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lumières en matière financière eussent été tout particulièrement précieuses au Conseil fédéral au moment de la grosse opération du rachat des chemins de fer. M. Ador, qui remplit actuellement les fonctions de commissaire général de la Suisse à l'Exposition universelle, ne trouva pas chez ses collègues genevois du parti radical l'appui qu'il eût été fondé à en attendre et déclina cette candidature. La gauche reporta ses voix sur un de ses leaders, M. Comtesse, membre du gouvernement de Neuchâtel, qui fut naturellement élu et prit le portefeuille des finances.

Le Conseil fédéral continue ainsi à être composé de six radicaux, dont le Président de la Confédération pour 1900, M. Hauser, et d'un conservateur catholique, M. Zemp, de Lucerne, chef du département des Postes et Chemins de fer.

II. RACHAT DES CHEMINS DE FER. La chronique de l'an passé a déjà exposé les difficultés qui se sont élevées entre la Confédération et diverses compagnies de chemins de fer relativement au mode de calcul de leur indemnité de rachat.

Ces difficultés ont été tranchées en partie par le Tribunal fédéral en ce qui concerne les deux compagnies du Central-Suisse et du Nord-Est. Sur les points les plus importants ce Tribunal a donné raison à la Confédération. Il a posé notamment les deux principes suivants, conformes aux conclusions du gouvernement :

1. Pour évaluer le produit net, dont le chiffre sert de base au calcul de l'indemnité de rachat pour une partie des lignes suisses, on ne doit faire entrer en ligne de compte que les chiffres se rapportant à l'exploitation proprement dite des transports, et non pas les recettes et dépenses ayant trait à l'administration financière de l'entreprise, notamment pas l'intérêt des emprunts et, sauf quelques exceptions, les différences de cours.

2. Pour évaluer le capital de premier établissement qui constitue la norme minima de l'indemnité de rachat on ne doit tenir compte que des sommes dépensées pour l'établissement des lignes et du matériel, c'està-dire les frais primitifs des installations existantes. Il y a lieu d'exclure de ce capital toutes les dépenses faites pour se procurer des fonds, ainsi que la valeur de construction d'installations détruites ou enlevées, et les frais de simple renouvellement. Lorsque la ligne a passé successivement entre plusieurs mains, le capital de premier établissement à rembourser au dernier acquéreur consiste exclusivement dans ce qu'il a lui-même payé, sans qu'il puisse être tenu compte des frais primitifs d'établissement payés par son ou ses antépossesseurs.

On voit sans peine combien l'application de ces principes est avantageuse pour la Confédération. Le Département fédéral des chemins de fer estime à 38 millions la diminution que cette décision fera subir aux prétentions des deux seules compagnies du Central et du Nord-Est.

Le Tribunal fédéral a jugé, d'autre part, contrairement aux conclusions du Conseil fédéral, que la loi sur la comptabilité (voir Revue de 1899, p. 514) n'était applicable pour la détermination du prix de rachat que pour autant que les concessions ne contenaient pas de dispositions contraires.

De même, il a déclaré prématurées les conclusions du Conseil fédéral tendant à la détermination des moins-values subies par les installations existantes par suite d'usure ou autres causes.

L'autorité fédérale a dù commencer en 1899 à se préoccuper des moyens de réunir le capital suffisant pour le paiement des indemnités de rachat. Les Chambres ont autorisé dans leur session de juin le Conseil fédéral à émettre des titres de rente fédérale 3 1/2 0/0 jusqu'à concurrence de 200 millions de francs, et à changer ces titres contre des obligations de che mins de fer. L'opération n'a eu qu'un succès relatif, malgré la commission de 1 1/4 0/0 allouée aux établissements financiers chargés de la conversion, malgré aussi le fait que la Confédération prenait à sa charge le remboursement des droits de timbre aux détenteurs d'obligations allemands (fr. 6 0/00) et français (fr. 10 0/00). En six mois un quart seulement de l'emprunt était placé, exactement fr. 51.072.000. L'on est encore loin du milliard approximativement nécessaire pour la réalisation de la grande œuvre si allégrement votée par le peuple le 20 février 1898.

Il est bon d'ajouter que la Confédération avait déjà racheté, antérieurement à la conversion de 1899, pour 29 millions environ d'obligations de chemins de fer suisses et 38 1/2 millions d'actions du Jura-Simplon.

L'insuccès relatif de l'emprunt et le renchérissement continu du prix de l'argent ont engagé le Conseil fédéral à examiner si, au lieu de rembourser au moment du rachat les emprunts des Compagnies, la Confédération ne pourrait pas se charger sans autre du service de ces emprunts et se mettre ainsi au bénéfice de leurs délais conventionnels de remboursement. Elle a demandé sur ce point une consultation à deux juristes, dont un professeur à l'Université de Strasbourg, qui ont conclu que les obligataires n'avaient pas le droit d'exiger le remboursement de leurs titres au moment de la prise de possession des lignes par la Confédération (1er mai 1903). Inutile de dire que ces conclusions sont vivement controversées les juristes sans attaches spéciales avec le Gouvernement fédé ral s'accordent généralement à trouver qu'elles s'appuient sur une interprétation plutôt extensive des texes légaux cités et qu'il n'est rien moins que certain que le Tribunal fédéral les fasse siennes, lorsqu'il sera saisi de la question à propos d'un cas concret. Il est à remarquer que, durant toute la campagne référendaire du rachat et jusqu'à une époque toute récente, le Conseil fédéral, suivant en ceci l'opinion de la commission d'experts qui avait examiné le côté financier de l'opération - n'avait jamais paru mettre en doute l'obligation pour la Confédération de dénoncer tous les emprunts des Compagnies pour le jour de sa mise en possession des lignes rachetées.

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En dépit du succès relatif de ses procès devant le Tribunal fédéral, le Conseil fédéral commence à se rendre compte des risques qu'il court en laissant fixer en justice le montant des indemnités de rachat. Il revient à la voie préconisée par plusieurs adversaires, non pas du principe même du rachat, mais de son mode de réalisation d'après la loi de 1897, celle de l'entente amiable avec les Compagnies dont le rachat est dénoncé. Des pourparlers ont eu lieu avec le Central, au cours desquels le Conseil fédé

ral offrit fr. 700 par action, mais cette offre fut refusée et la transaction n'aboutit pas. Si l'on rapproche ce chiffre de celui de fr. 543.10, indiqué pour l'acquisition de ces mêmes actions du Central dans le message du Conseil fédéral à l'appui de la loi sur le rachat, on voit à quel point les adversaires de cette loi avaient raison lorsqu'ils mettaient le peuple en garde contre l'élasticité des calculs officiels et l'énorme aléa de l'opération.

L'ère des difficultés annoncées par les adversaires du rachat, notamment par le regretté et trop clairvoyant Numa Droz, ne fait d'ailleurs que commencer. De tous côtés s'élèvent les petits nuages noirs. En un moment où les finances fédérales sont dans une phase assez critique, le Conseil fédéral est obligé de prévoir qu'il y aura lieu d'inscrire au budget dès maintenant jusqu'en 1903 plusieurs centaines de mille francs pour les frais du personnel chargé de préparer et exécuter le transfert des lignes principales. Le chef du Département fédéral des finances constate, d'autre part, que, obligé de ménager ses deniers en vue du rachat, il a dù renoncer à profiter des occasions de placements particulièrement avantageuses de ces derniers mois. Puis ce sont les employés de chemins de fer qui réclament la réduction de la durée du travail. Enfin ce sont les traitements des futurs employés fédéraux des chemins de fer qu'il faut songer à fixer, et déjà le projet de loi élaboré à cet effet a été, de la part des intéressés, l'objet de critiques très àpres. Une loi fédérale sur la durée du travail dans les che mins de fer, en chantier au moment du vote du rachat, subit également le contre-coup de la situation nouvelle dans laquelle se trouve la Confédération de protectrice attitrée du personnel contre les Compagnies, elle est en passe de devenir patron et, du coup, elle examine de beaucoup plus près et dans le sens du minimum de dépense possible les desiderata de ses futurs employés. Il ne lui convient plus de consacrer à cette amélioration du sort des employés les cinq millions, qui constituaient le bénéfice escompté par le message du rachat. Mais encore faut-il compter avec les députés, désireux de ne pas nuire à leur popularité auprès d'un personnel qui se compose malgré tout d'électeurs !

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Le Conseil fédéral a déposé aussi en 1899 un projet de loi sur les tarifs des chemins de fer fédéraux. Il n'a pas laissé que de causer ainsi quelque déception à ceux qui pensaient que le rachat aurait pour effet immédiat une baisse sensible du prix des transports.

On remarque notamment que, alors que la Confédération imposait aux Compagnies pour le transport des voyageurs, dans les concessions les plus récentes, la taxe kilométrique de 10, 7 et 5 (suivant les classes), elle adopte pour ses propres lignes la taxe de 10,4, 7,3 et 5,2 centimes. On se plaint beaucoup aussi dans les milieux commerciaux de ce que le projet ne donne aucune garantie au maintien du tarif actuel, fort avantageux, des abonnements généraux: il se borne à déclarer qu'il y aura des abonnements, mais n'en indique pas le prix. Il ne semble pas douteux, surtout après l'échec des réclamations faites à ce sujet par diverses associations commerciales, que l'intention du Département fédéral des chemins de fer soit bien d'augmenter le prix de ces abonnements dont la

faveur croissante était pour l'inquiéter quant au rendement de ses lignes. Les Compagnies de chemins de fer secondaires non rachetés font entendre aussi leurs doléances. On leur avait promis une loi spéciale leur accordant certaines facilités au point de vue de leur exploitation, La loi est venue, mais on sent qu'elle émane d'une concurrente elle a limité les facilités attendues à un minimum. Le Conseil fédéral bat d'ailleurs très froid aux sollicitations pressantes desdits chemins secondaires réclamant des subventions. Il a fait plus grise mine encore lorsqu'ils ont demandé que la loi sur les tarifs leur donnât la garantie que, à égalité de prix, les marchandises circuleraient sur leurs lignes et non sur les lignes fédérales lorsque le trajet le plus court passe par leur réseau.

Toutes ces questions ouvrent les yeux à bien des admirateurs enthousiastes du rachat. Si le vote du 20 février 1898 était à refaire, l'acceptation de la loi n'aurait certainement pas le caractère triomphal qu'elle eut alors.

Ill. L'UNIFICATION DU DROIT CIVIL ET PÉNAL. L'élaboration du Code civil fédéral suit son cours paisiblement. Le titre du droit des personnes et de famille, et celui du droit des choses sont achevés et ont été soumis à des commissions d'experts. Le droit de succession est en élaboration. Quant au projet de Code pénal, il a été publié il y a déjà quelques années, avant même chose assez singulière la Confédération ait obtenu constitutionnellement le droit de légiférer en la matière.

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que

L'opinion publique semble se désintéresser jusqu'ici de ces projets. Cela tient en grande partie à ce qu'ils s'élaborent dans un certain mystère et sont à peine connus de la grande majorité des juristes. Il est donc malaisé de prévoir exactement l'accueil que la population leur fera lorsque l'œuvre sera définitivement prête et soumise à la délibération des Chambres. Depuis quelques années le peuple suisse a paru attacher une importance moindre que par le passé à l'introduction de principes nouveaux dans notre droit constitutionnel; mais il réserve d'autant plus son attention à l'application que font de ces principes les lois élaborées en vertu des révisions acceptées par lui de la Constitution fédérale. Il n'y aurait rien de surprenant que, mis inopinément en demeure de choisir entre ses anciennes législations traditionnelles et une codification posant des principes entièrement nouveaux, il ne se laisse aller à un de ces accès de méfiance dont il est coutumier et ne mette à vau-l'eau l'œuvre savante des juristes de la couronne et de ses législateurs. Les fédéralistes, qui n'ont pas vu sans regret le droit de légiférer sur d'aussi importantes matières être enlevé aux Etats confédérés, s'en consoleraient sans peine.

Pour autant cependant que l'on peut pronostiquer en cette matière, il est à croire que le nouveau Code civil tout au moins, qui semble conçu selon des idées assez larges et libérales et avec un sérieux souci de ne mécontenter aucun groupement de race ou de religion, a de grandes chances de tourner le cap dangereux du referendum.

Le Conseil fédéral espère pouvoir déposer avant la fin de la présente année sur le bureau des Chambres le projet définitif des deux Codes.

IV. LA LOI SUR LES ASSURANCES CONTRE LA MALADIE ET LES ACCIDENTS.

C'est plutôt à notre successeur, le chroniqueur de 1900, qu'il appartiendrait de parler de cette loi. Si, en effet, c'est en octobre 1899 que les Chambres l'ont définitivement adoptée après des péripéties qui ont duré plusieurs années, c'est en 1900 qu'elle a fourni matière aux préoccupations de l'opinion publique. Ce fut une conséquence de la demande de referendum qui a abouti au vote énergiquement négatif du 20 mai 1900.

La loi destinée à un aussi lamentable échec devant le souverain avait cependant été votée par les Chambres à l'unanimité, moins l'unique voix de M. le conseiller national Odier, de Genève. Elle semblait donc répondre à un sérieux mouvement d'opinion. Aussi bien la loi eût-elle passé peut-être inaperçue si ses partisans n'avaient pas d'emblée fort maladroitement manifesté leur crainte de la voir mettre en discussion devant le peuple. Cette tactique souleva les méfiances de ceux qui, sans parti pris, avaient suggéré l'idée assez naturelle de soumettre aux électeurs une œuvre législative de cette importance. Et malgré tout, comme aucun des partis traditionnels ne paraissait disposé à prendre l'initiative de cette consultation populaire, on put croire un moment que le referendum ne serait pas demandé, d'autant que l'échéance du délai référendaire tombait à l'époque du renouvellement de l'année, en un moment où, en Suisse comme en tout pays, les choses de la politique apparaissent comme d'un intérêt secondaire. Cependant, grâce à l'initiative de quelques citoyens émancipés des cadres ordinaires des partis, les feuilles de referendum firent leur apparition vers le milieu de novembre. Elles trouvèrent un accueil inattendu dans les milieux les plus divergents : le Comité fédéraliste vaudois, les associations de secours mutuels neuchateloises, plusieurs sociétés ouvrières de la Suisse orientale, enfin et surtout les paysans de la Suisse centrale et du pays bernois, en dépit de la pression intense exercée sur eux en sens contraire par le Comité de l'Union des Paysans, une association beaucoup plus politique qu'agricole. De telle sorte que, au lieu d'obtenir les 30.000 signatures légales auxquelles prétendaient seulement les initiateurs du mouvement, on apprit vers la fin de l'année que plus de cent mille avaient été recueillies. Ce succès considérable indiquait avec netteté une orientation hostile du corps électoral, que confirma la votation finale. La campagne électorale qui a précédé ce plébiscite est l'une des plus intéressantes à beaucoup d'égards qu'on ait vues en Suisse. Nous laissons au chroniqueur de 1900 le soin d'en relater les phases qui constituent une intéressante contribution à l'histoire de nos institutions démocratiques.

V. SITUATION FINANCIÈRE DE LA CONFÉDÉRATION. L'état des finances fédérales est loin d'être brillant. Nous renvoyons, en ce qui concerne les causes de cette situation, à ce qui a été dit par le chroniqueur de 1898. Pour faire face aux dépenses des assurances et à celles sans cesse crois. santes des divers services fédéraux, le Conseil fédéral a proposé aux Chambres, en juin 1899, outre diverses économies, l'établissement du monopole du tabac. Il estime à 9 1/2 millions de francs le produit net de ce mono. pole. Le Conseil fédéral repousse par contre l'impôt fédéral sur la bière

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