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que ce qu'il est possible d'apprendre de la simple expérience »> (1).

Cette origine intuitive des principes du dogmatisme est, par suite, son fondement essentiel; sur elle, et sur elle seule, repose l'autorité de ses doctrines.

Mais si la raison est l'instrument au moyen duquel le dogmatisme découvre les principes de la science politique, et si ces principes, en vertu même de leur origine, sont absolus, il en résulte que la logique, c'est-à-dire la raison méthodique, doit être l'instrument de développement de cette science, et la déduction sa méthode de construction. Fondée sur la raison, la science politique doit être rationnelle dans tout son développement; partant de principes absolus, elle ne doit être que la série de leurs conséquences.

Ce fut bien ainsi que le comprirent les hommes de 1789, si profondément dogmatiques. Dès les premiers jours de l'Assemblée nationale, ils résolurent de proclamer les principes fondamentaux de l'ordre politique. Ils firent la déclaration des Droits de l'homme. Elle devait, dans leur esprit, diriger leur marche en posant les principes dont ils n'auraient plus qu'à déduire les conséquences. « Il faut, disait Mounier luimême, rappeler les principes, qui doivent former la base de toute espèce de société, et que chaque article de la Constitution puisse être la conséquence d'un principe » (2). « Une déclaration, disait également Mirabeau, si elle pouvait répondre à une perfection idéale, serait celle qui contiendrait des axiomes tellement simples, évidents et féconds en conséquences, qu'il serait impossible de s'en écarter sans être absurde et qu'on en verrait sortir toutes les Constitutions » (3). Les dogmatiques de notre époque ont de même affirmé la légitimité de la méthode déductive. J'ai cité les paroles de M. Vacherot, si nettes et si formelles : « Etant donnée la définition de la démocratie, j'en déduis toutes les conséquences.

(1) KANT, Les principes du droit, p. 29.

(2) MOUNIER, rapporteur de la première commissiou de la constitution, 9 juillet 1789.

(3) MIRABEAU, au nom du Comité des Cinq, chargé de préparer la déclaration des droits, 17 août 1789, Arch. parl., t. VIII, p. 438.

pour la société, l'Etat et le Gouvernement (1)». On peut en rapprocher ce passage de M. Jules Simon : « Le caractère propre d'une politique radicale est de repousser les transactions, les demi-mesures d'aller, comme on dit vulgairement, jusqu'au bout de ses principes. C'est ce qui la distingue de la politique sage, qui se vante de savoir faire à propos des concessions. La première de ces politiques est une doctrine, la seconde est surtout une habileté ». Aller « jusqu'au bout de ses principes», c'est en déduire toutes les conséquences; « repousser toutes les transactions », c'est les en déduire avec une rigueur inflexible, n'écouter que la logique pour édifier sa << doctrine (2) ».

La méthode dogmatique, si on cherche à la caractériser par ses procédés, peut donc encore être appelée méthode logique ou déductive.

II. Applications de la méthode dogmatique.

Une formule abstraite ne suffit pas pour connaître une méthode ; avant de la juger, il est indispensable de la suivre dans des applications positives; je voudrais donc analyser ici quelques-unes des œuvres que la méthode dogmatique a servi à édifier.

Le Contrat social en est évidemment le prototype.

C'est d'un axiome, de l'axiome «liberté », que part Rousseau pour édifier son système, et nous savons que cet axiome est pour lui une donnée première, fournie par la raison et non par les faits, puisque si « l'homme est né libre », « partout il est dans les fers ». Voilà bien le principe a priori point de départ de la méthode.

Il n'y a plus dès lors qu'à faire fonctionner ce merveilleux mécanisme que l'on appelle la déduction.

L'homme est né libre: donc l'origine de la société est un contrat. La famille « seule société naturelle se dissout dès

(1) VACHEROT, La démocratie, préf., p. VIII-IX.

(2) JULES SIMON, La politique radicale, préf., p. 4.

que cesse pour l'enfant le besoin de protection (1). « La force ne fait pas le droit » (2). L'homme ne peut abdiquer sa liberté, une telle renonciation est incompatible avec la nature de l'homme » (3) Pour trouver l'origine du lien social, «< il faut donc toujours remonter à une première convention » (4).

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L'homme est et doit rester libre, et il entre pourtant dans une association: donc le problème de l'organisation politique se pose en ces termes, où se révèle tout le génie de la méthode « Trouver une forme d'association qui défende et protège de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé, et par laquelle chacun, s'unissant à tous, n'obéisse pourtant qu'à lui-même et reste aussi libre qu'auparavant ». Formule mathématique à laquelle répond cette solution non moins mathématique dans sa forme : « Aliénation totale de chaque associé avec tous ses droits à toute la communauté » (5).

Il est vrai que la déduction ici semble se rompre, car comment tirer de l'irréductible « liberté » la « totale aliénation »? Mais Rousseau n'a pourtant pas trahi la logique, qui est la maîtresse de son esprit. L'homme, en s'aliénant, est resté libre parce que le « souverain » c'est « la volonté générale ». D'où il résulte que chacun est « membre du souverain », que «< chacun se donnant à tous ne se donne à personne » (6). Et voilà comment de l'axiome « liberté » on déduit la solution « aliénation» et comment nous arrivons à cette notion du souverain qui est « la volonté générale ».

Dès lors, de la nature de cette « volonté générale », qui est le souverain, Rousseau déduit toute une série de conséquences, à savoir « qu'elle ne peut jamais s'aliéner, qu'elle ne peut être représentée », car « la volonté ne peut se transmettre », car « la volonté ne se représente pas » (7) ; qu'elle est indivisible, car « la volonté est générale ou elle ne l'est

(1, 2, 3, 4) RouSSEAU, Du contrat social, L. I, ch. II: Des premières sociétés; ch. III: Du droit du plus fort; ch. IV: De l'esclavage; ch. V: Qu'il faut toujours remonter à une première convention.

(5) Rousseau, Du contrat social, L. I, ch. VI: Du pacte social.

(6) ROUSSEAU, Du contrat social, L. I, ch. VI: Du pacte social et ch. VII: Du souverain.

(7) ROUSSEAU, Du contrat social, L. II, ch. I: Que la souveraineté est inalienable.

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pas» (1); que le pouvoir est « sans bornes », car la nature donne à chaque homme un pouvoir absolu sur tous ses membres» (2). Et l'on voit, si l'on réfléchit, que ces propositions, résultats de déductions successives, répondent aux problèmes fondamentaux concernant l'Etat et ses pouvoirs.

Là d'ailleurs ne s'arrêtent pas les déductions de Rousseau. Pour le pouvoir législatif, il n'admettra pas même, par exemple, qu'on « se demande à qui il appartient de faire les lois, puisqu'elles sont des actes de la volonté générale », « le peuple, soumis aux lois, en doit être l'auteur, il n'appartient qu'à ceux qui s'associent de régler les conditions de l'association » (3).

Pour le pouvoir exécutif, s'il reconnaît qu'il ne peut appartenir à la « généralité », « parce que cette puissance consiste en des actes particuliers » (4), il en fait le serviteur très humble de la volonté générale, car « le gouvernement n'existe que par le souverain », et il est «< absurde et contradictoire souverain se donne un supérieur » (5).

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Ainsi s'édifie le système de Rousseau. Le principe premier, a priori, liberté, implique le contrat social comme origine de la société, et la volonté générale comme souverain. Et parce que le souverain est la volonté générale, toute une série de caractères en découlent pour le souverain et toute une série de conséquences pour l'organisation de l'Etat. Un dogme et des déductions, c'est tout le contrat social, vrai modèle de la méthode dogmatique et rationnelle dans le domaine de la science politique.

Dans l'emploi de la méthode dogmatique, en ce siècle même, Rousseau a pourtant été dépassé. Si l'on veut en voir une application plus ample et plus radicale, on peut la trouver dans ce curieux livre « La Démocratie » de M. Vacherot qui, au point de vue de la méthode tout au moins offre un intérêt tout spécial.

(1) ROUSSEAU, Du contrat social, L. II, chap. II: Que la souveraineté est indivisible.

(2) ROUSSEAU, Du conrtat social, L. II, ch. IV: Des bornes du pouvoir souverain. (3) ROUSSEAU, Du contrat social, L. II, ch. VI: De la loi.

(4, 5) ROUSSEAU, Du contrat social, L. III, ch. 1: Du gouvernement en général; ch. XVI: Que l'institution du gouvernement n'est point un contrat.

C'est encore de l'axiome liberté, que part l'auteur de « la Démocratie »> pour résoudre, par déductions intrépides et intransigeantes, tous les problèmes de l'ordre social et politique.

La liberté, c'est le principe de la justice, pour cette seule raison, qu'aucune démonstration ne vient appuyer, que « pour l'homme cesser d'être libre c'est cesser d'être » (1).

Cet axiome posé, les déductions viennent d'elles-mêmes. Liberté, donc fondement contractuel de l'Etat; toute société vraiment politique repose sur le consentement des volontés libres et date d'une constitution » (2).

Liberté, donc pour forme de l'Etat, la Démocratie. — « La Démocratie est la seule forme politique adéquate à la liberté, la seule juste, par conséquent la seule vraie » (3). « Le gouvernement du pays par le pays tout entier et par le pays seul telle est la formule, la seule parfaite, d'une société politique » (4).

La forme politique de l'Etat déduite de l'axiome fondamental, les déductions peuvent reprendre.

On en déduit toute l'organisation de la société, car: «il n'y a de démocratie libre, régulière et durable, que celle qui repose sur une société vraiment démocratique » (5).

Dès lors « Religion », « Sciences », « Arts » ne sont plus envisagés que comme de simples «< conditions morales de la Démocratie » (6). Dès lors il y a tout un système d'enseignement à adopter pour remplir les « conditions pédagogiques de la Démocratie » (7). Dès lors la famille qui « aujourd'hui opprime la cité » est à remanier (8). Dès lors il y a toute une organisation sociale, industrielle, économique, internationale

(1) VACHEROT, La démocratie, p. 4.
(2) Vacherot, La démocratie, p. 24.
(3) VACHEROT, La démocratie, p. 17.
(4) VACHEROT, La démocratie, p. 28.

(3) VACHEROT, La démocratie, p. 22.

(6) VACHEROT, La démocratie, ch. III: Conditions morales de la démocratie. 1. La religion. II. La science. III. L'art., p. 41-90.

(7) Vacherot, La démocratie, L. I, ch. IV: Conditions pédagogiques de la démocratie, p. 90-123.

(8) VACHEROT, La démocratie, L. I, ch. V : Conditions domestiques de la démocratie. p. 123-139, not. p. 125.

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