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LA CRISE DE LA SCIENCE POLITIQUE"

Le problème de la méthode

La méthode dogmatique

SOMMAIRE. Introduction. - Notion de la méthode dogmatique. ment et différence entre elle et la méthode juridique.

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I. Fondements de la méthode dogmatique. – Les vérités premières de la science politique. L'intuition, moyen de connaissance de ces vérités. La logique, la déduction, moyen de construction de la science polilique.

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II. Application de la méthode dogmatiques. Le contrat social de Rousseau. La démocratie de M. Vacherot. Le gouvernement représentatif de Stuart Mill. Les théocrates. Les sociologues. Les hommes politiques de la Révo

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1° Ses principes.

lution. Importance de cette méthode. III. Critique de la méthode dogmatique. Les institutions politiques œuvres de raison. Les vérités absolues et évidentes. L'universalité des solutions. 20 Ses conséquences. La raison base des institutions politiques. Caractère artificiel de ces institutions. Défaut d'équilibre en tre les pouvoirs. Développement du sectarisme et de l'optimisme.

IV. Part de vérité du dogmatisme politique. Les institutions politiques dominées par un principe absolu; le droit naturel. Rôle légitime de l'idéal.

<«< Suivre en toute recherche, avec toute confiance, sans réserve, ni précaution, la méthode des mathématiciens; extraire, circonscrire, isoler quelques notions très simples et très générales; puis, abandonnant l'expérience, les comparer, les combiner, et du composé artificiel ainsi obtenu déduire par le raisonnement toutes les conséquences qu'il renferme », (2), tel est, d'après Taine, le procédé de l'esprit classique.

C'est la « procédure des métaphysiques opposée à celle de la science positive » (3).

(1) Voir Revue du droit public, nos de janvier-février, mars-avril, mai-juin 1900, p. 5 et suiv., p. 246 et suiv., p. 435 et suiv.

(2) TAINE, Les origines de la France contemporaine; L'ancien régime, p. 262. (3) LIARD, La science positive et la métaphysique, p. 47. « Prendre un pied réalité sensible, mais pour s'élancer loin d'elle, d'un bond rapide,

sur la

Cette méthode, que j'appelle dogmatique parce qu'elle part de principes qu'elle érige en dogmes, toute une école de docteurs politiques l'a empruntée, car elle aussi est pour la science politique une méthode d'emprunt, aux métaphysiciens et aux mathématiciens. « On sait, dit l'un d'eux, comment procède le géomètre. Il pose d'abord ses axiomes et ses définitions, puis, déduit de celles-ci à l'aide de ceux-là toutes les propositions dont l'enchaînement forme la science entière. Ses définitions ont pour objet des figures idéales, dont le géomètre démontre les diverses propriétés.... sans jamais s'aviser de vérifier par l'expérience des démonstrations fondées sur des principes abstraits et à priori. De même dans l'ordre des vérités que je poursuis, c'est à l'idée, au principe que je m'attache exclusivement. Etant donnée la définition de la démocratie, j'en déduis toutes les conséquences pour la Société, l'Etat et le Gouvernement » (1).

On peut voir qu'il y a entre cette méthode et la méthode juridique un très grand rapport de parenté. L'une et l'autre sont déductives, c'est de principes considérés comme dominants qu'elles tirent par déductions logiques toutes les règles du système politique, qu'elles prétendent édifier. Mais cet air de famille n'empêche pas que dans le fond des choses il y ait entre les deux méthodes une différence radicale. Les principes dont elles partent sont, en effet, d'essences différentes: la méthode juridique prenant les siens, et j'ai dit ce que cela veut dire, dans l'ordre juridique, la méthode dogmatique puisant ses inspirations dans l'ordre moral ou social, c'est-à-dire dans la nature de l'individu ou de la société.

C'est pourquoi, malgré les ressemblances qui les rapprochent, après avoir étudié la valeur pour la science politique de la première, je dois encore soumettre la seconde à la critique.

vers un monde d'idées nécessaires, faire de ces idées la réalité véritable ou tout au moins le principe premier des phénomènes, les investir d'une certitude absolue, et expliquer par elle, sans recourir à l'expérience les choses du monde sensible, telles furent, en ce qu'elles ont de commun les expériences, de Platon, de Descartes, de Hegel ». Cette description de la méthode métaphysicienne ou dogmatique est, dans sa concision, parfaite.

(1) VACHEROT, La démocratie, préface, p, vi et Ix,

I. - Fondements de la méthode dogmatique

Le fondement de la méthode dogmatique, c'est la foi en des vérités premières, immuables, absolues, qui doivent servir de base à l'organisation des sociétés.

La saisissante et célèbre formule de Montesquieu : « Dire qu'il n'y a rien de juste ni d'injuste que ce qu'ordonnent ou défendent les lois positives, c'est dire qu'avant qu'on eût tracé de cercle tous les rayons n'étaient pas égaux » (1), formule par laquelle il élève au-dessus des lois une justice immanente, et rapproche la vérité morale de la vérité mathématique, pourrait être considérée comme une adhésion à cette doctrine: si par ailleurs et notamment par son encore plus célèbre définition des lois : « rapports nécessaires qui dérivent de la nature des choses » (2), Montesquieu ne semblait pas être à l'opposé du dogmatisme.

Mais, sans aucun doute, quand Condorcet nous parle de ces « vérités générales... qui déterminent les lois immuables, nécessaires du juste et de l'injuste », dont la conquête est « le dernier pas de la philosophie, qui a mis en quelque sorte une barrière éternelle entre l'humanité et les vieilles erreurs de son enfance » (3), Condorcet exprime le principe même du dogmatisme, dont il fut un fervent adepte.

C'est suivant la thèse du dogmatisme que Kant dit que « le concept de la liberté, (sur lequel repose toute sa doctrine), est un concept de la raison pure » (4).

C'est conformément à ce principe que Rousseau pour fonder son système politique, part, sans croire nécessaire de le prouver, de cet axiome « l'homme est né libre (5) et prétend qu'avec « les vrais principes du droit politique » «< il a fondé l'Etat sur sa base » (6).

(1) MONTESQUIEU, De l'esprit des lois, 1. I. ch. I. (2) MONTESQUIEU, De l'esprit des lois, 1. 1. ch. I.

(3) Condorcet, Esquisse d'un tableau historique des progrès de l'esprit humain, Œuvres, édit., A. CONDORCET et ARAGO, 1847, t. VI, p. 184.

(4) KANT, Principes du droit, Trad. Tissot, 1837, p. 29.

(5) ROUSSEAU, Du contrat social, L. 1, ch. I.

(6) ROUSSEAU, Du contrat social, L. IV, ch. IX, conclusion.

C'est ainsi que la Déclaration des droits de 1789 proclame « les droits naturels inaliénables et sacrés de l'homme afin que cette déclaration... rappelle sans cesse à tous les membres du corps social leurs droits et leurs devoirs >>.

Et non moins vive fut chez certains esprits de notre siècle la foi en ces principes absolus, fondements de l'ordre politique, d'après la thèse du dogmatisme. Ainsi voyons-nous M. Vacherot écrire : « Il y a une vérité en politique comme dans tout le reste ». « Il ne s'agit ici que d'idéal, de théorie, de vérité pure» (1). Ainsi voyons-nous M. Jules Simon donner comme «< caractère de la politique radicale », dont il fut le coryphée sous le second Empire, « une adhésion ardente à la justice de sa cause, et à la vérité de ses principes ». « On peut, ajoute-til, comparer les adhérents de la politique radicale à ces voyageurs, qui ne se servent pas de cartes et ne suivent pas les chemins frayés, mais qui, l'œil fixé sur le but lointain qu'ils veulent atteindre, marchent vers lui en ligne droite, avec l'inébranlable résolution de ne jamais reculer, de ne jamais se détourner, de ne jamais s'arrêter » (2). Ceux qui vont ainsi, ces marcheurs à l'étoile, sont les croyants d'un dogme.

Le fondement de la méthode dogmatique, c'est bien la foi en une vérité qui domine la science politique et qui en commande les solutions.

Cette vérité absolue a, et c'est là un second principe fondamental de la méthode dogmatique, une origine particulière.

Nous n'y atteignons pas par l'observation de ce qui est, elle n'est pas la conquête de l'esprit procédant d'après les règles de la pénible et lente méthode inductive, nous retomberions dans la méthode sociologique. Nous ne l'empruntons pas, comme nous le proposait la méthode juridique, aux données positives des législations existantes. Elle est immédiate, c'est une lumière intérieure qui éclaire nos intelligences, nous la portons en nous.

C'est ainsi que Rousseau ne craint pas d'affirmer sa thèse essentielle « L'homme est né libre » aux mépris du fait qu'il

(1) VACHEROT, La démocratie, préf., p. IX.
(2) J. SIMON, La politique radicale, préf. p. 4-5.

proclame lui-même en ajoutant l'antithèse fameuse : « et partout il est dans les fers » (1).

C'est ainsi que Condorcet, après nous avoir dit que « la méditation seule peut nous conduire aux vérités générales de la science de l'homme » (2), vante Descartes d'avoir « réuni la politique au domaine de la raison » et d'avoir « bien senti qu'elle devait émaner tout entière des vérités évidentes et premières que l'observation des opérations de notre esprit devait nous. révéler » et Locke d'être arrivé « à des idées plus immédiates dans leur origine et plus simples dans leur composition » (3). C'est ainsi que Kant, après avoir dit : « le concept de la liberté est un concept de la raison pure » ajoute, pour préci ser, « un concept qui ne peut avoir aucun exemple adéquat dans une expérience possible quelconque » (4).

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C'est ainsi que M. Vacherot, à son tour, affirme la supériorité « de la raison et de la métaphysique» sur « l'expérience pour arriver « à la véritable idée de la Société et de l'Etat » (5) et qu'il nous dit ailleurs : « l'histoire ne peut jamais être un argument contre la logique et la raison » (6) ou : « ce livre ne veut être jugé qu'au nom de la logique et de la raison. S'il a pour lui la vérité peu importe que la réalité proteste contre ses principes et ses conclusions » et encore: « la bonté absolue d'un gouvernement tient à des principes plus élevés que ceux que peut donner l'expérience » (7).

La raison, l'intuition, la conscience sont donc pour les dogmatiques les sources, ou mieux la source unique, car tout cela se confond en un même principe.

Mais il y a plus, pour eux, c'est parce qu'elle a cette origine que la vérité peut devenir la loi impérative de notre conduite. « Les lois morales, dit Kant, n'ont seulement force de lois qu'autant qu'elles peuvent être fondées a priori et nécessairement », << les concepts et les jugements sur nos actions... n'emportent aucun caractère moral, quand ils ne contiennent

(1) ROUSSEAU, Du contrat social, L. 1, ch. I.

(2) Condorcet, Esquisse..., (Euvres, t. VI. p. 82.

(3) Condorcet, Esquisse......., (Euvres, t. VI, p. 182.

(4) KANT, Principes du droit, p. 29.

(5) Vacherot, La métaphysique et la science, t. III, conclusion, ch. IX.

(6) VACHEROT, La démocratie, préf. IX ; p. X, p. 1.

(7) VACHEROT, La démocratie, préf, IX; p. X, p. 1.

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