auteur écarte le vote plural à raison mème de sa conception réduite du vote (5).

On pourrait peut-être répondre à M. M. que, sans doute, la raison d'être du vote plural diminue à mesure que diminue la signification et l'importance du scrutin; mais si la masse électorale est incapable de discerner les meilleures solutions des problèmes législatifs, ne devra-t-on pas lui témoigner encore de la méfiance, quoiqu'à un moindre degré sans doute, lorsqu'il s'agira de choisir les hommes qui seront chargés de résoudre les mêmes problèmes. Pour se rendre compte si un individu est compétent sur un sujet donné, ne faut-il pas être compétent soi-même sur ce même sujet ? Les divers jurys chargés de faire un choix parmi les candidats aux diverses carrières ne sont-ils pas composés de personnages tout spécialement choisis parmi les plus compétents de ceux qui appartiennent déjà aux carrières en question? Pour désigner les législateurs en connaissance

(1) MAURANGES, op. cit., p. 18-57.

(2) Cf. notamment Jellinek, System der subjectiven æffentlichen Rechte, 1892, p. 152. (3) C'est une expression de M. Esmein qui tend à passer dans la terminologie constitutionnelle. Revue du droit public, 1894. t. I, p. 25.

(4) MONTESQUIEU: Esprit des lois, liv. X¡(Euvres, éd. LABOULAYE, t. IV, p. 13). « Il y avait un grand vice dans la plupart des anciennes républiques : c'est que le peuple avait droit d'v prendre des résolutions actives... : ce dont il est entièrement incapable. »

(5) C'est d'ailleurs la conception qui tend à dominer aujourd'hui dans la doctrine: Cf. DESLANDRES, La crise de la Science politique, Revue du droit public, 1900. n° 1, p. 29-30; SARIPOLOS, op. cit., liv. II, chap. I, § 2, et les autres auteurs cités par Deslandres, ibid., p. 30, n. 2.

REVUE DU DROIT PUBLIC.

T. XV

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