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7. LES TRAVAUX PUBLICS.

La nécessité de doter nos colonies de l'outillage indispensable à leur mise en valeur est enfin comprise aujourd'hui. Signe des temps: une thèse de doctorat en droit a été soutenue il y a quelques mois devant la Faculté de droit de Poitiers sur les chemins de fer aux colonies françaises dans laquelle le sujet est traité d'ailleurs d'une manière assez complète. Dans son rapport sur le budget des colonies pour l'année 1901, M. Le Myre de Villers (1) a préconisé le système de la garantie d'intérêts appliqué aux chemins de fer coloniaux. Il fait observer que « cette garantie ne jouera presque jamais parce que nos colonies d'avenir ont une souplesse budgétaire qui leur permet de faire face aux annuités d'emprunts gagés sur des excédents réels de recettes» et il a ajouté : « L'État en refusant sa garantie à une colonie la met dans cette alternative: ou de renoncer à exécuter les travaux sans lesquels elle est condamnée à la stagnation et à l'anémie progressive ou d'emprunter quand même, mais alors à des conditons particulièrement onéreuses pour lui puisqu'aucune de nos colonies ne paie l'intégralité de ses frais de souveraineté civile et militaire. » A l'appui il cite l'exemple de la Nouvelle-Calédonie qui, ayant besoin de 10 millions pour construire un chemin de fer les trouverait à 4 0/0 amortissement compris avec la garantie de l'Etat et qui, sans cette garantie, ne les trouverait qu'à 8 0/0. Si la colonie est obligée de payer 800.000 fr. par an au lieu de 400.000, l'État qui est amené à lui accorder une subvention pour équilibrer son budget ne sera-t-il pas en définitive la victime de son refus? Il aura grevé la colonie et il se sera grevé lui-même.

Il est vrai que les colonies ont la ressource d'emprunter à la Caisse des dépôts et consignations. C'est ainsi que le Congo français a emprunté cette année, pour l'exécution de divers travaux, à cette Caisse, 2 millions à 3.80 0/0 qui doivent être remboursés en 25 ans grâce à l'inscription de 23 annuités inscrites parmi les dépenses obligatoires au budget de la colonie (Décret du 30 mars 1900). Mais c'est là un détour financier auquel il serait dangereux de recourir trop souvent et pour des sommes trop impor

tantes.

L'opinion est donc bien disposée en ce moment, et il faut se hàter d'en profiter. Un peu partout, il est vrai, on entre dans la période d'exécution, mais trop lentement à notre gré.

Au Tonkin, la section Gia-lam à Phu-lang-tuong a été ouverte à l'exploitation le 1er octobre 1900. Les sections Haï-Phong à Vietri (158 kil. 222) et Hanoï à Ninh Binh (117 kil. 450), sont très avancées. Un décret du 17 juin 1900 a autorisé l'ouverture des travaux du chemin de fer de Saïgon à Tamlinh (132 kil.), et un autre décret du 7 décembre 1900 a autorisé au Tonkin l'ouverture de travaux sur les sections de Vietri à Lao-kay et de Ninh-Binh à Giem Quink.

A la côte des Somalis, une première section de voie ferrée, comprenant 108 kil. de Djibouti à Daouenbé a été ouverte au service des voyageurs et des marchandises le 14 juillet 1900.

1) J. off. Chambre, doc. parl. sess. ord. 1908 p. 1758.

En Guyane, le Conseil général a voté le 19 janvier 1900 la concession du réseau des chemins de fer en faveur de M. Levat, ingénieur des mines. Ce réseau comprend un chemin de fer de pénétration partant de Cayenne et remontant la vallée de l'Approuagne jusqu'à la hauteur du Saut-Canori. La il se divise en deux branches se dirigeant l'une à l'est vers le Contesté, l'autre à l'ouest vers la frontière hollandaise, de manière à desservir les placers. La longueur totale est de 400 kil. environ. Pour le moment, on construirait les 100 premiers kilomètres. L'écartement de la voie serait de 1 mètre.

Les avantages financiers assurés à la compagnie concessionnaire consistent: 1o dans l'inscription au budget de la colonie d'une subvention fixe annuelle de 300.000 fr. destinée à assurer le service d'un emprunt de 8 millions en obligations, 2o dans la concession de 200 000 hectares de terre à prendre, la moitié en bordure sous forme de carrés de 10 kilomètres de côté alternant en damier le long de la voie, l'autre moitié en un ou deux tenants dans une des grandes vallées de la Guyane.

Le chemin de fer du Soudan a été poussé jusqu'à Toukoto et un pont a été jeté à cet endroit sur le Bakoy au mois de juillet 1900. Le rapport déjà cité de M. Le Myre de Villers semble assez pessimiste en ce qui concerne les charges financières de cette entreprise qui paraît bien jouer de malheur.

Le projet autorisant la colonie de Madagascar à emprunter 60 millions pour la construction du chemin de fer de Tananarive à la côte, dont les dispositions essentielles ont été analysées dans notre dernière chronique (1) a été adopté par les Chambres, et la loi a été promulguée à la date du 14 avril 1900.

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8. COLONISATION PÉNALE. Un Congrès colonial ne peut guère se réunir sans agiter la question toujours passionnante de la colonisation pénale. Faisant siennes les conclusions du rapport dont son secrétaire général avait bien voulu nous charger, le Congrès colonial international réuni à l'occasion de l'Exposition de 1900 a émis les vœux suivants :

Le Congrès, sans se prononcer sur le principe même de la transportation, estime désirable que, là où cette peine existe, elle soit organisée sur les bases suivantes :

1o Ne pas affecter spécialement certaines colonies à la colonisation pénale, mais organiser des équipes pénitentiaires que l'on enverrait temporairement dans les régions où la main-d'œuvre fait défaut et où il y a d'importants travaux à exécuter;

2o N'employer les condamnés qu'à des travaux d'une utilité évidente;

3o Considérant qu'il est désirable d'éviter aux travailleurs libres des travaux pénibles, dangereux ou malsains, propose d'y affecter les condamnés;

4° Les employer de préférence aux travaux d'utilité publique;

5o Mettre gratuitement, pour exécuter les travaux publics, la main-d'œuvre pénale à la disposition des colonies ou des municipalités ;

5 bis (Proposition Levat), Réglementer la gratification du travail des condam

(1) N° de mars-avril 1900, p. 305-306.

nés de manière à permettre l'allocation de gratifications individuelles aux transportés qui l'auraient mérité;

6 Supprimer radicalement les concessions pour les condamnés en peine ;

cours de

70 Placer les services pénitentiaires sous la direction complète des gouverneurs qui auront soin de déterminer le travail auquel les condamnés doivent être employés ;

80 Prendre des mesures énergiques pour empêcher de vagabonder les individus condamnés à résider dans une colonie sans être astreints au travail.

De tous ces vœux, le premier est sans contredit le plus essentiel, il était ainsi développé dans le rapport soumis au Congrès :

« Tout d'abord, dans quelles colonies convient il d'expédier les condamnés? La réponse dépend évidemment avant tout de la composition et de l'étendue du domaine colonial de chaque pays. Par suite, il peut paraître singulier de discuter une pareille question dans un Congrès internatio nal. Cet'e discussion, cependant, me paraît extrêmement utile, parce qu'elle met en opposition, dès le début, deux manières absolument différentes de comprendre la colonisation pénale.

« Un premier système consiste à envoyer tous les condamnés dans une ou deux colonies déterminées, spécialement affectées à cet usage. Cette solution, qui se présente la première à l'esprit, paraît de nature à contenter tout le monde. En limitant les points contaminés, il semble que l'on donne satisfaction aux habitants des colonies, puisque l'on réduit au minimum le nombre de ceux qui auront à souffrir d'un voisinage gênant. D'un autre côté, l'administration pénitentiaire ne demande pas mieux parce qu'elle a la perspective d'agir en maîtresse et à sa tête dans le coin qui lui est ainsi abandonné. Aussi ce système est-il généralement suivi. Il comporte cependant bien des objections.

« Une première difficulté s'élève lorqu'il faut choisir les points ainsi sacrifiés. Les coloniaux diraient volontiers : « Prenez ce que nous avons de plus mauvais.» L'administration pénitentiaire tient au contraire à choisir non seulement un endroit d'où il soit difficile de s'évader, mais encore un pays salubre où l'on puisse faire travailler les Européens sans mettre leur santé en danger. Or, n'est-il pas fâcheux, par exemple, pour nous Fran. çais, que la Nouvelle-Calédonie qui est pour ainsi dire notre seule colonie de peuplement, soit précisément sacrifiée à la colonisation pénale?

<< Voilà donc un coin de terre déshonoré, aux yeux de l'humanité civilisée et dont le nom seul éveille immédiatement dans l'esprit une idée de bagne. Mais voyons où l'on est conduit.

<«< La colonisation pénale, a-t on dit, est une question de dose. Un pays peut bien supporter sans trop de dommages la présence d'un nombre relativement restreint de condamnés. Mais lorsque le chiffre de la population pénale devient égal ou supérieur à celui de la population libre, cel pays se trouve transformé en un véritable cloaque où les honnêtes gens évitent de s'aventurer. La colonisation libre est étouffée par la colonisation pénale, ou tout au moins il s'établit entre les deux une rivalité extrêmement nuisible à l'avenir et au développement de la colonie.

· Et ainsi l'on est conduit, pour donner satisfaction aux réclamations qui se produisent, à exagérer encore le système. On propose de parquer les forçats dans un coin de la colonie dont ont laisserait l'administration pénitentiaire absolument maîtresse en lui interdisant de franchir les limites du territoire à elle assigné. On aurait ainsi deux colonies voisines, mais complètement séparées, l'une purgée de forçats, l'autre à l'entrée de laquelle on écrirait ces mots : « Le public n'entre pas ici ». Mais cette exagération est la condamnation même du système Les chances de relè vement, si faibles en elles-mêmes, deviennent absolument nulles dans un milieu complètement corrompu. Les modes d'emploi de la main-d'œuvre pénale sont désormais très restreints, et l'on ne sait plus bientôt à quoi employer les forçats. Au double point de vue de l'amendement du condamné et des progrès de la colonisation, on renonce à toute espérance, et ainsi s'évanouit cette part d'idéal ou, si l'on veut, d'illusion qui séduit dans la transportation certains esprits généreux.

« Et alors apparaissent les avantages d'un second système tout à fait opposé, système qu'un ancien gouverneur de la Guyane, dans une des dernières séances de la Société générale des prisons (23 mai 1900) résumait fort bien en disant : « Je voudrais qu'il n'y eut pas de colonies pénitentiaires, mots que je voudrais encore voir rayés des règlements, mais des équipes pénitentiaires envoyées dans les colonies où il y aurait des travaux à exécuter. » Pourquoi en effet concentrer sur un même point tous les éléments mauvais venus de la métropole? N'est-il pas préférable de les dis séminer de façon à ce que, partout, ils se trouvent noyés au milieu de la population libre? Nulle part l'administration pénitentiaire n'aurait de ces installations coûteuses et définitives à la construction puis à l'entretien desquelles un nombre élevé de journées de travail est toujours consacré, constructions sans intérêt au point de vue de la colonisation. Aucune colonie ne serait souillée, déshonorée. Mais lorsque sur un point quelconque on aurait besoin de main-d'œuvre pour construire une route ou un chemin de fer, creuser un port ou édifier des travaux de défense, on enverrait une équipe de 100, de 200 ou de 500 forçats, par exemple, qui serait ensuite dirigée ailleurs une fois le travail terminé. Les condamnés ne feraient que passer sans laisser d'autres traces que celles de leur travail. On aurait ainsi une véritable armée pénale des travaux publics organisée sur le modèle de nos compagnies de discipline. Le décret du 13 décembre 1894, concernant l'emploi aux colonies de la main-d'œuvre des condamnés aux travaux forcés, prévoit bien, comme d'ailleurs le décret antérieur du 15 septembre 1891, la formation de sections mobiles susceptibles d'être envoyées temporairement dans les colonies non pénitentiaires, mais en fait, ces sections mobiles n'ont jamais été employées en dehors de la Guyane et de la Nouvelle-Calédonie. En dehors de France, au contraire, on paraît avoir mieux tiré parti de ce système si souple des équipes pénitentiaires. Les Hollandais, en particulier, ont employé avec succès des forçats à la construction du chemin de fer de Sumatra (1).

(1) Communication de M. Post à l'institut colonial international, session de Bruxelles, avril 1899.

« A cette première question où envoyer les condamnés ? vous avez donc à vous demander s'il n'y a pas lieu de répondre on doit pouvoir en voyer les forçats n'importe où, mais à la condition de ne les laisser nulle part. Le mieux est d'organiser non pas des colonies pénitentiaires, mais des équipes pénitentiaires que l'on enverrait là où la main-d'œuvre fait défaut et où il y a des travaux importants à effectuer. »

Sur ce point comme sur presque tous les autres, nous avons eu la bonne fortune de nous trouver complètement d'accord avec M. Levat qui, dans un mémoire très intéressant sur la colonisation pénale en Guyane, est venu confirmer, par son expérience et ses observations personnelles, les conclusions auxquelles le simple raisonnement nous avait conduit. Il semble bien d'ailleurs que l'administration pénitentiaire ait une certaine tendance à entrer dans la voie indiquée par le congrès. Le décret du 21 avril 1900 qui rattache le bureau de l'administration pénitentiaire à la direction dont relèvent au point de vue politique la Nouvelle-Calédonie et la Guyane procède notamment du désir de placer d'une manière plus complète l'administration pénitentiaire sous l'autorité des Gouverneurs. Le lecteur s'intéressant à la question de la rélégation des récidivistes trouvera, dans le Journal officiel du 9 février 1900 le rapport du ministre des colonies au Président de la République sur la marche générale de ce service en 1898 et dans le Journal officiel du 15 novembre 1900 le rapport correspondant pour l'année 1899 (1). Il suffit ici d'un simple renvoi à ces rapports très complets. Depuis lors, un décret du 23 février 1900 est venu réglementer les conditions auxquelles les relégués collectifs peuvent être embauchés comme travailleurs par les particuliers. Il fixe le salaire, le logement, la nourriture, les soins médicaux et le cautionnement (25 fr. par engagé) à fournir par l'engagiste. L'engagement doit être constaté par écrit et ne peut exéder un an, sauf a être renouvelé. Suivent d'autres prescription, nécessaires sans doute, mais bien minutieuses.

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9. ORGANISATION ADMINISTRATIVE ET JUDICIAIRE. L'organisation administrative et judiciaire des colonies n'a subi que peu de changements pendant l'année 1900. Deux décrets du 6 avril 1900 ont réorganisé les classes et les traitements des gouverneurs et des administrateurs coloniaux. Ainsi qu'un autre décret du même jour concernant les chefs, sous chefs et commis des bureaux des secrétariats généraux, ils n'offrent guère d'inté rêt que pour le personnel.

Comme conséquence des derniers événements de l'Afrique occidentale, un territoire militaire des pays et protectorats du Tchad a été créé par décret du 8 septembre 1900. Un autre décret du 20 décembre a constitué dans la région du Niger un 3e territoire militaire à Zinder. Il a été question de disloquer le Congo français, mais l'idée jusqu'ici est restée à l'état de projet.

Le directeur des travaux publics au Sénégal (D. 9 janvier 1900), le chef

(1) Rappelons que ces rapports ne doivent pas être confondus avec ceux du président de la commission de classement des récidivistes. (Voir J. off.,16 février 1903)

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