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ont pour objet de lui permettre de veiller aux intérêts collectifs et permanents de la population établie sur son territoire, population dont il est le représentant. S'il exerce tous ces droits librement, il est absolument souverain; mais alors même qu'il est limité ou représenté par un autre Etat dans l'exercice de quelques-uns de ces droits, il n'en résulte pas nécessairement que tous disparaissent. Le pouvoir d'Etat, vu ainsi par son côté positif, est en lui-même parfaitement divisible. Seulement pour qu'on puisse dire que les droits partiels de l'Etat non souverain continuent de lui appartenir en propre et qu'il ne les exerce pas par simple délégation de la puissance à laquelle il est d'autre part subordonné (ce qui le ferait rétrograder au même rang qu'une province ordinaire), il faut que les droits de cette dernière puissance soient, suivant la formule de Georg Meyer que nous indiquions plus haut, juridiquement limités, c'est-à-dire que le conflit entre les deux pouvoirs puisse se trancher d'après des règles fixes tracées à l'avance et s'imposant à l'Etat le plus fort aussi bien. qu'à l'Etat le plus faible. Cette condition est nécessaire pour qu'il y ait un Etat.

Assurément, et nous croyons devoir insister sur ce point,ce n'est pas elle qui constitue l'Etat ; elle est purement négative, et l'Etat est toujours constitué comme quelque chose de positif : il a un substratum : territoire et population; pour qu'il existe, il faut d'abord qu'il se forme dans cette population un pouvoir supérieur capable de la diriger et de la représenter. Mais l'indépendance relative à l'égard des groupes voisins, que nous exigeons pour qu'il y ait un Etat, est bien le dernier caractère qui achève de le constituer.Si le pouvoir qui domine sur un territoire déterminé reste à la discrétion d'un pouvoir extérieur qui est le maître de le conserver ou de le supprimer à son gré, on ne peut point dire que les droits de puissance publique qu'il exerce lui appartiennent en propre. Au fond ils appartiennent au pouvoir qui se borne à en tolérer ou à en déléguer l'exercice tant que cela lui paraît utile. Il y a donc entre ce territoire et les Etats une différence fondamentale et irréductible.

Mais il est possible que les pouvoirs de commandement laissés à une communauté politique ne soient pas entachés de ce

vice de précarité, et cependant n'aillent pas jusqu'à la souveraineté absolue. On peut concevoir qu'entre deux pays se crée un lien de subordination limitée. Sans doute c'est une illusion de rêver entre les fonctions de l'Etat une séparation si entière, et comme une cloison si complètement étanche, que rien de ce qui se produira d'un côté n'influera sur l'autre (1). La vie collective d'une nation ne se laisse pas plus scinder que la vie d'un homme et, quand deux puissances co-existent sur un même territoire, il est inévitable que l'une d'elles ait ce qu'on peut appeler le droit de dernier mot dans les affaires pour lesquelles elles peuvent entrer en conflit. Mais ce droit, qui par sa nature même est restreint à des circonstances exceptionnelles, n'empêchera pas la puissance inférieure d'exercer normalement ses prérogatives et de pouvoir les défendre contre les atteintes injustifiées de la puissance supérieure. D'autre part, la sphère d'action de la puissance inférieure pourra dans certains cas être restreinte sans son consentement formel; mais, quand ce sera possible, il faudra au moins pour cela suivre une procédure régulière qui s'imposera à la puissance supérieure comme à elle-même; elle aura dans cette procédure une part d'action qu'on ne pourra lui enlever, et si elle peut par là être dépouillée de quelques-unes de ses prérogatives, elle ne pourra du moins se voir dépossédée entièrement. Ainsi pour nous, tous les pays qui forment l'Empire allemand sont des Etats (2), même ceux qui n'ont aucun des droits réservés par l'art. 78 paragraphe 2 de la Constitution, bien que la compétence du pouvoir impérial puisse être étendue à leur préjudice par ce pouvoir lui-même; car, d'une part, par leur représentation au Bundesrath, ils participent à la procédure nécessaire pour réaliser cette extension, et d'autre part cette extension ne pourrait aller jusqu'à mettre en cause leur existence, l'Empire n'ayant pas même le droit de modifier isolément leur constitution intérieure (3).

(4) Cpr. LABAND, Staatsrecht des deutschen Reiches, t. I, p. 59,

(2) En mettant à part l'Alsace-Lorraine, dont nous ne pouvons étudier ici l'organisation spéciale.

(3) Ces points sont discutés, et ce n'est pas ici le lieu d'examiner en détail la controverse. Certains auteurs admettent pour l'Empire le droit illimité de modifier sa compétence au détriment des Etats particuliers (sauf les droits réservés par l'art. 78, § 2). C'est notamment l'opinion d'HÆNEL, Staatsrecht, p. 776, et de

Quelqu'opinion que l'on ait, du reste, sur la situation de ces pays, comme de tous ceux qui sont unis en un Etat fédéral, aucun doute n'est possible sur la catégorie dans laquelle il faut placer la Finlande; car les droits de ce pays sont beaucoup plus énergiquement garantis que les leurs. Les changements qui peuvent être apportés à sa Constitution ne peuvent avoir lieu que de son consentement, et c'est là le plus haut degré de garantie possible pour ces droits propres qui sont le signe caractéristique de l'Etat.

Plusieurs des définitions précédemment indiquées se rapprochent très fortement de la nôtre. Celle de Georg Meyer, qui est aujourd'hui, à peu de choses près, celle de Jellinek (1), n'en diffère que parce que cet auteur, après avoir posé comme nous le principe, essaie de préciser la somme de pouvoirs qui doit rester entre les mains de l'Etat subordonné pour qu'il constitue un Etat. Nous croyons qu'en cela il fait fausse route. De ce que les pouvoirs de la puissance supérieure sont juridiquement limités, il s'ensuit bien, comme le dit Georg Meyer, que l'Etat subordonné a le droit d'accomplir, d'après ses propres lois, certaines missions politiques; mais, en disant cela, on ne fait que répéter le principe sous une autre forme, car il est impossible de préciser à l'avance quelles seront les missions réservées à l'Etat subordonné. D'autre part, quand l'auteur ajoute que l'Etat subordonné a le droit de régler, d'après ses propres lois, sa propre organisation, il tire du principe plus qu'il ne contient on peut en déduire seulement que certaines parties de cette organisation seront nécessairement en dehors des atteintes de la puissance supérieure (sans quoi celle-ci ne pourrait plus être considérée comme juridiquement limitée); mais on ne peut en conclure (l'auteur, d'ailleurs, ne le fait pas lui-même) que la puissance supérieure n'aura jamais

LABAND, t. I, p. 120. Mais à supposer que l'on admette cette règle (qui est d'ailleurs contestée, V. ROSENBERG, op. cit., p. 340 et suiv., et ZoRN, p. 437), il faut au moins admettre que l'Etat particulier ne peut pas être anéanti isolément et que l'Empire ne peut lui enlever des droits de puissance publique qu'il laisserait subsister au profit d'autres Etats (V. LABAND, t. I, p. 120; GEORG MEYER, Staatsrecht, § 164).

(1) La parenté entre la doctrine de JELLINEK et celle de GEORG MEYER est signalée par ces auteurs eux-mêmes. JELLINEK, Allgemeine Staatslehre, p. 446, note 1, GEORG MEYER, Lehrbuch der deutschen Staatsrechtes, 5o édit., § 1, note 17. En la forme, les deux théories ne sont cependant point tout à fait identiques. V. infrà, p. 73, et s., l'analyse que nous faisons des idées de JELLINEK.

le droit d'intervenir dans l'organisation de l'Etat subordonné. En fait la plupart des constitutions fédérales imposent aux Etats particuliers certaines règles d'organisation sans leur faire perdre pour cela la qualité d'Etats (1). On ne peut donc présenter l'organisation de l'Etat non souverain comme échappant entièrement aux prises de l'Etat supérieur. En réalité, il est impossible de préciser quels seront les droits qui devront rester à l'Etat subordonné; ils pourront être plus ou moins nombreux; la qualité d'Etat existera dès qu'il s'agira de droits de puissance publique, et qu'ils seront protégés contre toute atteinte par une délimitation juridique.

La Finlande a des droits de cette nature: cela suffit pour qu'elle soit un Etat.

II. — Mais à défaut de la totalité du pouvoir, l'existence internationale n'est-elle pas indispensable à l'Etat? Beaucoup d'auteurs le pensent. Si quelques-uns hésitent à donner à la Finlande la qualité d'Etat, leur plus forte raison est que la Finlande n'a jamais été reconnue par les puissances, ne doit même pas son existence à un acte international, mais à un acte de droit interne, enfin n'a jamais pris place et ne pourra jamais, d'après l'acte de Borgo, prendre place dans la grande famille internationale, de sorte que son existence comme Etat, limitée au droit public russe, n'en peut sortir pour s'affirmer dans le droit public international.

Or, un grand nombre de théories considèrent l'existence internationale comme indispensable à l'Etat. Beaucoup d'auteurs qui acceptent l'Etat mi-souverain exigent que dans l'amoindrissement de son pouvoir celui-ci garde une certaine partie de la souveraineté externe. Chrétien (2), après avoir distingué le droit d'autonomie (ou de souveraineté interne) et le droit d'indépendance (ou de souveraineté externe), expose que la restriction apportée à la souveraineté absolue peut être plus

(1) Exemple: La Constitution des Etats-Unis impose aux Etats la forme républicaine du Gouvernement (ch. Vl, sect. IV), et leur interdit de restreindre le droit de vote sous prétexte de race, de couleur, ou de condition précédente de servitude (Amendement XV). La Constitution fédérale suisse oblige les cantons à demander la garantie de leurs constitutions à la Confédération,garantie qui n'est accordée que sous certaines conditions, parmi lesquelles figure la forme républicaine du gouvernement (art. 6).

(2) CHRÉTIEN, Principes de droit intern. public., p. 202 et 252.

ou moins considérable, mais que la disparition totale de la souveraineté extérieure est inconciliable avec l'existence de l'Etat. Parmi les auteurs allemands qui rejettent la notion de l'Etat souverain, un certain nombre cherchent dans l'existence internationale la condition nécessaire et, certains même, le criterium décisif de l'Etat. Stöber (1) trouve la différence entre l'Etat et la commune (ou la province) en ce que l'Etat est une communauté politique personne du droit des gens, tandis que la commune est une communauté politique personne du droit public. L'Etat, suivant lui, pour être en droit public, doit être en droit des gens. Rosenberg (2), qui note quelques exagérations dans cette thèse, n'en pense pas moins qu'il est de l'essence de l'Etat d'avoir l'existence internationale. Si cette existence internationale n'est pas le criterium de l'Etat, c'est du moins sa conséquence nécessaire. « Les Etats ont le droit de commerce international avec les autres Etats, tandis que les communes ne l'ont pas (3) ». « L'Etat, dit Rosenberg, est une personne juridique du droit des gens, tandis que la commune est une personne juridique du droit public (4)». S'il faut être une personne du droit des gens pour être un Etat, comment la Finlande pourrait-elle en être un? Si, vis-à-vis de la Russie, la Finlande a dans l'Empire russe un territoire, des droits, une nationalité distincte, vis-à-vis des autres Etats le territoire finlandais est territoire russe, les Finlandais qui sont à l'étranger sont vis-à-vis de ce pays des Russes et jouissent de la protection que la Russie donne à ses nationaux ; les ambassades et les consulats russes sont chargés des intérêts finlandais à l'étranger; il n'y a pas de légation étrangère en Finlande et c'est l'Empereur de Russie qui donne en Finlande l'exequatur aux consuls. La Finlande n'a, vis-à-vis des autres Etats, ni le droit de guerre, ni le droit de paix; non seulement elle ne peut faire la guerre seule, mais elle se trouve impliquée dans les guerres russes alors même qu'elle n'y a aucun intérêt : ce

(1) Dr PAUL STŒBER, Die parlamentarische Immunität des Landesausschusses für Elsass-Lothringen, dans Archiv für öffentliches Recht, I, p. 637.

(2) W. ROSENBERG, Ueber der begrifflichen Unterschied zwischen Staat und Kom munalverband, dans Archiv für öffentliches Recht, p. 346 et s., et, d'autre part, p. 365.

(3) ROSENBERG, loc. cit., p. 365.

(4) ROSENBERG, loc. cit., p. 365.

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