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2o N'ayant pas la souveraineté extérieure, la Finlande peutelle être un Etat ?

3o Les rapports de la Finlande avec la Russie sont tels qu'ils ne rentrent dans aucun des types d'Etat composés ou subordonnés connus: est-ce une raison pour qu'elle ne soit pas un Etat?

I.- La question est avant tout de savoir s'il peut exister des Etats qui n'aient pas la plénitude de la souveraineté, c'est-àdire qui soient subordonnés sur certains points à d'autres Etats et c'est là une opinion qui n'est pas admise par

tous.

Il existe une théorie intransigeante qui se résume dans ces deux règles 1o La souveraineté consiste dans le fait de n'être soumis à aucune puissance humaine supérieure: c'est la suprema potestas, le summum imperium, l'indépendance absolue vis-à-vis de toute volonté étrangère; 2° la souveraineté ainsi comprise est la marque caractéristique de l'Etat ; là où elle n'existe pas dans son intégrité il n'y a plus un Etat, mais seulement une province, douée d'une autonomie plus ou moins large, sur laquelle l'Etat dont elle fait partie peut exercer tous les droits attachés à la souveraineté.

Cette théorie qui remonte à Bodin (1), et qui a été acceptée, au moins en ce qui concerne la définition de la souveraineté (2),

(1) BODIN (Les six livres de la République, L. I, ch. I) définit la République : un droit gouvernement de plusieurs mesnages et de ce qui leur est commun avec puissance souveraine; et plus loin (L. I, ch. VIII), il définit la souveraineté : la puissance absolue et souveraine d'une République.

(2) GROTIUS, Le droit de la guerre et de la pair, L. I, ch. 3. VII. 1. (Trad. PRADIER FODÉRÉ, t. I, p. 203) : « On la dit souveraine (la puissance civile) lorsque ses actes ne sont pas dépendants de la disposition d'autrui, de manière à pouvoir être annulés au gré d'une volonté humaine étrangère ». VATTEL, Le droit des gens L. I, ch. I, t. IV. Ed. PRADIER FODÉRÉ, t. I, p. 123): « Toute nation qui se gouverne elle-même sous quelque forme que ce soit sans dépendance d'aucun étranger, est un Etat souverain». PUFFINDORFF, De jure nature et gentium, VII, ch. IV, $2 et suiv. LOYSEAU, Traité des seigneuries, ch. II, nos 4 et suiv. « La souveraineté est du tout inseparable de l'Etat.... Or elle consiste en puissance absolue, c'est-àdire parfaite et entière de tous points ». La plupart des publicistes du xv siècle, étudiant non la souveraineté de l'Etat mais celle du roi ou de la nation parlent plutôt de la souveraineté interne que de la souveraineté externe. C'est ainsi que ROUSSEAU, dans le Contrat social, définit non point la souveraineté de l'Etat mais celle de l'autorité qui commande dans l'Etat (V. la ch. II du L. III, et le ch. VII du L. I, où il distingue l'Etat et le souverain). Mais au fond ces deux souverainetés n'en font qu'une qu'on peut envisager seulement sous deux faces différentes. La

par la plupart des publicistes du xvir et du XVIIIe siècle d'une manière plus ou moins expresse, est encore admise aujourd'hui par beaucoup d'auteurs (1). Elle définit, comme on voit, la souveraineté par son côté négatif, l'indépendance, et n'essaie pas d'en indiquer, si l'on peut ainsi parler, le contenu. De ce point de vue, en effet, cela est inutile à la définition ce contenu comprendra tous les droits qui peuvent appartenir à une communauté politique, soit vis-à-vis de ses membres, soit vis-à-vis des communautés semblables. On conçoit cette souveraineté-indépendance comme quelque chose d'absolu et d'indivisible, qui est ou qui n'est pas. Si, sur un point quelconque, la volonté est obligée de se plier devant une volonté étrangère elle n'est plus souveraine, elle n'est plus la plus haute puissance, celle qui ne reconnaît audessus d'elle d'autre autorité que Dieu. Le partage de la souveraineté entre deux puissances sur un territoire déterminé est d'ailleurs politiquement impossible, parce que, si l'une des deux puissances ne domine pas l'autre de manière à posséder à elle seule la souveraineté, on aboutit à des conflits qui ne peuvent être qu'insolubles (2).

définition de Rousseau concorde du reste, dans ses traits essentiels, avec la précédente : c'est la volonté suprême, indépendante par conséquent de toute ingérence étrangère. V. au surplus sur l'histoire de la notion de souveraineté : REHM, Allgemeine Staatslehre, § 10 et suiv.

(1) PRADIER FODERE, Traité de droit international, t. I, § 87. « Les Etats souverains sont ceux qui se gouvernent eux-mêmes par leur propre autorité et par leurs lois, sans dépendance d'aucune puissance étrangère ». Le même auteur au § 86, tout en indiquant qu'il existe des Etats non souverains, déclare que l'idée d'Etat non souverain est très critiquable au point de vue théorique. La même idée se trouve dans PIEDELIÈVRE, Précis de droit international, p. 66-67, v. aussi LE FUR, p. 354 et suiv. Mais c'est surtout parmi les Allemands que l'on rencontre la thèse nettement posée : BORNHAK, Allgemeine Staatslehre, p. 10. « La différence de l'Etat et de toute autre communauté juridique se trouve dans une domination indépendante de toute puissance terrestre supérieure ». ZORN, Das Staatsrecht des deutschen Reiches, § 4 (p. 63 et 64): « La souveraineté est le premier et le plus haut caractère de l'Etat ; et plus loin: «la souveraineté est la plus haute puissance (höchste GEVALT)». GIERKE, Zeitschrift für die gesammte Staatswissenschaft, 1874, t. XXX, p. 304. SEYDEL, Mėme Revue,1873, t. XXVIII, p. 188-189; HAENEL, Staatsrecht, p. 113.

(2) Ce caractère d'indivisibilité de la souveraineté est reconnu expressément par les divers auteurs cités aux notes précédentes (V. notamment Puffendorff, VII, ch. IV, 559). On sait quel relief (en ce qui concerne la souveraineté interne du peuple dans l'Etat), ROUSSEAU lui a donné dans un célèbre chapitre du Contrat social (L. II, ch. II): « (Nos politiques) font du' souverain un être fantastique et

Si on adopte cette notion de la souveraineté, et si on ajoute qu'elle est la marque essentielle de l'Etat, on se trouve dans un grand embarras, non seulement pour expliquer l'existence des Etats vassaux ou protégés, mais encore pour caractériser la véritable situation juridique des Etats fédéraux, dans lesquels il y a un partage d'attributions entre l'Etat central et les Etats particuliers qui le composent. C'est à cette difficulté, si nécessaire aujourd'hui à résoudre en Allemagne, que se rattachent les interminables et souvent confuses discussions qui se sont élevées dans la science allemande sur la définition de l'Etat et sur le criterium qui le distingue de la simple province.

Les auteurs qui admettent la théorie ci-dessus ont, pour expliquer la situation des Etats groupés en Etat fédéral, deux voies possibles. Ils peuvent déclarer que la souveraineté n'a pas cessé d'appartenir aux Etats particuliers, que ceux-ci sont unis par un simple contrat du droit des gens, et qu'en conséquence il n'existe pas à proprement parler d'Etat fédéral ayant une existence distincte de la leur. C'est l'explication de Seydel (1). Mais comme elle est presque évidemment en contradiction avec la constitution de l'Empire allemand, la plupart des auteurs préfèrent dire, au contraire, que la souveraineté appartient à l'Etat fédéral, et non aux Etats particuliers. Il semble qu'ils doivent, dès lors, déniant à ces derniers la qualité d'Etats, déclarer que l'Etat fédéral ne diffère pas essentiellement de l'Etat unitaire, et que ses subdivisions territoriales ne sont que des provinces, auxquelles il accorde une certaine autonomie. C'est ce que font ceux qui suivent jusqu'au bout le système (2). Mais beaucoup cherchent, par un biais quelconque,

formé de pièces rapportées ; c'est comme s'ils composaient l'homme de plusieurs corps, dont l'un aurait des yeux, l'autre des bras, l'autre des pieds et rien de plus. Les charlatans du Japon dépècent, dit-on, un enfant aux yeux des spectateurs; puis jetant en l'air tous ses membres l'un après l'autre, ils font retomber l'enfant vivant et tout rassemblé. Tels sont à peu près les tours de gobelet de nos politiques; après avoir démembré le corps social par un prestige digne de la foire, ils rassemblent les pièces on ne sait comment ». ROUSSEAU vise ici MONTESQUIEU et la théorie de la séparation des pouvoirs. Mais le trait atteint toute théorie qui tend à diviser la souveraineté de l'Etat.

(1) SEYDEL, Der Bundesstaatsbegriff, dans Zeitschrift für die gesammte Staatswissenschaft, t. XXVIII, p. 185 et s.

(2) Par exemple: COMBOTHECRA, La conception juridique de l'Etat pp. 104 et 138-139.

à conserver aux Etats particuliers le titre d'Etat. Zorn (1), par exemple, après avoir exprimé avec beaucoup de force l'idée que l'Etat fédéral est seul souverain, qu'en conséquence, au sens strict du mot, les Etats particuliers de l'Empire allemand ne sont plus des Etats, ajoute que l'usage doit continuer à les appeler de ce nom, qu'on ne peut condamner cet usage qui est conforme aux traditions historiques et qu'en somme il n'y a là, du moment qu'on est d'accord sur le siège de la souveraineté, qu'une querelle de mots. Haenel (2) déclare que la souveraineté n'appartient ni à l'Etat fédéral, ni aux Etats particuliers, mais seulement à leur réunion, en sorte que ni l'un, ni les autres, ne méritent, au sens propre du mot, le titre d'Etat, mais qu'on peut cependant le leur conserver en indiquant qu'il y a là une extension de la notion d'Etat.

Tous ces systèmes intermédiaires souffrent de contradictions intimes (3) et n'ont pu satisfaire tous les esprits. Aussi beaucoup de jurisconsultes croient aujourd'hui devoir entrer franchement dans des voies nouvelles, et abandonnent nettement la théorie de la souveraineté, telle que nous l'avons indiquée plus haut.

C'est ici le point décisif. Nous ne pouvons, quant à nous, qu'approuver cette évolution. Il est évident que la théorie intransigeante de la souveraineté conduit à refuser la qualité d'Etat à des communautés politiques auxquelles l'usage accorde ce titre. Cette raison ne serait pas à elle seule suffisante. Mais on doit remarquer que l'usage n'est en somme que l'indication d'un instinct juridique spontanément développé dans la conscience populaire, et qu'à ce titre il est toujours dangereux de n'en pas tenir compte. Ici, l'usage nous paraît pleinement justifié. Nous faisons à la théorie classique de la souveraineté deux reproches principaux: c'est une doctrine étroite, c'est une doctrine d'absolutisme.

Elle est étroite parce qu'elle a été construite en vue d'une situation politique déterminée. Elle a été faite pour l'Etat uni

(1) ZORN. Das Staatsrecht des deutschen Reiches, pp. 65 et s.. 71 et s., et surtou pp. 84-86 (2e éd.).

(2) HAENEL. Deutsches Staatsrecht, t. I. pp. 206 et s., 802-803. Dans un sens analogue: BORNHAK. Allgemeine Staatslehre, pp. 244-246. OTTO-MAYER. Deutsches Verwalkungs Recht, t. II, p. 464.

(3) Sur ces contradictions, v. REHM. Allgemeine Staatslehre, pp. 117 et s. 120 et st.

taire, jaloux de sa toute-puissance, et n'en abandonnant aucune parcelle aux communautés inférieures existant sur son territoire. Elle n'admet que des Etats absolument égaux en droit, et entre lesquels ne peut se trouver ni hiérarchie ni subordination autre qu'une subordination entière dans laquelle la personnalité même de l'un des deux Etats en présence disparaft. Cette thèse a pu être utile à la formation des grands Etats européens; elle a favorisé cette tendance à la concentration qui était sans doute nécessaire pour qu'ils se constituassent; elle a pu rendre par là un service transitoire à la cause de la civilisation. Mais elle ne tient pas compte de toutes les manifestations possibles de la vie politique. Elle aperçoit un Etat idéal qui est à ses yeux un Etat parfait, et elle nie la possibilité de tout autre Etat. Elle la nie a priori, ou du moins la seule raison qu'elle apporte à l'appui de sa négation est une raison d'ordre politique qui est loin d'être décisive; car à supposer qu'il y ait, à cause des conflits possibles, un inconvénient grave à établir deux puissances sur un même territoire, rien ne prouve que ce soit là un danger auquel on ne puisse parer, et rien ne prouve non plus que ce danger ne soit contrebalancé par de réels avantages. La doctrine part d'une idée préconçue, bien plus d'une idée qui a été mise en avant parce qu'on voulait la faire prévaloir en vue d'un but politique. déterminé; elle est par là même étroite et arbitraire.

Or, cette doctrine étroite est une doctrine d'absolutisme. L'influence qu'elle peut avoir sur la marche de l'humanité ne peut conduire qu'à sacrifier les petits aux grands et les faibles aux forts. Elle aboutit à ce résultat que, dès qu'un pays a été obligé, par suite de sa faiblesse relative, à se soumettre d'une manière permanente, sur certains points déterminés, à un voisin puissant, il devra être considéré en droit comme entièrement asservi; qu'il ne pourra conserver aucune parcelle de son indépendance s'il ne la conserve pas toute entière ; et que le droit devra se refuser, par cela seul qu'il aura été partiellement soumis, à sanctionner les réserves qu'il aura faites et que son dominateur aura acceptées. On arriverait ainsi peu à peu. si on n'y prenait garde, à rayer de la liste des Etats toutes les puissances de second ordre; car depuis les pays protégés jusqu'aux pays neutralisés ou à ceux qui se sont vu imposer

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