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à la Diète; il constata, dans des actes officiels, que bien des questions législatives et financières étaient restées en suspens, parce que leur solution, d'après les lois fondamentales, exigeait le concours des Etats. Il s'était ainsi convaincu de la nécessité de ressusciter le régime représentatif (1). Dans le discours qu'il prononça en personne devant les représentants du peuple finlandais, le 18 septembre 1863, il annonça la révision des lois fondamentales dans un sens plus libéral encore que par le passé (2). Le 7/19 décembre 1864 il approuva et ratifia de sa main le programme de la commission de révision présidée par le finlandais Nordenstam (Voir notamment paragraphes 1-4) (3). Ainsi, loin de rien faire pour émousser la portée de l'acte de Borgo, la politique russe s'efforçait de le rendre vivant et pratique. Le programme de 1864 ne pût être exécuté. Les événements surprirent Alexandre II avant que la modification des lois fondamentales pût aboutir complètement. Mais ce n'était qu'une question accessoire pour la Finlande. L'essentiel était que la Diète fût dotée d'un fonctionnement régulier et cette réforme fut accomplie par la loi organique de la Diète sanctionnée le 3/15 avril 1869 (4). Cette loi est d'autant plus remarquable que l'Empereur, dans sa décision, rappelle les lois fondamentales de 1772 et de 1789, et que,

(1) V. Réponse à la brochure officielle, op. cit., p. 24-25.

(2) Représentants du Grand-Duché de Finlande..... mon attention s'est dès longtemps portée sur un certain nombre de questions successivement soulevées et qui touchent aux intérêts les plus sérieux du pays. Elles sont restées en suspens vu que leur solution demandait la coopération des Etats..... (Un peu plus loin). En maintenant le principe monarchique constitutionnel inhérent aux mœurs du peuple Finlandais et dont toutes ses lois et institutions portent le caractère, je veux faire admettre dans ce projet un droit plus étendu que celui que possèdent déjà les Etats, quant au règlement de l'assiette des impôts, ainsi que le droit de motion qu'ils ont anciennement possédé. V. Constitution du Grand-Duché de Finlande, Actes officiels, op. cit., p. 137 et 139.

(3) Constitution de Finlande, op. cit., Actes officiels, p. 142.

(4) Voici cette partie importante du texte précité: «S. M. I. a en même temps arrêté les prescriptions et indications suivantes pour servir de règles aux travaux de rédaction de la commission : 1) que le Grand-Duché de Finlande, faisant partie de l'Empire russe, est indissolublement uni à cet Empire; 2) que le GrandDuché est gouverné d'après sa forme de gouvernement et ses lois; 3) que l'Empereur de Russie est en même temps Grand-Duc de Finlande, etc.. ; 4) que les relations de la Finlande aux puissances étrangères dépendent de celle de l'Empire et sont identiques. Constitution, op. cit., p. 142-143.

(5) Cpr. Réponse à la brochure officielle, etc., p. 36 et s.

dans son article 71, ce texte porte qu' «une loi fondamentale ne peut être édictée, modifiée, expliquée ou abrogée autrement que sur la proposition de l'Empereur et avec le consentement de tous les ordres de la Diète (1) ». Ainsi, loin de contester les droits de la Finlande, la politique russe n'a cessé de les reconnaître. Au lieu de le considérer comme une transition entre la Finlande suédoise et la Finlande russe, les Tsars ont toujours considéré le régime de 1809 comme un régime stable et définitif. Pour peu qu'un veuille comparer à cette histoire de plus de trois quarts de siècle, celle de la Tunisie (2) pendant dix-sept ans d'administration française, celle de la Bosnie-Herzégovine (3), pendant vingt-deux ans d'administration autrichienne, l'on verra qu'à côté du demi-rattachement temporaire, évolutif, il y a place pour des types de demi-rattachement définitif, et qu'il y a des cas où, rejetant l'annexion, la puissance incorporante n'apporte à ce rejet nulle arrière-pensée.

Le régime de l'acte de Borgo se présente donc, non pas comme un régime de transition appelé naturellement à disparaître, mais comme un régime définitif appelé naturellement à durer.

En vain certains jurisconsultes seraient-ils tentés de faire intervenir ici la clause rebus sic stantibus (4) d'après laquelle les conventions perpétuelles prennent fin avec les circonstan

(1) Constitution de Finlande, op. cit., p. 73 et s. et Indroduction. ibid., p. 35. (2) C'est d'abord (1883) l'indroduction de la justice française, et la suppression en sa faveur des juridictions consulaires étrangères; puis la mainmise du protecteur sur les finances (liquidation de la dette tunisienne) et par suite sur l'impôt et sur les travaux publics, Cpr. P. H. X., Les origines du protectorat français en Tunisie.

(3) Art. 23 du Traité de Berlin (13 juillet 1878). « Dès le traité de Berlin toutes les puissances et même la Turquie savaient bien à quoi s'en tenir ». CHOUBILER, La question d'Orient, p. 97: application de la loi militaire autrichienne (novembre 1881), incorporation de la Bosnie et de l'Herzégovine au territoire douanier de la monarchie austro-hongroise, etc... « Nous voyons, dit un memorandum de 1896 (cité par SPALAÏKOVITCH, La Bosnie et l'Herzégovine, p. 1937) les autorités de ce pays marchant pas à pas vers l'anéantissement complet de notre antique autonomie ».

(4) Les jurisconsultes russes n'invoquent pas (à notre connaissance du moins) cette clause. Mais ils pourraient être tentés de l'invoquer. Parmi les auteurs étrangers, qui ont étudié le problème, l'un d'eux a déjà noté, mais sans insister, l'usage qui pourrait être fait de la condition tacite rebus sic stantibus. C'est M. ALESSANDRO CORSI, Russia e Finlandia, p. 16. Cpr. encore A. CORSI, La questione finlandese, p. 9.

ces qui leur ont donné naissance (1). D'abord on ne voit pas quelles sont les circonstances contemporaines de l'acte de Borgo qui n'existeraient plus aujourd'hui ; ensuite, les garanties stipulées par la Finlande sont la condition même de son rattachement, de sorte que, celles-ci tombant, l'acte tout entier tomberait, de manière que la Finlande reprendrait vis-à-vis des Tsars son indépendance; enfin, le seul cas où l'on puisse invoquer sans abus comme sans danger la clause rebus sic stantibus est celui de légitime défense (2), c'est-à-dire le cas où la convention met en péril l'existence de l'Etat. La Russie a bien pu s'en prévaloir en 1870 (3) contre la clause du traité

(1) Sur la cause rebus sic stantibus, Cpr. JELLINEK, Die Lehre von der Staatenverblindungen, 1882, p. 102, Die rechtliche Natur der Staatenverträge, 1880, p. 40 BLUNTSCHLI, Droit international codifié, art. 458. HEFFTER-GEFFCKEN (trad. Bergson). $98. RIVIER, Principes du droit des gens, II, p. 134. ULLMANN, Völkerrecht, p. 176. NIPPOLD, Der völkerrechtliche Vertrag, seine Stellung im Rechtssystem und seine Bedeutung fur das internationale Recht, 1894, p. 237 et s. de MARTENS, Traité de droit international, trad. Léo, 1883, I, p. 556. OLIVI, D'un cas controversé de cessation de la force obligatoire des traités internationaux, dans la Revue de droit international et de législation comparé, 1891, p. 590. PFAFF, Die Clausel : rebus sic stantibus, 1898, p. 59-69 (ce dernier travail, relatif à la clause rebus sic stantibus, dans la législation autrichienne n'a que ces dix pages sur le droit des gens).

(2) C'est à tort, suivant nous, que RIVIER, loc. cit., rattache à la prohibition des engagements perpétuels (projet de Code de la convention, 9 août 1793, et Code civil français, art. 1780) la clause rebus sic stantibus. Son seul fondement est dans la légitime défense de l'Etat que l'accomplissement prolongé du traité risque de menacer dans sa substance même. Sic, de MARTENS, loc. cit. JELLINEK, loc. cit., ULLMANN, loc. cit. NIPPOLD, ibid. Certains auteurs vont plus loin, et font encore application de la clause quand les circonstances mettent l'Etat, non pas en état de péril, mais simplement en état d'infériorité, par rapport au temps du contrat (sic HEFFTER, loc. cit.). BLUNTSCHLI n'exige pas que l'Etat soit en péril, mais seulement qu'il soit entravé dans son développement (loc.cit.).Nous craignons que ces systèmes, trop larges, ne conduisent à l'abus et ne ruinent la force obligatoire des traités, c'est-à-dire la sécurité des relations internationales. Sans pouvoir ici discuter à fond la question, nous nous bornerons à dire : 1) que l'Etat ne peut être tenu par le droit d'exécuter un contrat, qui le mène à la perte de son indépendance; 2) que, la cause (causa) du traité venant à disparaître, le contrat lui-même doit tomber. Par application du premier principe, la Russie n'a pas le droit de modifier les conditions de l'acte de Borgo, parce que les libertés de la Finlande ne mettent pas (c'est d'evidence) l'indépendance russe en péril; par application du second, si les libertés finlandaises, promises à Borgo, venaient à disparaître, la Finlande, en droit pur, devrait redevenir indépendante de la Russie, sans pourtant rentrer dans le royaume de Suède, qui a laissé sa sécession volontaire s'accomplir en toute liberté.

***

(3) Art. IX, XIII et XIV du traité du 30 mars 1856. V. sur ces articles et sur leur dénonciation, La mer noire et les détroits de Constantinople, Paris, 1899, p. 423 et s., p. 541 et s.

de Paris qui neutralisait la mer Noire; mais alors son indépendance était menacée (1), tandis que l'expérience de près d'un siècle et le loyalisme de la Finlande ont montré que l'acte de Borgo ne la compromettait pas (2). Invoquer la clause rebus sic stantibus, ce serait comparer l'acte de Borgo à la stipulation humiliante, paralysante du traité de Paris (30 mars 1856) (3). Il suffit de mettre en lumière ce rapprochement pour démontrer l'absurdité d'une telle prétention (4).

Peut-être la clause rebus sic stantibus pourrait-elle, en un jour lointain, agir sur la situation de la Finlande. Pourquoi la Finlande,qui n'était pas un Etat avant 1809, a-t-elle exigé d'en être un vis-à-vis de la Russie? Uniquement pour conserver son régime constitutionnel et ses antiques libertés. Pourquoi les Tsars ont-ils consenti à faire de la Finlande, à l'intérieur, un Etat indépendant? Parce qu'habituée à la monarchie. constitutionnelle la Finlande ne pouvait accepter de passer sous le régime russe de la monarchie absolue. Que si, au contraire, la monarchie russe, changeant de système, cessait

(1) « Je conçois, disait un diplomate russe, après la signature du traité de Paris, je conçois qu'on enlève une province à un Etat vaincu, mais la suppression de ses moyens de défense, lorsqu'il s'agit d'un Empire de quatre-vingts millions d'hommes, c'est une de ces clauses dans lesquelles la passion obscurcit le sens politique des hommes d'Etat ». L'Empire ottoman, par un ANCIEN DIPLOMATE, Paris, 1877, p. 12-13.

(2) A cet égard, rien n'est plus significatif que les sentiments du peuple finlandais vis-à-vis de la Russie, même après le manifeste du 15 février 1899. La Finlande met à la défense de ses droits une énergie contenue, noble et grave, qui ne cesse jamais d'être respectueuse pour les Tsars. Après l'échec de la mission Trarieux-Nordenskiold-Brusa, qui portait au Tsar, en juin 1899, l'adresse internatio. nale du monde savant d'Europe et qui ne fut pas même reçue par l'Empereur, les membres de la délégation eurent, en revenant par la Finlande, l'occasion de constater à cet égard une attitude qui les frappa d'admiration et d'étonnement. Il faut lire, pour s'en rendre compte, le simple, mais touchant récit du voyage de la mission, par un de ses membres, M. VAN DER VLUGT, sous ce titre : Pour la Finlande, (Ed. de l'Humanité nouvelle), Paris, 1900, broch. in-16 de 132 p. V. notamment, comme tout à fait caractéristique, le toast des Finlandais au Grand-Duc de Finlande, ibid., p. 73.

(3) On pourrait, il est vrai, soutenir qu'une certaine augmentation des forces militaires de la Finlande était nécessaire à la sécurité de l'Empire. Mais la Finlande n'a jamais eu la pensée de repousser toute réforme militaire; elle a simplement protesté contre la procédure insolite, par laquelle cette réforme se ferait sans qu'elle fût régulièrement consultée.

(4) Il y a d'ailleurs, on le sait, des jurisconsultes pour qui l'attitude de la Russie, en 1870, n'a pas paru juridique. V. notamment GEFFCKEN Sur HEFFTER, Le droit international de l'Europe, $98.

d'être autocratique pour devenir constitutionnelle, alors on pourrait dire que les circonstances fondamentales de l'acte de Borgo auraient changé (!). La Finlande ne pourrait s'incorporer à la Russie que le jour où la Russie se serait incorporé le régime politique de la Finlande. Le jour où ce résultat se produirait, on pourrait dire, mais alors seulement, que les circonstances ne sont plus les mêmes, rebus sic non stantibus. Il faudrait que les lois de la Finlande eussent fait la conquête de la Russie pour que la Russie eût le droit d'enlever à la Finlande les garanties de l'acte de Borgo; et encore ce droit se heurterait-il alors à un obstacle non moins grave: c'est que la Finlande est habitée par une nation absolument distincte de la nation russe.

Juridiquement la clause rebus sic stantibus est inapplicable. Historiquement nous savons que la Finlande a des droits. propres, indestructibles, des libertés constitutionnelles certaines et la qualité d'Etat. Nous venons de voir que, dans la pensée d'Alexandre Ier et d'après la nature des choses, ce titre et ces droits ne lui sont pas concédés par respect d'amour-propre et par transition, ad pompam vel ostentationem, mais d'une manière permanente, définitive, et sans arrière-pensée. Maintenant nous pouvons aborder la vraie difficulté du problème. Nous savons qu'Alexandre I et ses successeurs ont voulu faire de la Finlande un Etat. Ce qu'ils ont voulu, l'ontils pu?

III

Derrière la question finlandaise, les plus graves problèmes apparaissent. Trois difficultés principales surgissent :

1° La Finlande peut-elle être un Etat, bien que subordonnée à la Russie, et malgré qu'elle n'ait pas la plénitude de la souveraineté ?

(1) Les auteurs enseignent généralement qu'un changement constitutionnel ne saurait entraîner la chute d'un traité par l'effet de clause rebus sic stantibus. V. en ce sens ULLMANN, Völkerrecht, p. 176, et les auteurs qu'il cite. Mais ces auteurs ne paraissent pas envisager le cas où le changement politique, qui se produit dans la constitution, détruit la cause même du traité. Dans ce cas, leur solution serait inexacte, car c'est un principe de droit commun, et non plus un effet de la clause rebus sic stantibus, que, tombant la cause, tombe l'acte. Cessante causa, cessat effectus.

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