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La mission Joalland-Meynier retourna au Soudan en contournant à nouveau le Tchad par l'est et le nord. M. Foureau revint en France par le Congo. En somme, malgré des pertes douloureuses et un événement pénible qui a failli tout compromettre et sur lequel, pour l'honneur du nom français, il vaut mieux faire le silence, le gouvernement a réalisé l'objectif ambitieux qu'il s'était proposé réunir toutes nos colonies de l'Afrique occidentale en faisant converger simultanément vers le Tchad et se rencontrer sur ses bords trois missions venues, l'une du Nord, l'autre de l'Ouest et la troisième du Sud.

Il serait injuste d'oublier ici la tâche accomplie à la même époque par la mission Hostains-d'Ollone. Cette mission partit au début de 1899 de Bereby (Côte d'Ivoire) dans le but d'explorer la région du Cavally dont le cours forme frontière avec la République de Liberia, et quelques mois plus tard, elle s'établissait dans une position d'attente dans un retranchement baptisé Fort-Binger sur les bords de ce fleuve. Et là, chose curieuse, alors que les nouvelles se transmettent en Afrique à des distances énormes avec une rapidité qui surprend les Européens, personne n'avait jamais entendu. parler ni de la prise de Samory ni de la présence des blancs au Nord, tant est grand l'obstacle que l'immense forêt habitée par des anthropophages apporte aux relations entre la région cotière et le Soudan.

C'est cependant cette forêt que la mission Hostains-d'Ollone a traversée dans toute sa largeur pour retrouver à Beyla la mission Wolfell-Mangin qui, partie du Soudan, s'était dirigée vers le Sud à sa rencontre, mais qui était revenue en arrière, ayant reçu, elle, l'ordre de rappel qui n'avait pu parvenir à l'autre mission. Le voyage du lieutenant Blondiaux avait déjà montré que les cours d'eau du Soudan méridional jusque-là considérés comme les composants du Cavally sont, en réalité, des têtes de la Sassandra. La mission Hostains-d'Ollone a complété ces notions en établissant que le Cavally fait un détour considérable vers l'Ouest, ce qui fait rentrer dans notre zone d'influence des territoires étendus auparavant regardés comme appartenant à l'hinterland de Liberia (1).

Et toujours de nouveaux traités de délimitation! La dernière convention n'a, il est vrai, qu'une importance restreinte. Une contestation existait en la France et l'Espagne portant sur deux points différents. Elle a été réglée amicalement au début du mois de juillet 1900 (2). La première question était de savoir où s'arrêterait l'hinterland des possessions espagnoles du Rio de Oro situées entre le cap Blanc et le cap Bojador. Sur certaines cartes étrangères, il s'étendait déraisonnablement vers l'est. La convention a décidé que la frontière, tracée de manière à laisser à la France tout l'Adrar avec la Sebkha d'Idjil, rejoindrait en remontant vers le nord le 14°20' longitude est de Paris pour le suivre ensuite jusqu'à un point que l'on a évité de déterminer pour ne rien engager touchant la question du Maroc.

La seconde difficulté était relative aux prétentions de l'Espagne sur la

(1) Voir pour plus de détails: Questions diplomatiques et coloniales, 1er octobre 1900. (2) Voir J. Offic., doc. parl., Ch., sess. extr., 1900, p. 121.

partie septentrionale du Gabon qui se trouve en face des petites îles de Corisco et d'Elobey. Certains publicistes espagnols (1) ne réclamaient-ils pas pour leur pays tous les territoires qui s'étendent entre le cap Esterias et la frontière allemande jusqu'au 45o est de Paris, soit environ 250.000 k. c., la moitié de la France? Prétention tout à fait exorbitante, étant donné que l'Espagne n'avait jamais fait acte de souveraineté sur ce pays et qu'elle n'avait même jamais essayé de l'explorer. Par l'accord de juillet 1900, l'Espagne accepte comme frontière sud le Rio Mouni et comme frontière est le 9° longitude est. Un droit de préemption est réservé à la France sur le territoire de cette possession.

Une convention revisant le régime d'entrée des spiritueux dans certaines régions de l'Afrique a été signée à Bruxelles le 8 juillet 1900. Le droit d'entrée est élevé dans le but très louable d'enrayer le développement de l'alcoolisme. Hélas, ce n'est pas seulement en Afrique que l'alcoolisme a besoin d'être combattu et ici encore les Européens devraient bien prècher d'exemple!

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3. LE BUDGET COLONIAL DEVANT LE PARLEMENT ET LES FINANCES LOCALES. Le budget des colonies pour l'année 1900 a eu pour rapporteurs M. Doumergue à la Chambre des députés (2) et M. Franck-Chauveau au Sénat. La discussion de ce budget a occupé au Palais-Bourbon les séances des 8 et 11 décembre 1899 et celle du 24 février 1900, et au Luxembourg celles des 31 mars et 10 avril 1900. La loi des finances a été promulguée le 13 avril 1900. Elle fixe les dépenses du ministère des colonies à un chiffre total de 106.493.558 fr., se décomposant ainsi : 1o dépenses communes, 2.361.600 francs; 2o dépenses civiles, 12 352.174 fr. ; 3° dépenses militaires, 82.736.484 fr.; 4o dépenses pénitentiaires, 9.066,400 fr.

Par rapport au budget de l'année précédente, c'est là un accroissement de dépenses de 16 millions environ. Le chiffre de 100 millions est dépassé! Ainsi qu'il est facile de s'en convaincre par la comparaison de ces deux budgets, l'augmentation porte uniquement sur les dépenses militaires, les pouvoirs publics ayant enfin compris la nécessité de mettre le territoire colonial en état de défense contre les attaques possibles venant de l'extérieur (3).

Les dépenses civiles ont, au contraire, légèrement diminué. La tendance actuelle est de rejeter sur les colonies intéressées les dépenses dites de souveraineté que l'Etat prenait jusqu'ici à sa charge (4). Par suite de l'époque tardive à laquelle a été déposé le projet de budget, cette réforme n'a pas pu être mise en vigueur dès l'année 1900. On a voulu du moins en assurer la réalisation en 1901. La loi de finances du 13 avril 1900 contient en effet un article 33 ainsi conçu :

«Le régime financier des colonies est modifié à partir du 1er janvier 1901 conformément aux dispositions suivantes :

(1) Voir la brochure du lieutenant Sorela.

(2) J. Offic., doc. parl., Chambre, sess. ord. 1899, p. 2453-2464, et sess, ord. 1900, p. 455-456 ̧ (3) Voir notre dernière chronique, Revue du droit public, no de mars-avril 1900, p. 313-314. (4) Voir pour plus de détails à ce sujet nos Réflexions sur le budget des colonies dans les Questions diplomatiques et coloniales du 1er mai 1900.

1. Toutes les dépenses civiles et de la gendarmerie sont supportées en principe par les budgets des colonies.

Des subventions peuvent être accordées aux colonies sur le budget de l'Etat.

Des contingents peuvent être imposés à chaque colonie jusqu'à concurrence du montant des dépenses militaires qui y sont effectuées ».

Par voie de conséquence, il a fallu reviser la liste des dépenses obligatoires imposées aux colonies, de manière à y comprendre les dépenses de souveraineté antérieurement supportées par la métropole. D'après le § 2 de l'art. 33, la nomenclature et le maximum de ces dépenses obligatoires doivent être fixés par un décret en Conseil d'Etat en ce qui concerne les colonies d'Amérique et la Réunion. Ce décret est intervenu à la date du 31 août 1900. Il énumère les dépenses obligatoires à la Martinique, à la Guadeloupe, à la Guyane et à la Réunion. Cette nomenclature est d'ailleurs uniforme pour ces quatre colonies; elle comprend : 1o les dépenses transportées du budget métropolitain au budget local; 2o les dépenses obligatoires aux Antilles et à la Réunion d'après la législation antérieure. Il est curieux de remarquer à ce sujet que la Guyane qui, en 1854, avait été en quelque sorte déclassée et confondue dans la foule des petites colonies, est replacée par la loi de 1900 sur le même pied que les Antilles et la Réunion. Quant aux autres colonies, la liste des dépenses obligatoires est fixée par la loi. Elle comprend les dettes exigibles, le minimum du traitement du personnel des secrétariats généraux, le traitement des fonctionnaires nommés par décret, les frais de la gendarmerie, de la police et de la justice, les frais de représentation du gouverneur, le loyer, l'ameublement et l'entretien de son hôtel, les frais de son secrétariat, et les autres dépenses imposées par des dispositions législatives (Loi du 13 avril 1900, art. 33, § 2.)

Ainsi à l'avenir, toutes les colonies paieront elles-mêmes leurs dépenses de souveraineté, sauf à recevoir de l'Etat, au moins pendant les premières années, une subvention leur permettant d'équilibrer leur budget Pour certaines colonies nouvelles, celles qui semblent les mieux administrées, ce système d'autonomie financière était déjà en vigueur. C'est ainsi que la Guinée, la Côte d'Ivoire, le Dahomey et l'Indo-Chine supportent toutes leurs dépenses civiles. Ce dernier pays supporte mème une partie de ses dépenses militaires. Le régime financier du Congo, de Madagascar et de la Côte des Somalis est établi d'après les mêmes principes ces colonies paient leurs dépenses civiles, mais l'Etat verse, pour l'année 1900, une subvention de 2.078.000 fr. au Congo, de 1.700 000 fr. à Madagascar, et de 300.000 fr. à la Côte des Somalis. Le budget des autres colonies où les gouverneurs, les trésoriers, les membres de la magistrature et du clergé et les gendarmes coloniaux étaient rétribués sur le budget métropolitain sont établis d'après les mêmes règles depuis le 1er janvier 1901. En 1900, l'Etat avait payé de ce chef 925.397 fr. pour la Guadeloupe, 809.215 fr. pour la Réunion, 758.849 fr. pour la Martinique, 624.724 fr. pour la Nouvelle-Calédonie, 388.928 fr. pour la Guyane, 314.855 fr. pour Tahiti, 114.713 fr. pour Saint-Pierre, 106.195 fr. pour l'Inde, 39.583 fr. pour

Mayotte, 30 860 fr. pour le Sénégal. Ces dépenses, atténuées il est vrai en fait, par les contingents demandés à ces colonies, disparaissent du budget. de 1901 et sont remplacées par des subventions accordées aux budgets locaux.

En fait, l'économie réalisée par la métropole ne sera guère importante au début. Le budget de 1901 alloue 840.000 fr. à la Guadeloupe, 440.000 fr. à la Réunion, 618.000 fr. à la Martinique, 675,000 fr. à la Nouvelle-Calédonie, 260.000 fr. à la Guyane, 274.500 francs à Tahiti, 95.000 fr. à St-Pierreet-Miquelon, 205.000 fr. à l'Inde, 26 000 fr. à Mayotte (1). Le Sénégal ne recevait rien. Le système nouveau fait toucher du doigt l'étendue du sacrifice que la mère-patrie s'impose pour chaque colonie, et il faut espérer qu'une surveillance plus étroite exercée sur les budgets locaux permettra d'en diminuer progressivement l'importance.

4. MOUVEMENT COMMERCIAL ET RÉGIME DOUANIER. Le tableau général da commerce de la France pendant l'année 1899 donne la part de chacune de nos colonies dans le total de nos importations (4.518 millions) et de nos exportations (4.152 millions). Voici les chiffres du commerce spécial :

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Comparés à ceux de l'année précédente, ces chiffres présentent dans l'ensemble une augmentation de plus de 8 millions à l'importation et de 43 millions à l'exportation. Si l'on songe que l'année 1898 accusait déjà un progrès très sensible du commerce colonial français, on arrive à puiser dans la constatation de ce dévoppement remarquable de notre chiffre d'affaires avec les colonies un motif très sérieux d'espérance pour l'avenir. Il faut mesurer le chemin parcouru; il suffit pour cela de rapprocher les sta

(1) Voir à ce sujet le très intéressant rapport fait sur le budget des colonies par M. Le Myre de Villers (J. Offic., doc. parl., Chambre, sess. ord. 1900, p. 1751-1809).

tistiques que nous reproduisons chaque année dans nos chroniques et qui sont absolument comparables entre elles.

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Le développement est continu et remarquable, mais le progrès des exportations (75 millions en cinq ans) mérite d'attirer tout particulièrement l'attention. Pour la première fois en 1899, nos exportations à destination de nos colonies dépassent nos importations. Certes, nous repoussons de toutes nos forces ce point de vue à la fois égoïste et naïf qui s'attacherait à la balance du commerce pour apprécier les avantages que notre pays retire de ses colonies. Mais du développement tout particulier de exportations il est bien permis de conclure que nos colonies augmentent en richesse et en bien-être et que les capitaux français se portent de plus en plus vers les affaires coloniales.

L'Indo-Chine française, le Sénégal et la Cote occidentale d'Afrique, Madagascar et la Nouvelle-Calédonie, nos colonies d'avenir en un mot, tiennent une large part dans ce développement économique. Nos exportations par le Sénégal et la Côte occidentale d'Afrique ont augmenté de 16 millions, nos exportations pour Madagascar de 8 millions, nos exportations pour l'Indo-Chine de 5 millions. Dans le classement des pays de destina. tion établi d'après l'importance du commerce français l'Indo-Chine arrive au 13o rang, le Sénégal au 15o, Madagascar au 17o.

Il n'est pas jusqu'à nos vieilles colonies dont le commerce ne soit aussi en progrès.

Les résultats fournis par les douanes coloniales confirment ceux qui sont donnés par la douane métropolitaine. Le commerce extérieur de l'IndoChine française (1) s'est élevé en 1899 à 115 millions à l'importation et à 128 millions à l'exportation, chiffres qui n'avaient jamais encore été atteints. En analysant ces résultats, on est surtout frappé : 1o du développement tout particulier du commerce de l'Annam proprement dit, 2o de l'augmentation des importations de tissus de coton français, 3o de l'accroissement des importations françaises qui progressent beaucoup plus rapidement que la somme totale des importations, ce qui dénote une diminution relative de la part du commerce étranger. Ce sont là des signes également encourageants pour l'avenir.

Pour la côte occidentale d'Afrique, les statistiques coloniales de l'année 1899 donnent les chiffres suivants :

(1) Quinzaine coloniale du 25 septembre 1900.

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