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<< sujets ou habitants de la Finlande. » L'Empereur doit à la Pologne une « administration distincte »; mais il est, d'après ce texte, le seul juge de l'extension que cette administration prendra, tandis que, à la Finlande, il a promis le respect de ses « lois constitutionnelles. » La Pologne est morcelée entre la Russie, l'Autriche, la Prusse; sa nationalité par conséquent est perdue. La Finlande, au contraire, garde son intégrité nationale et la Russie la devait respecter à ce point qu'en 1811, Alexandre le lui remit la province de Viborg, seule partie de sa nationalité qui lui manquât. Enfin la cession de la Pologne résultait d'un contrat auquel elle n'était pas partie, l'Acte de Vienne, tandis que le rattachement de la Finlande procédait de sa volonté même, dans la séance solennelle de la Diète de Borgo, où l'Empereur, lui ayant promis directement et à elle-même le respect de sa constitution, avait reçu d'elle en échange la promesse de rester toujours fidèle aux Tsars. Par cela même qu'il avait négocié d'elle directement sa cession au lieu de la stipuler de la Suède, Alexandre Ier l'avait élevée au rang d'Etat. Certains auteurs ont dit qu'il ne pouvait s'annexer la Finlande que par un traité de paix, parce que l'annexion ne peut être le fait unilatéral de l'occupant (1). C'est mal comprendre la question. Ce n'est pas d'un acte unilatéral d'Alexandre les que la rattachement de la Finlande à la Russie procède, mais d'un acte bilatéral, l'échange des volontés de la Finlande et du Tsar à la Diète de Borgo. Ce n'est pas d'une annexion, mais d'une sécession que le rattachement procède. Généralement les sécessionnistes sont obligés de lutter pour obtenir leur indépendance, tandis que les Finlandais n'avaient qu'à déposer les armes pour recevoir la leur, la Russie se chargeant de faire échec à la Suède. Généralement aussi, les sécessionnistes demandent la plénitude de l'indépendance, tandis que la Finlande consentait à former, sous l'autorité perpétuelle des Tsars, une nation qui «libre à l'intérieur » était enfermée, au point de vue extérieur, dans l'orbite russe. Mais ces deux circonstances de détail ne sont pas capables de modifier la nature de l'opération. La déclaration de Borgo résume dans une synthèse rapide deux actes que l'analyse juridique aperçoit séparément : par le premier, la Finlande se détache de

(1) Cpr. notamment CORSI, La questione finlandese, p. 7.

la Suède et s'érige en Etat indépendant; par le second, elle entre, avec cette qualité, dans l'Empire russe. Ainsi, l'acte de Borgo se suffit à lui-même. Il n'y avait pas plus à attendre le consentement de la Suède qu'il n'y eut à attendre plus tard le consentement de la Hollande pour la formation du royaume de Belgique.

Le traité de Frederickshamn, qui mit fin à la guerre avec la Suède (17 septembre 1809), n'avait pas à s'occuper de la question finlandaise, sauf pour enregistrer les faits accomplis. Certains auteurs se sont étonnés de n'y pas trouver les promesses faites à la Finlande reproduites avec la même précision et la même force qu'à la Diète de Borgo. Tandis qu'à la Diète de Borgo le Tsar avait promis le respect des lois fondamentales et élevé la Finlande au rang des nations, le traité de Frederickshamn se contente d'une simple allusion aux « preuves les plus manifestes de clémence et de justice que l'Empereur de Russie avait données aux habitants de ce pays en leur assurant généreusement et spontanément le libre exercice de leur religion, de leurs droits de propriété et de leurs privilèges, de sorte que S. M. suédoise se trouvait dispensée du droit, d'ailleurs sacré, de faire des réserves en faveur de ses anciens sujets >> (art. 6). Mieux que tout autre argument, cette référence à des actes antérieurs prouve que la question finlandaise a été tout entière et définitivement réglée, non pas à Frederickshamn, entre la Suède et la Russie, mais à Borgo, entre la Finlande et le Tsar. Le plénipotentiaire suédois Stedingk tenta, il est vrai, de présenter autrement les choses. Il réclama avec beaucoup d'opiniâtreté et d'insistance « un article qui assurât à la Finlande la liberté de son culte, ses lois et ses privilèges ». Il citait en sa faveur l'exemple de divers traités où il se trouve, en effet, que la puissance qui cède des provinces stipule toujours en faveur des sujets auxquels elle renonce ». Mais le plénipotentiaire russe, Rumjantzoff, s'y opposa de toutes ses forces. Il l'a raconté lui-même : «je ne disconvins pas de ce qu'il citoit juste, mais il me fut aisé de lui montrer le peu d'analogie de toutes les acquisitions précédentes à celles que venoit de faire Votre Majesté Impériale; écrit-il à l'Empereur. Elle avoit conquis l'amour des Finlandois, Elle s'est présentée parmi eux comme leur maître, avant le traité; Elle a reçu Elle-même le serment

de leur fidélité; Elle a ouvert, comme leur souverain, les Etats de leur Grand-Duché ». Et le plénipotentiaire de conclure: « cet argument m'a bien servi » (1). Il ne sert pas moins les intérêts de la Finlande. Si le Tsar est Grand-Duc de la Finlande avant le traité, de qui tient-il ses droits, sinon de la Finlande elle-même, et s'il les tient de la Finlande, comment celle-ci n'est-elle pas un Etat ? En vain, M. Ordin, M. de Martens et d'autres jurisconsultes (2) voudraient-ils faire remonter la cession de la Finlande au traité de Frederickshamn. La correspondance de Rumjantzoff avec l'Empereur ne le permet pas. « Mon principe, dit-il, était de montrer Votre Majesté comme maître de la Finlande avant le traité ». Le traité de Frederickshamn déclare, il est vrai, que la Finlande est incorporée à l'Empire de Russie, tandis qu'à la Diète de Borgo l'Empereur avait proclamé qu'il l'élevait au rang de nation, et l'on s'en est autorisé pour dire qu'à la paix de Frederickshamn l'Empereur avait modifié ses intentions et changé son titre. Mais c'est à tort qu'Ordin s'attache à la formule du traité plutôt qu'à la formule de la Diète, car la première n'exclut pas la seconde et toutes deux, puisqu'elles le peuvent, doivent se concilier. Dans l'acte solennel de Borgo, le Tsar avait élevé la Finlande au rang d'Etat, mais uniquement dans l'intérieur de l'empire et vis-à-vis de la seule Russie, de sorte qu'au point de vue des relations extérieures et vis-à-vis des Etats étrangers, la Finlande ne se distinguait pas de la Russie. Ainsi s'expliquent deux choses: la première, que la Finlande ne fût pas partie au traité, la seconde, que Tsar pût, vis-à-vis de la Suède, considérer la Finlande comme incorporée à son empire, parce que vis-à-vis des tiers la Finlande et la Russie ne font qu'un.

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Tout le processus historique qui vient d'être décrit aboutit à cette conclusion qu'on ne peut assimiler la Finlande à la province d'un pays unitaire, province qui peut être douée d'une autonomie très étendue, mais dont juridiquement les droits et l'existence même en tant que province distincte restent à la merci de l'Etat auquel elle est incorporée. Ce n'est

(1) DANIELSON, op. cit., p. 170.

(2) ORDIN, d'après DANIELSON, loc. cit. de MARTENS, Le droit international des nations civilisées (trad. Leo), I, p. 325. BORNHAK, Allgemeine Staatslehre, p. 209. JELLINEK, Theorie der Staatenverbind ungen, p. 71 et 204.

pas seulement le texte des déclarations impériales ci-dessus rapportées qui protesterait contre une semblable interprétation, ce sont aussi les circonstances dans lesquelles ces déclarations sont intervenues. Elles n'ont pas suivi l'incorporation, elles l'ont devancée; elles n'ont pas eu pour objet de régler par voie de législation intérieure une province déjà annexée, mais de provoquer un accord dont la Russie profiterait aussi bien que la Finlande; elles ont été non pas précédées, mais suivies du serment de fidélité prêté par les Finlandais et ont procuré au Tsar un avantage politique important, en détachant la Finlande de la Suède avant que celle-ci eût déposé les armes. Ce serait se mettre en contradiction avec le principe. le plus certain du droit international, — celui qu'un souverain peut volontairement se lier par un contrat passé avec un pays non incorporé à son Empire, que de ne pas tenir compte aujourd'hui de ces solennelles promesses. Nous croyons que toute théorie juridique qui aboutirait à les annuler en pratique se mettrait en contradiction avec la réalité des faits.

C'est ici le lieu de faire remarquer, pour achever l'exposé des faits qui doivent servir à déterminer la situation de la Finlande, que les lois fondamentales confirmées par Alexandre Ier, déclarent elles-mêmes qu'elles ne peuvent être abrogées ou modifiées sans le consentement des Etats, et que, soixante ans plus tard, ce même principe a été à nouveau formulé d'une manière expresse par l'empereur Alexandre II dans la loi organique de la Diète (1). Le Tsar n'a donc pas entendu réserver soit à lui-même, soit à l'Empire dont il était le représentant, le droit de les modifier par un acte unilatéral. Il a accepté loyalement une couronne de souverain constitutionnel et a, par là-même, séparé très nettement sa qualité de Grand-Duc de Finlande de sa qualité d'Empereur de Russie.

Les faits une fois constatés, la seule tàche du droit consiste à les analyser de manière à les ramener, s'il se peut, à une catégorie juridique déjà existante, ou, si cela est impossible,

(1) Loi organique de la Diète, confirmée par l'Empereur Alexandre II, le 3/15 avril 1869, art. 71 : Aucune loi fondamentale ne pourra être faite, modifiée, interprétée ou abrogée que sur la proposition de l'Empereur Grand-Duc et du consentement de tous les ordres.

de manière à dégager les conséquences qui, d'après les principes généraux, doivent en découler. Il n'est point prouvé que le droit public ait déjà prévu et classé tous les types possibles de rapports entre les divers organismes politiques. Nous pouvons donc aborder avec une entière liberté d'esprit la question de savoir à quelle catégorie appartient le rapport juridique de la Finlande et de la Russie. S'il n'appartient à aucune catégorie connue, si le droit public ne nous fournit aucun exemple complètement semblable, nous ne nous en inquièterons pas outre mesure, surtout nous n'y verrons pas une raison de nier les droits de la Finlande. S'ils ont été souvent mis en doute, c'est qu'au lieu de s'élargir sous la pression des faits, les méthodes du droit public se sont ici presque toujours montrées étroites, autoritaires et tyranniques. Deux raisons principales tendent à la négation des libertés finlandaises l'histoire nous enseigne que d'autres Etats, placés en quelque portion sous une autorité étrangère, n'ont pas tardé, peu à peu, insensiblement, à s'enfoncer davantage sous cette autorité. Tous ceux qui ont quelque souci de l'histoire croient, à voir évoluer d'autres Etats, que la Finlande est destinée à se laisser absorber comme eux par l'autorité dominante, et par conséquent à disparaître peu à peu dans l'orbite russe. Ceux, au contraire, qui préfèrent aux évolutions historiques les constructions logiques trouvent dans le cas de la Finlande, souveraine à l'intérieur, mais non à l'extérieur, des anomalies qui contredisent leurs systèmes et déroulent leurs théories. C'est dans le fatalisme de l'histoire et dans l'outrancière logique des formules à priori que le travail extra-juridique des Ordin et des Elenew a trouvé ses meilleurs appuis. Certains publicistes - et des plus distingués ont qualifié ces questions de subtilités juridiques (1). Subtilités, c'est possible; mais c'est dans ces subtilités que se trouvent les racines profondes du système que le panslavisme oppose aux libertés finlandaises.

Est-il possible d'envisager la condition de la Finlande visà-vis de la Russie sans céder à ce fatalisme de l'histoire et à

(1) CHRISTIAN SCHEFER, Débats du 15 mars 1899, cité par DELPECH, La question finlandaise, loc. cit., p. 556.

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