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semaine, logement et nourriture, soit quatre repas par jour, dont trois composés de viandes.

Il était quatre heures de l'après-midi; à des tables couvertes de nappes er. toile cirée blanche, proprement servies, les ouvriers buvaient du thé, mangeant à discrétion du pain blanc et du pain noir avec du bon beurre bien frais et des gâteaux au choix.

Et voilà nous dit M. Hanson, avec un soupir, déjà nous avons des réclama<<tions. La plupart des hommes que vous voyez sont des Scandinaves, Norwégiens, « Suédois, que nous tirons de la misère dans leur pays natal, où ils ont à peine à manger du gros pain de seigle et du lard. Au commencement, ils sont << enchantés; cependant, peu à peu, ils deviennent exigeants et, si la viande n'est « pas de première qualité ou le pain tout à fait frais, ils n'hésitent pas à faire voir leur mauvaise humeur, et se plaignent de la qualité inférieure de la nour

<< riture ».

Aussi, faisons-en incidemment la remarque, la question posée par M. Carrol D. Wright, au sujet de l'alimentation de l'ouvrier américain est la suivante :

Quel tort un excès de consommation de viande peut-il causer à la santé du travailleur ?

Dans notre vieille société européenne se dresse un problème autrement redoutable à résoudre :

Quelle est la composition moyenne de l'alimentation ouvrière ?

Le travail n'est-il pas impuissant à atteindre l'équilibre alimentaire d'un individu d'une taille et d'un poids normaux, et dont l'équilibre ne parvient à s'établir qu'aux prix d'une dégradation du type du travailleur ?

M. Hector Denis, examinant les fondements biologiques de la question sociale, expliqué au moyen de chiffres et de données positives, que l'efficacité productive des différentes nations et des diverses races se lie intimement à leur régime, à leur Standard of life, et avant tout, à leur alimentation.

Ainsi, nous trouvons l'ouvrier du « Far-West » gagnant en moyenne 15 francs par jour et dépensant environ 15 francs par semaine pour sa pension. Il lui reste une dernière dépense nécessaire ses vêtements. Ceux-ci, contrairement à une opinion généralement répandue, ne coûtent pas, toute proportion gardée, plus cher qu'en Europe.

Il peut donc faire des économies, puisque, le plus souvent, célibataire, il n'a pas charge de famille; il placera son argent à la Banque, ou achètera des obligations de ville, de comté ou d'Etat (City, County, State bonds), placement assuré, rapportant un intérêt de 8 0/0; ou bien, désireux de posséder un petit immeuble, il s'arrangera de manière à acheter un lopin de terre et il se construira un cottage.

Nous nous attendions conséquemment à voir fonctionner de nombreuses caisses d'épargne, le modeste travailleur se trouver à la tête d'un petit pécule, destiné à le protéger contre les suites fàcheuses de la maladie, du chômages contre les accidents de la vie en général.

Quelles désillusions !

Rien de tout cela ne se rencontre dans l'Ouest. L'ouvrier imprévoyant dissipe follement son gros. alaire, ne conserve aucune poire pour la soif et joue parfois en une heure le poduit du travail de toute une semaine. Les maisons de jeux sont alimentées, non pas par la classe instruite ou élevée, mais par la population ouvrière. Parcourez le soir une des villes du Pacific Slope, (Seatle, Tacoma, Portland), les maisons de jeux y sont aussi remplies que le sont chez nous les cabarets, les dimanches et jour de fête. La police, impuissante à les fermer, se borne à une surveillance paternelle.

Dans l'Etat de Washington, il est défendu, sous peine d'amende, de.... fumer des cigarettes; mais les jeux de hasard y sont tolérés, sans restriction aucune. C'est, paraît-il, un vice national.

Que manque-t-il donc à cet homme si privilégié, le travailleur du Far West? L'esprit de famille, mais surtout l'esprit d'économie, l'épargne.

Combien Laurent avait raison de dire et de répéter, que propager l'épargne dans un pays, c'est contribuer à la moralisation des classes laborieuses (Les sociétés ouvrières de Gand, p. 167).

Mais les statistiques démontrent, pour la Belgique du moins, que l'ouvrier ne va pas de lui-même à la Caisse d'épargne.

Le patron est obligé de lui venir en aide et de remplir envers lui l'office de tuteur. La tâche qui exige le plus d'efforts persévérants, c'est d'amener l'ouvrier par la persuation à faire volontairement, sur son salaire, une petite part à l'épargne.

A cet effet, on a provoqué en Belgique la création de Comités de patronage, composés d'industriels qui se chargent de cette œuvre de persuation, et qui servent d'intermédiaires pour les versements et les retraits des fonds. Cet essai a été couronné de succès.

L'organisation de l'épargne scolaire est plus importante encore, et nous croyons inutile d'insister.

Toutefois, suivant la remarque si judicieuse de Laurent, le véritable esprit de l'épargne consiste dans la suppression des dépenses inutiles, et non dans l'accumulation de deniers recueillis exprès pour être versés à la caisse.

Si l'ouvrier américain consentait à supprimer ses dépenses inutiles, et surtout la passion du jeu, il pourrait se dire à bon droit l'homme le plus libre et l'un des heureux de cette terre, qui a cessé d'être pour lui une vallée de larmes. Il y a urgence à ce qu'on enseigne dans les écoles l'épargne, cette qualité si précieusemais si difficile à acquérir; elle devrait faire partie du programme des études, tout comme la gymnastique et l'histoire.

L'exemple de ce qui se passe dans l'ouest de l'Union américaine, démontre de plus en plus que l'accroissement de droits entraîne pour l'ouvrier, et également pour le patron, une augmentation de devoirs, sous peine de voir frapper de stérilité les meilleures réformes.

L'examen du salaire réel et de l'équilibre du budget ouvrier amène la distinction entre le pouvoir commercial et le pouvoir social de l'argent, le premier correspondant à la somme de marchandises qu'achète une somme de monnaie (c'est lui qui détermine le salaire réel) et le second à la somme d'argent nécessaire pour soutenir une certaine situation sociale. On répète partout en Europe : « La vie est chère aux Etats-Unis ; l'ouvrier gagne peut-être plus qu'en Europe, mais il dépense davantage ».

Il dépense, en effet, plus d'argent qu'en France, mais c'est parce qu'il veut et même parce qu'il doit, pour ne pas être mal vu de ses pairs, régler sa vie sur un type.

En résumé, la nourriture absorbe la moitié, au moins les deux cinquièmes du revenu de l'ouvrier, le loyer prend un sixième environ, le vêtement autant et il reste à peu près un cinquième pour les autres dépenses.

III. La troisième partie traite des QUESTIONS OUVRIERES et renferme, hâtons-nous de le dire, des aperçus originaux et des appréciations exactes.

Les Américains ont eu le stimulant et la jouissance que donne le progrès; ils sont en grande majorité les fils de leurs œuvres. Le génie entreprenant de la nation qui pousse beaucoup d'hommes, quelque bas que soit leur point de départ, à ne pas

désespérer de monter les sommets, est une des causes de cet état de choses. D'aucuns prétendent que les débuts sont plus difficiles à un fils de famille riche qu'à un autre, parce qu'il répugne davantage à accepter d'abord une place infime.

Les mœurs rendent les membres de la famille plus indépendants les uns des autres en Amérique qu'en Europe et la loi n'y a pas institué de réserve légale. Dès lors, l'usage des donations et legs à des œuvres d'utilité publique s'est répandu et les libéralités s'élèvent à des sommes énormes qui ont, pour l'avantage du public, créé ou enrichi un grand nombre d'institutions d'assistance et surtout d'instruction. C'est un noble et patriotique emploi de la fortune. Le grand danger de la démocratie est qu'elle n'abuse de sa prépondérance et qu'elle ne la fasse servir à abaisser ou à fouler, contrairement à l'intérêt général et à l'équité, ce qui est élevé et ce qui paraît lui faire obstacle.

La masse américaine, écrivait Michel Chevalier en 1834, est supérieure à la masse européenne, mais la bourgeoisie du nouveau monde est inférieure.

La première affirmation est encore vraie, répond avec justesse M. Levasseur, mais la seconde est peut-être devenue contestable.

Le système protecteur provoque de vives et incessantes discussions. La science économique ne possède pas encore d'éléments assez précis et assez distincts pour démêler l'influence qu'exerce sur le taux du salaire dans les industries protégées la plus-value du prix résultant du droit de douane. La politique, plus aventureuse, est plus affirmative. Il est toutefois probable que si les industries américaines cessaient d'être protégées, le salaire de ces industries en serait affecté. A côté des établissements qui prospèrent, il y a, dans toute industrie, beaucoup d'établissements qui végètent.

Le régime de protection douanière se targue d'être le rempart des hauts salaires et trouve son défenseur dans le parti républicain. La victoire du Nord dans la guerre de la sécession a été la victoire du protectionisme qui depuis ce temps est resté maître de la place.

Un des articles du programme général du parti démocrate est le principe du libre échange. Les Etats de la Nouvelle Angleterre et du Centre Atlantique, couverts de manufactures, ont été et sont encore la citadelle du républicanisme. Mais le système protecteur a des racines trop étendues et trop profondes aux EtatsUnis pour que son abolition se réalise dans un avenir prochain.

L'assistance.

L'ouvrier et l'indigent sont personnes distinctes, mais la classe des salariés est celle qui fournit le plus fort contingent à l'indigence. Indiquons donc sommairement comment est pratiquée l'assistance aux Etats-Unis.

La charité privée est très active et très variée. Conformément au fonctionnement des institutions constitutionnelles, l'assistance publique ne relève pas du gouvernement fédéral, mais est organisée et donnée par chacun des quarante-cinq Etats et, dans chaque Etat, par le Comté et souvent aussi par la Ville.

Depuis la guerre de sécession, la plupart des Etats ont créé une administration publique des pauvres, State Board of charities, avec droit d'inspection sur tous les établissements de bienfaisance en général, parfois même sur les établissements privés.

Dans quelques Etats, les femmes sont admises à faire partie de ces bureaux. La conciliation et l'arbitrage. - Les Américains, comme les Anglais et d'autres peuples européens, ont cherché le moyen de terminer pacifiquement les différends avec les classes ouvrières par la conciliation et l'arbitrage.

Diverses lois ont été votées à cet effet dans différents Etats. Le sentiment géné ral est de considérer l'arbitrage comme la meilleure solution du problème des grèves. Il y a même quelques métiers, en très petit nombre il est vrai, dans lesquels les ouvriers ont presque entièrement pris l'arbitrage dans leurs mains.

Le socialisme.

Le mouvement du travail, Labor movement, comprend dans son ensemble, ce que nous appelons le socialisme.

<< Pour obtenir les votes populaires dans une large démocratie, écrit M. Gunton (Wealth and Progress, p. 225), les représentants devront être le reflet des idées, de la capacité, du caractère de la grande moyenne de la communauté, laquelle est toujours meilleure que la portion la plus pauvre, mais considérablement inférieure à la portion la meilleure. C'est ce qui explique pourquoi, à de rares exceptions près, nos postes législatifs et administratifs sont toujours occupés par des hommes du type le plus ordinaire, les plus hautes capacités se portant vers le commerce et l'industrie. En conséquence, il est notoire que les affaires publiques sont moins économiquement et moins bien conduites que les affaires privées ». De nombreuses expériences sociales ont été faites en Amérique (1). Déjà les Pelgrims fathers avaient fondé tout d'abord leur organisation sociale sur la communauté des biens; ils n'ont pas tardé à reconnaître que la propriété privée réussissait mieux. Toutes les expériences faites ont avorté.

La journée de huit heures n'est pas par elle-même une proposition socialiste. Quand les ouvriers l'obtiennent ou essaient de l'obtenir de leurs patrons, c'est un résultat de la liberté des contrats. M. Levasseur nous permettra de préciser da vantage en disant que c'est plutôt une restriction à la liberté des contrats (2). Elle ne prend un caractère socialiste que lorsque les ouvriers veulent l'imposer à l'industrie par la loi ; car elle devient dans ce cas un empiétement non justifié de l'autorité publique sur la liberté privée.

M. Gunton, un des plus déterminés partisans des huit heures, se défend d'être socialiste. Il affirme, avec raison, qu'un travail excessif est funeste à l'enfant et qu'un peu de loisir est bon à tous les âges et il réclame en conséquence plus de liberté pour qu'on puisse jouir de la vie. La consommation, ajoute-t-il, règle la production et la consommation des masses populaires est de beaucoup la plus considérable; les ouvriers, ayant plus de loisirs auront plus d'occasions de consommer; cette consommation, augmentant leurs besoins et leurs dépenses, élèvera le niveau de l'existence, Standard of living; le taux du salaire étant réglé par ce niveau, les salaires, au lieu de diminuer, augmenteront nécessairement. Ainsi fa réduction de la journée de dix à huit heures amènera une demande d'emploi pour un cinquième d'ouvriers en plus et fera cesser le chômage forcé. Ce changement, étant général et graduel, ne portera aucun préjudice aux capitalistes et profitera même à la vente du sol, parce que l'accroissement de la consommation assurera le développement de l'industrie et de l'agriculture.

Il changera en vingt ans la face des institutions industrielles et sociales de la chrétienté.

M. Levasseur estime que c'est trop espérer et reste convaincu que ce n'est pas le niveau de l'existence qui fixe le taux du salaire.

Bref le socialisme américain ne se distingue pas par l'originalité de ses théories mais par son caractère essentiellement politique; son objet n'est pas de traiter avec les patrons, mais de s'emparer du gouvernement ou de le détruire. Ce sont des théories empruntées à l'Allemagne.

Le huitième et dernier chapitre de cette étude si complète et si consciencieuse est consacré à l'état présent et prochain de l'ouvrier américain.

Comme les peuples en général, les Français et les Américains sont enclins à se mal juger les uns les autres.

Ainsi les Français, ouvriers ou bourgeois, goûtent peu la vie américaine ;

(1) Voir pour les témoignages, E. STOCQUART, Le contrat de travail, p. 16 et suiv. (Alcan). (2) Op. cit., p. 25.

beaucoup se plaignent du défaut de sociabilité, de la personnalité égoïste des gens d'affaires et s'accommodent difficilement de l'extrême liberté des enfants, surtout des filles. Cependant, dit l'auteur, d'ordinaire les jeunes filles, particulièrement dans la bonne société, valent beaucoup mieux qu'ils ne le pensent et les Américains sont aussi ponctuels que d'autres peuples dans leurs relations commerciales. D'autre part, en Amérique, domine l'opinion que le Français est léger, bruyant, dévergondé. En quoi, les Américains se trompent et sont trompés, parce que la plupart de ceux qui sont venus à Paris ont fréquenté les lieux publics sans pénétrer dans les familles bourgeoises ou n'ont guère lu que des romans, en choisissant rarement les plus sains.

Il y a peut-être des Français qui pensent que le tableau tracé de l'industrie américaine et de la condition de ses ouvriers est une image trop flatteuse.

Il y aura sans doute aussi des critiques américains qui accuseront l'auteur d'avoir été trop optimiste en parlant de l'industrie ou trop indulgent en parlant de l'ouvrier.

Il s'est contenté d'exposer les faits et est prêt à reviser ses jugements, s'il est démontré que les faits sont inexacts.

Résumé de l'état actuel. - L'industrie américaine a une tendance très fortement accentuée à la concentration. Dans la grande industrie, pendant que la production augmente, le nombre des établissements diminue, La petite industrie recule et la moyenne même cède une partie de sa place.

Habitué à travailler avec des machines puissantes, ingénieuses, rapides, l'ouvrier américain est en général appliqué et actif. Le patron qui le paie cher ne le souffrirait guère indolent. Aussi la productivité de l'ouvrier peut-elle être considérée en moyenne comme forte relativement à celle de la plupart des peuples européens.

L'entrepreneur américain va en général droit devant lui, visant le gain et désireux de l'atteindre vite. Occupé de sa propre affaire et non de celle des autres, il est, sous ce rapport, profondément individualiste. An point de vue social, il en résulte que ses relations avec ses collaborateurs cessent à la porte de l'atelier et qu'il est plus rare de rencontrer des institutions de patronage que dans certains Etats européens ; ni le maître ni l'ouvrier ne s'y prêtent volontiers. Car l'ouvrier américain est très indépendant, il sait qu'il est, comme citoyen, l'égal de son patron et il ne tient pas à lui être subordonné par un lien de reconnaissance.

Ayant un salaire réel supérieur, l'ouvrier américain s'est donné plus de bienêtre que l'ouvrier européen en général. Il se nourrit plus substantiellement, fait plus de toilette, est plus confortablement logé et s'assure sur la vie, pratiquant la prévoyance à sa manière. Situation dont se vantent avec raison les Etats-Unis, car elle est un des résultats très désirables de la civilisation.

Dans vingt ou trente ans. — Machinerie, association de capitaux, concentration, voilà quel sera le pôle d'attraction de l'industrie américaine dans le premier quart du xx siècle.

Sa richesse continuera à s'accroître rapidement, les agglomérations urbaines se gonfleront davantage et l'immigration européenne continuera probablement à affluer, quoique ralentie peut-être par une différence de niveau moindre qu'aujourd'hui entre le salaire américain et les salaires européens, et par une diminution de la natalité européenne.

On peut être assuré que la classe ouvrière traitera plus complètement d'égale à égale avec la classe des entrepreneurs, et il n'est pas impossible que cette égalité amène plus souvent les deux parties à la conciliation, ou, à défaut de conciliation, à l'arbitrage.

Le socialisme subsistera, tout comme le salariat et aura pris sans doute des

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