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préconisé par un groupe d'agriculteurs qui voient avant tout dans cet impôt un des moyens de parer à la mévente des vins. D'après lui, un tel impôt, pour donner un résultat équivalent à celui prévu pour le monopole du tabac, devrait être de fr. 4 par hectolitre, ce qui serait fatal à la masse des petits débitants ainsi qu'aux brasseries de moyenne importance. Le Conseil fédéral n'ajoute pas, mais cela se lit entre les lignes, que l'impôt sur la bière, frappant un objet de consommation sans cesse croissante. serait impopulaire au premier chef et destiné à un échec certain en cas de referendum.

Quoique le projet du Conseil fédéral, pour se concilier les Etats confédérés, ait prévu une répartition entre eux, au prorata de leur population, du quart du produit du monopole du tabac, ce projet d'impôt a reçu des Chambres, dans leur session d'automne 1899, un accueil plus que froid. La majorité a redouté de lier le sort de la loi d'assurances à ce monopole qui outre qu'il eut mis fin à une industrie florissante où sont engagés d'importants intérêts — aurait certainement rencontré dans le peuple, très fumeur, une opposition vive, accrue de l'antipathie de plus en plus marquée pour toute extension de la bureaucratie. Se refusant à créer les ressources nouvelles dont le rapport du Conseil fédéral leur avait démontré l'impérieuse nécessité, les Chambres ont dû se rabattre sur les économies. Mais il faut reconnaître que l'effort qu'elles ont tenté en ce sens a totalement manqué de sérieux et de conviction. Au lieu de réduire carrément une série de branches gourmandes, résultat d'extensions souvent inconstitutionnelles et en tout cas inopportunes des compétences fédérales, elles se sont bornées, dans leur session d'automne 1899, à décréter le programme de réforme financière suivant : 1o Réduction de fr. 100.000 à fr. 50.000 de l'allocation à l'encouragement aux beaux-arts (Cette décision a provoqué une agitation très vive parmi les artistes suisses les juristes s'en émeuvent moins, car, en réalité, la Confédération n'est pas autorisée par la Constitution à dépenser un seul centime pour les beaux-arts, question qui ressort exclusivement de la compétence des Etats confédérés); 2o réduction dès 1904 à un million de francs du maximum des dépenses annuelles pour certains travaux publics; 3° certaines économies sur l'instruction du landsturm, le troisième ban de l'armée fédérale ; 4o suspension de l'élaboration des lois fédérales sur les forêts et le contrôle des denrées alimentaires; 5o élimination plus sévère au recrutement des hommes physique. ment insuffisants; 6o surtaxe de 20 centimes sur les colis postaux provenant de l'étranger; 7o réduction des indemnités de transport des membres des Chambres et commissions fédérales.

Il est à remarquer que le budget militaire est fort peu touché par ce programme. Le Conseil fédéral avait nettement déclaré que sur ce point aucune économie importante ne lui paraissait possible et que, bien au contraire, la transformation prochaine du matériel de l'artillerie de campagne nécessiterait sous peu une grosse, mais inéluctable dépense. Malgré certaines tentatives de l'extrême-gauche, les Chambres ont heureusement appuyé sar ce point les idées du Conseil fédéral. La guerre du Transvaal, que la Suisse tout entière a suivie avec un intérêt passionné et une sym,

pathie non dissimulée pour les deux courageuses Républiques, n'est sans doute pas étrangère au mouvement très marqué de l'opinion contre toute apparence de désarmement. Le peuple suisse se rend compte que, plus que jamais, la méfiance armée est pour les petits Etats la base la plus sûre de la politique internationale.

VI. LA BANQUE NATIONALE.

A la suite du rejet par le peuple du projet de loi créant une Banque d'Etat, l'Union suisse du commerce et de l'industrie avait élaboré un projet de banque strictement commerciale quoique contrôlée par la Confédération. Le Conseil fédéral n'a pas fait sien ce projet, et a présenté aux Chambres une banque prétendue mixte, qui ressemble singulièrement à la Banque d'Etat rejetée au vote populaire. Ce nouveau projet fait en effet aux Etats confédérés et au capital privé une part (les 2/3) pour la constitution du capital, la Confédération prenant le troisième tiers: mais cette part est en réalité illusoire puisqu'aucune mesure n'est prise pour assurer la souscription par ces deux ordres de participants de la quote-part qui leur est attribuée, et que la Confédération se réserve le droit de prendre elle-même toute la part du capital non souscrite par les Etats ou les particuliers. Toute l'administration de cette banque est d'ailleurs organisée de manière à enlever aux représentants des Etats et surtout du capital privé toute influence sérieuse sur la marche de l'établissement. En somme, c'est une pure banque politique que l'on entend créer.

Dans sa session de juin 1899, le Conseil national a cependant adopté ce projet, en renchérissant sur l'extension de l'influence gouvernementale dans les conseils de la banque. Mais ce vote est loin de constituer une victoire : aux 82 oui se sont opposés 23 non et 30 abstentions, ce qui est symptomatique. Chose curieuse, la question qui a le plus divisé l'assemblée et le plus contribué au résultat, c'est celle de la détermination du siège de la Banque Berne et Zurich sont en opposition et ont l'une et l'autre des partisans pour lesquels le choix de la cité qu'ils préconisent est la condition sine qua non de leur acceptation du projet de loi, quel qu'il soit.Zurich a pour elle tous les députés de la Suisse orientale, Berne ceux du puissant Etat de Berne et de la Suisse romande. C'est cette dernière ville qui l'a emporté au Conseil national, mais il est douteux qu'il en soit de même au Conseil des Etats. Si l'on veut éviter dans la mesure du possible toute influence politique sur la marche de la banque et la mettre à même de rendre au monde des affaires les services qu'il en attend, il semble que Zurich, la grande cité industrielle et commerciale, devrait l'emporter, Berne étant jusqu'ici restée très en dehors du courant financier et industriel.

Le Conseil des Etats ne se presse d'ailleurs point de s'occuper de cet épineux objet: le referendum sur les assurances a rendu la gauche prudente et l'on se rend compte que, sur la question de la Banque centrale, il y aura de larges concessions à faire aux idées libérales si l'on veut aboutir.

L'Union vaudoise du commerce et de l'industrie indique comme suit les

points sur lesquels devraient porter, au minimum, ces concessions: 1o obligation pour la Confédération de rétrocéder aux Etats et aux particuliers, qui en feraient la demande, la part originairement non souscrite du tiers réservé au capital privé; 2° exclusion de tout dépôt à intérêt, afin de ne pas nuire aux établissements existants; 3° limitation légale du montant de l'émission; 40 obligation pour la banque de rembourser ses billets aux succursales aussi bien qu'au siège central; 5o extension des compétences de l'assemblée des actionnaires privés; 6° obligation pour le Conseil fédéral de s'en tenir pour les nominations aux présentations en nombre triple des conseils de la banque ; 7o répartition du fonds de réserve à toutes les catégories de porteurs de parts (Confédération, Etats, particuliers), en cas de remise de la banque à la Confédération.

VII. DOUBLE INITIATIVE. On appelle de ce nom les deux pétitions relatives à l'introduction du système proportionnel pour les élections du Conseil national et à l'élection du Conseil fédéral par le peuple. D'après la Constitution actuelle, les conseillers nationaux sont nommés au scrutin de liste dans les divers arrondissements et à la majorité absolue, tout au moins au premier tour; le Conseil fédéral est nommé par les deux Chambres réunies. Les « initiants » demandent que les conseillers nationaux soient élus selon le mode proportionnel, chaque Etat formant un arrondissement; ils demandent en outre que le Conseil fédéral, porté de 7 à membres (dont 2 pour la Suisse romande) soit élu au scrutin de liste par l'ensemble du corps électoral fédéral.

L'initiative sur la réprésentation proportionnelle a réuni 64.478 signatures; celle sur l'élection du Conseil fédéral 56.031 : d'après la Constitution, il suffit de 50.000 signatures pour que la question soit obligatoirement soumise à l'acceptation des Etats et du peuple, après préavis des Chambres. Celles-ci sont actuellement nanties de cet objet, auquel le rejet de la loi sur les assurances donne un grand regain d'intérêt et d'actualité. La représentation proportionnelle est soutenue par la droite catholique, les conservateurs-libéraux protestants et le parti ouvrier; la gauche radicale y fait une opposition désespérée et assez maladroite, montrant trop que ce ne sont point des raisons de principe qui la guident, mais bien l'exclusif souci de conserver sa prépondérance au Parlement fédéral.

Les conservateurs libéraux se séparent par contre des catholiques et des ouvriers sur la question de l'élection du Conseil fédéral par le peuple. Ils voient un grave inconvénient à enlever aux Etats confédérés la part d'influence qu'ils exercent actuellement, par le moyen du Conseil des Etats, sur l'élection du pouvoir exécutif. Ils craignent aussi de donner à celui-ci vis à-vis des gouvernements confédérés un prestige et une prépondérance qu'aucun palliatif ne saurait compenser. Ils font observer enfin qu'il ne serait pas sans inconvénient de faire procéder de l'élection populaire les magistrats chargés de nos relations extérieures.

Les Chambres viennent de préaviser auprès du peuple et des Etats pour le rejet des deux initiatives (juin 1900). Qu'en sera-t-il du vote populaire? c'est ce qu'il est plus difficile de pronostiquer. S'il est certain que la

représentation proportionnelle fait de sérieux progrès en Suisse (les Etats de Zug, Soleure, Bâle-Ville, Tessin, Neuchâtel et Genève l'ont déjà introduite pour l'élection de leurs corps législatifs, et Saint-Gall et Berne ne sont pas loin de le faire), il est douteux cependant que l'institution soit encore assez comprise et appréciée par la masse pour que sa cause puisse être considérée comme actuellement gagnée. En tout cas, la lutte sera très chaude. Quant à l'élection du Conseil fédéral par le peuple, on s'attend généralement au rejet; mais, là aussi, il faut réserver les surprises. La votation aura probablement lieu en automne 1900.

A noter, à propos de « la proportionnelle », comme on dit couramment, un intéressant arrêt de droit public rendu l'an dernier par le Tribunal fédéral. Par voie d'initiative, 2.000 citoyens bâlois avaient demandé l'introduction de ce mode d'élection pour le Grand Conseil de l'Etat. Le peuple bâlois avait accepté cette modification à la Constitution; sur quoi, le Grand Conseil, qui avait préavisé pour le rejet, élabora une loi introduisant la proportionnelle, mais introduisant en même temps le vote obligatoire. Il espérait ainsi faire échec à la loi tout entière et amener les électeurs à repousser l'organisation du vote proportionnel dont ils avaient sanctionné le principe. Un groupe d'«< initiants » fit un recours de droit public au Tribunal fédéral contre cette loi, prétendant qu'elle comportait une atteinte indirecte à leur droit constitutionnel d'initiative. La haute Cour fédérale leur a donné raison et cassé comme inconstitutionnelle la loi par laquelle le législateur bàlois avait excédé et dénaturé le mandat impératif de révision que lui avait donné le corps électoral.

VIII. RAPPORTS INTERNATIONAUX. Depuis quelques années, la Suisse a reçu à plusieurs reprises la mission très honorable d'arbitrer certains différends internationaux. Le plus souvent, le gouvernement fédéral a confié ces arbitrages à des membres du Tribunal fédéral.

Ce mode de faire n'est pas sans avoir certains inconvénients qui ont été relevés cette année, en Suisse même, avec une certaine vivacité. Les juges fédéraux chargés d'arbitrages internationaux ne sont point pour cela dispensés de remplir leurs fonctions ordinaires, qui, par suite de l'extension continuelle de la législation fédérale, deviennent chaque jour plus absorbantes. Il en résulte forcément des lenteurs de procédure. L'impatience causée aux plaideurs par ces longueurs ont eu leur écho jusqu'au Parlement britannique, où lord Salisbury a critiqué les retards subis par la décision arbitrale relative à l'affaire du chemin de fer de Delagoa-Bay. Le jugement a été rendu depuis lors. On sait que la presse britannique, qui fondait de grands espoirs sur cette sentence au point de vue d'une mainmise possible de la Grande-Bretagne sur la ligne de Delagoa à la frontière transvaalienne, a manifesté avec quelque excès son mécontentement au sujet de la minimité de l'indemnité imposée par les arbitres au gouvernement portugais. Le premier moment de déception passé, un examen plus attentif du jugement a dù convaincre les créanciers anglais et américains de la rigoureuse équité qui avait présidé à la fixation de cette indemnité. Il n'en demeure pas moins que l'instruction de cette affaire a été démesurément longue.

L'arbitrage relatif aux prétentions de divers créanciers français, anglais, américains, etc., du Pérou sur le produit de gisements de guanos confisqués par le Chili à la suite de la guerre de 1879 est également pendant devant trois juges du Tribunal fédéral depuis plusieurs années. Le Conseil fédéral a dû recevoir à ce sujet, si nous sommes bien informé, d'amicales demandes de renseignements des ministres de Grande-Bretagne et des Etats-Unis. Il y a lieu de croire que la solution de cet important litige est également prochaine.

Le rapport de gestion des Chambres pour 1899 s'est fait l'écho de l'opinion actuellement dominante que la Confédération ne devrait à l'avenir accepter des arbitrages qu'avec circonspection et, en tout cas, choisir pour arbitres des personnes que leurs fonctions publiques ordinaires ne privent pas des loisirs nécessaires à l'accomplissement d'une telle mission.

Les délégués de la Suisse au Congrès de La Haye n'ont pas adhéré, conformément à leurs instructions, à la convention concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre. Le Conseil fédéral n'a pas voulu sanctionner la disposition de cette convention qui refuse à la population d'un terri toire occupé par l'ennemi la qualité de belligérante et ne reconnaît comme tel, outre l'armée régulière, que les volontaires commandés par une personne responsable et portant un signe distinctif fixe et reconnaissable à distance. Avec raison, le gouvernement fédéral a vu dans ces règles une atteinte au droit imprescriptible des nations d'assurer leur défense contre un envahisseur, même par une organisation locale et improvisée. Quoique en fait, depuis l'organisation régulière du landsturm, cette question n'ait plus pour notre pays une grande importance pratique, on ne peut que s'incliner devant les raisons très respectables d'ordre sentimental et traditionnel qui ont dicté l'attitude du Conseil fédéral sur ce point. Il n'y a pas de doute qu'elle ne soit ratifiée par les Chambres.

Quant aux autres conventions de la Haye, la Suisse y a donné son adhésion et elle ne sera certainement pas combattue au Parlement.

La Confédération s'est fait représenter au Congrès de la Haye sur les règles de droit civil international. Disons à ce propos que la convention de la Haye relative à la procédure civile est loin de rencontrer dans le monde suisse des affaires une approbation bien chaleureuse on lui reproche la suppression de la « cautio judicatum solvi », la récupération des dépens contre un demandeur domicilié à l'étranger étant le plus souvent absolument chimérique à raison des formalités compliquées et des frais qu'elle

entraîne.

:

Un mouvement s'est produit dès l'an passé en faveur de la révision des traités d'établissement conclus par la Suisse. Beaucoup de citoyens se plaignent de l'avantage qu'ont dans notre pays, vis-à-vis des nationaux astreints au service, les étrangers qui en sont exemptés chez eux. Ils demandent que l'établissement soit dorénavant refusé à tout étranger qui ne justifie pas avoir rempli dans son pays les obligations du service personnel ou satisfait au paiement d'une taxe équivalente. Le département politique fédéral a déclaré récemment, par la bouche du président de la Confédération, M. Hauser, qu'il était très disposé à entrer dans cette voie. Des

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