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au premier rang les vertus de travail et d'épargne. De ce côté la France a réalisé des progrès sensibles, à preuve les quatre milliards des caisses d'épargne, la dissémination des titres de rente et des chemins de fer, le nombre des petites, propriétés foncières. En même temps, il est vrai, se manifeste, moins sensible encore qu'aux Etats-Unis et en Angleterre, une tendance à la concentration industrielle et financière ; mais ces courants ont leurs bons côtés, et d'ailleurs ils se font au profit d'associations plutôt qu'au profit d'individus.

Un autre mouvement est la baisse continue de l'intérêt, due à l'accroissement des capitaux offerts par l'épargne; elle rend le travail plus nécessaire; mais, d'un autre côté, elle entraîne la baisse des prix et le ralentissement du commerce en général, qui sont des maux. Les salaires des travailleurs ont au contraire augmenté grâce aux machines surtout; mieux payés, ils sont devenus capables d'un travail plus productif et meilleur ; la durée du travail a même pu être diminuée On objecte que la vie est plus chère, mais les salaires ont reçu une augmentation plus forte que la cherté de la vie; et, bien que le pauvre souffre toujours plus vivement de la richesse du riche, il s'est beaucoup rapproché de l'aisance.

Le Français est trop universaliste et trop égalitaire pour pratiquer activement l'association. Pourtant le mouvement coopératif, moins vif qu'en Italie et en Allemagne, s'est accentué ; les sociétés anonymes, les syndicats professionnels sont nombreux, et les groupements modernes, moins exclusifs que l'ancienne corporation, n'absorbent pas toute la personnalité, lui laissent la faculté de s'agréger à d'autres associations. Le nombre même et le succès des associations tempérera ce qu'elles ont pu avoir d'agressif,

Les institutions charitables de toutes sortes se multiplient et l'Etat les aide de cent manières, en attendant que de libres associations le remplacent dans ce rôle.

Tels sont les signes principaux qui manifestent l'élaboration d'une société où il y aura plus de justice, où la richesse sera plus largement étendue et la propriété plus également répartie.

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F. BRUNETIÈRE. Encore le baccalauréat (liv. du 1er juillet 1899, p. 177194). Le rapport de M. Pozzi, au nom de la commission sénatoriale chargée d'examiner la proposition de M. Combes sur les sanctions de l'enseignement secondaire, n'est qu'un plaidoyer partial contre le baccalauréat. Il lui reproche de donner aux professeurs de faculté un travail écrasant et qui dénature leurs fonctions, comme si ce travail ne rentrait pas dans les fonctions connues des facultés; de comporter une part énorme de hasard, ce qui est le cas de tous les examens et concours; d'imposer au candidat un terrible effort pour emmagasiner un programme démesuré, mais, de près, cet examen n'est pas si formidable; enfin, de constituer, pour les familles, un mandarinat social, ce qui est la faute des familles surtout.

M. Brunetière reproche autre chose au baccalauréat, c'est qu'il paraît être quelque chose, et que pourtant il n'est rien, ni certificat d'études, ni examen de capacité, ni examen d'Etat. A ce défaut ne remédie pas le projet de M. Combes qui institue un certificat d'études pour les enfants qui auront étudié dans les lycées et collèges,' un examen devant un jury d'Etat pour les autres, et qui assimile aux études classiques les études modernes, jadis créées pour détourner les jeunes Français des carrières dites libérales.

Il faut donc autre chose. Si l'enseignement secondaire doit servir de préparation à l'enseignement supérieur dans lequel il ne faut compter ni le droit ni la médecine qui ne sont que du haut enseignement professionnel, la réforme essentielle serait de supprimer le programme spécial du baccalauréat, de donner à celui-ci les programmes des classes de rhétorique et de philosophie, de s'assu

rer que ces deux classes sont bien et complètement faites par les maîtres. On pourrait aussi réduire l'examen à des épreuves écrites. On pourrait même supprimer le baccalauréat et lui substituer des examens de carrière; solution qui, entre autres avantages, ferait cesser la question du baccalauréat moderne, et assurerait l'indispensable liberté de l'enseignement.

ARTHUR DESJARDINS.- La Conférence de La Haye et l'arbitrage international (liv, du 1er sept. 1899, p. 5-26). M. D. étudie spécialement les travaux de la troisième commission de la Conférence. La Russie avait rédigé des • Eléments pour l'élaboration d'un projet de convention ». Les puissances signataires décideraient d'avoir recours à une médiation avant tout appel aux armes, autant que les circonstances l'admettraient, et elles déclaraient utile une offre de médiation dans tout conflit naissant. Dès le début, des divergences apparais sent dans le comité chargé de l'examen préalable, les uns cherchant à assurer par des règles fixes la solution pacifique des litiges internationaux, les autres voulant atténuer encore les termes du projet russe, le comité se bornant à déclarer utile l'institution de commission internationale d'enquête. La 3 commission fut encore plus timide et réserva les intérêts essentiels des Etats et les circon. stances particulières. Elle vota aussi une recommandation pour un nouveau cas de médiation, chaque puissance en conflit devant choisir une autre puissance comme intermédiaire avec son adversaire. Ainsi, la médiation garde son carac tère facultatif, mais sa sphère d'action a été agrandie; c'est un résultat notable. La Russie proposa aussi un projet déclarant l'arbitrage désirable dans tous les cas, obligatoire dans quelques-uns. Ce projet fut d'abord bien accueilli par le comité, mais bientôt l'Allemagne, suivie par la Turquie et l'Italie, déclara qu'elle n'était pas en état d'accepter l'arbitrage obligatoire. L'idée de l'obligation échoua.

Enfin, la Conférence a accepté l'idée, proposée par l'Angleterre, d'une Cour permanente d'arbitrage, dont l'existence sera rappelée, au début de tout conflit, aux puissances intéressées.

Il est donc inexact que la Conférence ait avorté. Elle a donné des résultats positifs et que l'avenir développera comme il a fait pour d'autres principes du droit international qui ont eu des commencements tout aussi modestes, par exemple celui de l'abolition de la traite.

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G. GOYAU. L'unité italienne et l'Italie du Sud-Est (liv. du 1er sept. 1899, pp. 187-216). L'unité italienne a eu pour résultat, entre autres, de déposséder Naples de sa qualité de capitale et de réaliser la mainmise politique et économique de l'Italie du Nord sur l'Italie du Sud. Celle-ci, passive, illettrée, routinière, n'a pas eu à se féliciter de l'unité enfin acquise. Elle s'est laissée aller à déboiser, à réduire ses troupeaux, à étendre excessivement la culture du blé et de la vigne, et malgré quelques intelligentes et courageuses initiatives, elle a recueilli des déceptions et des souffrances. Le coup le plus terrible, venu de la politique extérieure, a été la rupture des relations commerciales avec la France qui lui achetait beaucoup de vin. En même temps les impôts augmentaient et l'Etat semblait oublier que l'Italie méridionale avait des besoins urgents auxquels il devait satisfaction. Pourtant, il lui a accordé un point important par la conclusion d'un traité de commerce qui lui rend pour ses vins un débouché que nul autre n'avait remplacé.

E. LAMY.- La France du Levant. VI. Les chances d'avenir (liv. du 25 sept. 1899, pp. 306-344). - Pour défendre notre situation menacée, il faut d'abord opter entre le Turc et les races chrétiennes, et opter pour celles-ci, car le Turc a déjà placé ailleurs son amitié. La principale difficulté vient des races elles-mêmes,

multiples et rivales pour l'hégémonie; mais les menées politiques de la Russie et de l'Autriche, le sentiment de l'impuissance que cause la division, tout les encourage à cesser les luttes pour l'hégémonie et à travailler pour l'union égale. C'est à quoi nous devons et pouvons les aider, tandis que les autres puissances arrachent au Sultan des avantages particuliers; et si notre gouvernement n'est pas libre de tous ses actes, nos penseurs et nos écrivains peuvent prêter à leurs vœux, qui au surplus sont l'expression des idées françaises, leur puissant appui. Il y a aussi l'action religieuse. Mis en concurrence avec toutes les autres confessions, le catholicisme a triomphé de toutes, notamment au point de vue de l'instruction et de la charité, et sa victoire est une victoire française, puisque presque tous les religieux catholiques d'Orient sont français. Cette victoire a sans doute affaibli le sentiment religieux, émoussé par la coexistence de tant de religions, mais elle a affaibli aussi le fanatisme et même elle a attaqué l'Islam en lui formant des femmes nouvelles qui orientent la famille vers la monogamie. En même temps qu'elle attaque l'Islam par le seul accès qu'il permette, elle permet au catholicisme de travailler à rétablir l'unité entre les confessions chrétiennes. Celles-ci ont été longtemps identifiées avec les nations, par le Turc et par ellesmêmes. Il faut les en séparer, pour permettre l'action catholique sur toutes, et cependant conserver toutes les garanties extérieures. C'est dans ce but que Rome et la France ont obtenu la création de plusieurs patriarches, que des séminaires ont été fondés pour instruire un clergé insuffisant et étudier les traditions et les rites, et là encore c'est la France qui a fourni les maîtres les plus zélés et les plus capables. Ainsi disparaissent les préjugés de l'Orient contre l'Occident, ainsi se prépare la réunion de l'Orient au catholicisme, à laquelle la Russie devrait se donner l'honneur et l'avantage de contribuer. La France, qui là-bas s'appelle le catholicisme, est appelée à bénéficier de ces changements.

A. FOUILLÉE.

Le peuple espagnol (liv. du 1er oct. 1899, pp. 481-510). La théorie matérialiste de l'histoire ne s'applique pas à l'Espagne où le caractère, les mœurs et les croyances jouent le principal rôle.

Au physique et au moral, il y a plusieurs Espagnes qui cependant forment bien une Espagne. L'Espagnol a jusque dans son caractère quelque chose d'âpre comme la brise de ses sierras, de dur comme son sol, de brûlant comme son soleil. Placée à la rencontre de deux continents, l'Espagne a été peuplée par des races diverses qui se sont fondues. Séparées de l'Europe par des montagnes difficiles, privées de moyens de communication, elles se sont repliées en elles-mêmes, se sont attachées à la terre, se sont montrées tenaces et indomptables. L'établissement germanique versa dans le sang espagnol un élément d'individualisme et de sociabilité tout ensemble. Ces diverses influences ethniques ont formé le tempérament et le caractère de l'Espagnol : bilieux-nerveux, passions violentes et concentrées, sensibilité et amour-propre, loyauté, sentiment de la dignité et de l'honneur, généreux et hospitalier, dureté aussi, imagination forte et bornée qui donne en religion le fanatisme, en amour la jalousie, aspiration au noble et au grand, régionalisme. La religion en Espagne n'est pas métaphysique ni même morale; elle est surtout ritualiste, et elle a un vif esprit de prosélytisme conquérant. La langue a gardé une sonorité emphatique où s'exprime bien le génie national. La littérature est essentiellement chevaleresque et romanesque, ce qui n'exclut pas le don de l'observation même naturaliste; la peinture, de même, bien que la tendance naturaliste soit plus marquée. La philosophie n'a guère de représentants en Espagne.' La dégénérescence du caractère national eut des causes multiples, à la fois physiques et morales. Physiques, parce que la race fut atteinte jusque dans son sang, dont elle avait follement dépensé la partie la plus pure et la plus vitale. Elle s'était, par plusieurs voies, vidée elle-même de ses éléments supérieurs.

L'Inquisition détruisit un grand nombre de familles d'élite; les guerres de Charles-Quint et les conquêtes en Amérique emportèrent les éléments les plus généreux de la vie nationale; l'expulsion des Juifs et des Maures priva l'Espagne de populations actives et laborieuses. Morales aussi la découverte de l'Amérique : produisit la cupidité, la confiance dans la chance, la paresse; la guerre des Communes sous Charles-Quint prépara la ruine des libertés publiques ; la répression sanglante du protestantisme sous Philippe II acheva de ruiner la liberté de conscience; l'unité politique fut acquise au prix de l'activité spirituelle, de la sincérité, de la dignité personnelle, de l'essor industriel et commercial.

Selon la tradition populaire, Dieu a refusé à l'Espagne un bon gouvernement. Elle n'a jamais eu une bonne justice; le fonctionnarisme y est une plaie ; les impôts rendent l'épargne impossible: les classes supérieures et les classes infėrieures sont également incapables de progrès économique, et la misère provoque l'émigration.

On a souvent expliqué par la race, la race latine, la triste condition des colonies espagnoles en Amérique. Mais il y reste bien peu de sang espagnol; leur malheur est dû surtout au climat et à l'absence des qualités qui font les colonisateurs, le génie industriel et l'ambition insatiable.

Actuellement, l'Espagne, a encore, pour l'intelligenceet la volonté, d'immenses ressources. Sa population augmente et la nécessité est toujours la grande maîtresse de l'industrie. Sa défiance et sa fierté à l'égard de l'étranger ne peuvent durer, et dès qu'elle sera instruite, elle sera changée. Son armée est toujours vaillante. Son industrie commence à se relever. Son sol est riche. Elle commence à se rendre compte de la valeur du travail, de la moralité, de la culture, et ainsi se rapproche des voies qui conduisent à la prospérité.

G. BONET-MAURY. — L'école primaire en Angleterre (liv. du 15 oct.1899, pp. 841-876). - Pendant longtemps, la profession de l'enseignement en Angleterre a été aussi libre que toute autre; aussi était-elle mal exercée maîtres insuffisants, discipline féroce. Vers le commencement de ce siècle, deux associations religieuses s'efforcèrent d'améliorer les écoles, sans émouvoir encore les pouvoirs publics. C'est Henry Brougham qui, signalé déjà par d'importantes initiatives pour l'éducation des classes ouvrières, obtint, en 1833, une subvention pour les écoles des deux sociétés et une loi déclarant obligatoire une école auprès de chaque fabrique. En 1839, le gouvernement créa un comité du Conseil privé pour la gestion des fonds votés par le Parlement; puis successivement furent fondés différents comités d'inspection et même un ministère de l'instruction publique, des écoles normales; en même temps, des règlements étaient rédigés.

Cependant, jusqu'en 1870, l'enseignement primaire était resté aux mains du clergé anglican ou d'associations protestantes, et l'obligation n'existait que pour les enfants de troupe ou de fabrique, les pupilles des écoles industrielles, des workhouses et des maisons de correction. A partir de cette époque, tout change: l'école primaire devient une affaire de l'Etat, qui tend à lui donner un caractère neutre, obligatoire et gratuit. Mais le Parlement britannique a mis plus de vingt ans à réaliser ce programme et s'est efforcé de ménager les écoles libres. Sept lois ont été nécessaires. On a commencé par accorder une subvention à toute école, officielle ou libre, sous des conditions qui se réduisent au respect absolu de la liberté religieuse; l'enseignement religieux conservé dans la plupart des écoles a perdu tout caractère confessionnel propre et est seulement chrétien dans le sens le plus étendu du mot.

L'obligation scolaire a été réglée par des lois de 1876 et 1880; elle est entière de cinq à dix ans ; de dix à treize, des exemptions partielles peuvent être accordées.

La gratuité, sous forme de subvention aux écoles qui la pratiquent, a été établie en 1889 en Ecosse, en 1891 en Angleterre.

Le Parlement s'est également occupé de l'instruction des infirmes et des adultes.

Le résultat général a été un accroissement considérable du nombre des écoles et de leur population.

D'un autre côté, l'Etat a pourvu au recrutement des maîtres en encourageant les écoles normales et le système des élèves-maîtres, en accordant une retraite aux instituteurs, en organisant l'inspection des écoles, en contrôlant le recrutement des maîtres avec la sanction qui découle du système des subventions.

En somme, l'école anglaise se ressent de ses origines ecclésiastiques et elle doit encore beaucoup à l'initiative privée. Mais, depuis soixante ans, un mouvement s'est dessiné vers l'unité et la sécularisation. Il reste un pas à faire : que l'Etat assume les charges de l'école. En attendant, certaines anomalies sont saillantes: inégalité de ressources entre les écoles libres et celles établies par les bureaux scolaires, antagonisme et rivalité, misérable état de nombreuses écoles villageoises, extrême diversité des règlements, situation inférieure des instituteurs. Il reste enfin la question confessionnelle; depuis quelques années, le clergé anglican manifeste des velléités d'accaparer la direction au moins religieuse de toutes les écoles, et les libéraux se plaignent que le principe de neutralité ne soit pas respecté. L'Etat aura sans doute à intervenir dans cette difficulté.

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CH. BENOIST. Le pouvoir judiciaire dans la démocratie (liv. du 15 octobre 1899, pp. 905-923). – Malgré la célèbre formule de Montesquieu, les trois pouvoirs ne demeurent pas séparés, et nous assistons à une confusion anarchique qui peut nous mener soit à la tyrannie parlementaire, soit à la tyrannie judi. ciaire. Aussi est-il d'un intérêt immédiat de s'occuper du pouvoir judiciaire, de rechercher ce qu'il est, ce qu'il doit être particulièrement dans une démocratie. Il est possible que, théoriquement, la justice ne soit pas un pouvoir spécial; en fait, son existence autonome, antérieure même à celle du pouvoir législatif, n'est pas contestable. Son histoire montre comment cette fonction particulière s'est détachée des autres au point de devenir un pouvoir séparé. L'isoler des autres est cependant impossible; mais il faut poser des bornes et fixer la mesure imposée à l'action de chaque pouvoir.

La monarchie offre pour cette mission le pouvoir modérateur, le pouvoir royal. La démocratie n'en a pas l'équivalent, malgré le Tribunal des conflits et la Cour de cassation, car qui garantira le justiciable contre le juge, contre l'abus du droit de justice dans un intérêt politique? La solution a été trouvée par la démo. eratie des Etats-Unis. La Cour suprême garde les libertés constitutionnelles, non par des décisions de principe, mais par les décisions spéciales à chaque procès soutenu par le citoyen menacé. Les juridictions inférieures sont appelées à un rôle analogue.

Il faudrait à la France une institution semblable à la Cour suprême américaine. On conserverait la nomination des juges par l'Exécutif; mais pour protége celui-ci contre la féodalité parlementaire qui s'organise, les nominations devraient être faites sur l'avis de la Cour suprême.

Ainsi serait restauré le pouvoir modérateur qui manque à la démocratie.

FÉLIX MOREAU,

Professeur à la Faculté de droit d'Aix-Marseille.

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