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grands voisins maritimes. Ils se concertèrent, et vers la fin de 1853, Frédéric VII, roi de Danemark, et Oscar Ier, roi de Suède et de Norvège, donnèrent à leurs agents diplomatiques près vingt-trois Etats l'ordre de porter à la connaissance des divers gouvernements que le Danemark et la Suède-Norvège entendaient suivre et appliquer invariablement le système d'une « stricte neutralité fondée sur la loyauté, l'impartialité et un égal respect pour les droits de toutes les puissances ». Le principe une fois posé, la note com muniquée entrait dans les détails des obligations et des droits divers que la neutralité imposerait et assurerait aux Etats scandinaves. Ces droits et ces obligations, du reste, étaient l'application à un cas particulier des principes du droit des gens général relatif à la neutralité.

Tous les Etats acceptèrent la déclaration de neutralité scandinave, à l'exception de la Russie, qui, cependant, après quelques difficultés, finit par y adhérer le 7 mars 1854, grâce à la persistance de volonté du Danemark.

La déclaration scandinave admettait le principe des ports ouverts; la fermeture des ports constituait donc l'exception. Cette idée faillit causer de nouvelles difficultés avec la Grande-Bretagne qui aurait désiré que le Danemark fermât le port de Copenhague et même le Sund entier à tout bâtiment de guerre. Ici, encore, cette prétention excessive fut abandonnée. M. Bajer fait observer, avec raison, à propos de ces divers incidents, que des Etats réunis par un même système de neutralité obtiennent des nations les plus puissantes des concessions qui auraient été refusées à leur action isolée, ce qui est un encouragement à multiplier ces systèmes.

M. Bajer entre ensuite dans des détails forts intéressants sur les armements nouveaux que nécessita l'adoption et la neutralité, sur les instructions et les règlements qui furent établis au sujet du pilotage et du remorquage, des obligations concernant les commerçants et les gens de mer, des négociations qui s'ouvrirent au sujet des bâtiments-hôpitaux, et des soins à donner aux blessés et malades de la flotte. M. Bajer, à ce dernier point de vue, fait remarquer combien le manque de bâtiments- hôpitaux appartenant aux Etats belligérants peut exposer la neutralité d'autres Etats situés près du théâtre de la guerre, qui pourraient n'avoir que le matériel suffisant pour venir en aide à un seul des belligérants. Le droit de la guerre devrait donc imposer l'obligation, pour les deux belligérants, d'être munis du matériel sanitaire nécessaire.

Après avoir dit en quelques mots comment le système scandinave de neutralité devait être compris et appliqué au sujet de l'hivernage des flottes alliées dans les ports danois, l'auteur remonte aux origines historiques de ce système et nous donne des explications détaillées sur les unions de neutralité maritime entre les trois royaumes, de 1691, de 1756, de 1780, de 1794 et de 1880, en insistant particulièrement sur la célèbre ligue des neutres de 1780, qui a constitué, suivant un publiciste autorisé, « l'émancipation des neutres en principe et en fait du joug des belligérants ».

Tous ces actes s'enchaînent, forment un tout ininterrompu, dit l'auteur, << comme deux lacs visibles sont unis par un lac souterrain ». Par eux, un progrès réel et sérieux s'est opéré dans les règles de la neutralité, en sorte que, si le droit finit ici par l'emporter sur la force, ce mérite et cet honneur reviennent surtout aux Etats scandinaves ». Et M. Bajer conclut que ces unions, qui n'étaient pas des alliances de belligérants, mais de pacigérants, donnent un bon exemple à suivre par les Etats neutres, qui devraient adopter la devise connue : l'Union fait la force.

Tel est le résumé de l'excellent opuscule publié par M. Bajer, à la suite de recherches longues et consciencieuses faites dans les chancelleries scandinaves.

540 F. BAJER. LE SYSTÈME SCANDINAVE DE NEUTRALITÉ

M. Bajer est un pacifique qui croit que les ligues des neutres constituent une garantie sérieuse pour le maintien de la paix, et il voudrait les voir se multiplier. Certes, il n'a pas tort; un économiste célèbre, M. A. Molinari estime que, la paix perpétuelle serait assurée du jour où se produirait une ligue générale des puissances européennes ayant surtout intérêt au maintien de la paix, parmi lesquelles il range l'Angleterre, la Belgique, la Hollande, la Suisse et le Danemark. Peut-être ces visées sont-elles bien ambitieuses; en tout cas, il n'est pas possible de méconnaître que l'union des neutres a produit dans le passé, peut produire dans l'avenir d'excellents résultats. Nous ne saurions done trop féliciter M. Bajer d'en avoir fait revivre quelques-uns des principaux épisodes, dont la connaissance ne pourra qu'être très profitable à tous ceux qui se pénétreront de l'importance du vœu émis à La Haye, au sujet de la neutralité.

A. MÉRIGNHAC.

Professeur de droit international à l'Université

de Toulouse.

REVUE DES
DES PÉRIODIQUES

PÉRIODIQUES ANGLAIS

The Free Review, (La Revue Libre). Londres, Swan, Sonnenschein and co. Paternoster Square. Mensuelle.

F.-H. PERRY COSTE. — Usury and interest (Usure et intérêt); janvier 1897, p. 369-390.

L'auteur débute par quelques considérations générales, dans lesquelles il s'attache à prouver que la seconde moitié du XIXe siècle, qui paraîtrait, à première vue, très opposée de tendances aux idées et traditions du moyen âge et de l'époque qui a suivi, en réalité et à considérer le fond des choses, marque, à plusieurs points de vue, un retour à ces idées et à ces traditions. C'est ce qui se produit en religion avec la renaissance du ritualisme, en art, avec le culte de l'architecture gothique et le mouvement pré-Raphaeliste, au point de vue des problèmes sociaux, avec la tendance au rétablissement des associations. C'est dans cet ordre d'idées qu'il est curieux de voir reprendre la question de l'intérêt et de l'usure, à l'aide d'arguments renouvelés d'Aristote.

Arguments bien pauvres cependant, et bien surprenants dans la bouche d'Aristote, qui cependant avait une notion très exacte de la monnaie et de son rôle. Il dit en effet de la monnaie qu'elle est la commune mesure à laquelle on ramène les produits ou les services qui doivent être échangés. Et même, ajoute-t-il, si nous n'avons besoin de rien pour le moment, l'argent est une sorte de garantie que, lorsque nous viendrons, dans l'avenir, à avoir besoin de quelque chose, nous serons en état d'opérer un échange; car l'homme qui apporte de l'argent est toujours en mesure de recevoir des produits en échange. Aristote a donc très bien aperçu ce caractère de la monnaie, de l'argent, d'être un titre à obtenir des richesses. On comprend d'autant moins alors l'argument vraiment puéril, qui est à la base du raisonnement dirigé contre le prêt à intérêt, et qui se résume ainsi : l'intérêt de l'argent est chose contraire à la nature et partant, mauvaise, immorale. En effet, l'or et l'argent, choses inanimées, ne peuvent pas engendrer de produits. Mais ne voit-on pas que cette argumentation ne peut porter que sur le prêt d'argent, et non sur tout autre prêt ou contrat onéreux. Shylock est un miserable, parce qu'il a la prétention de faire rapporter des intérêts à ses ducats, chose inerte. Mais qu'il ait la précaution de convertir ses ducats en un troupeau, en une maison de rapport: on trouvera tout naturel qu'il bénéficie du croît ou des loyers. Cependant l'argent n'est-il pas précisément le moyen d'obtenir ces richesses productives, n'a-t-il pas pour fonction d'être convertible et converti en richesses de cette sorte ? N'est-il donc pas puéril de déclarer l'opération morale ou immorale, suivant que les ducats ont été, ou non, matérialisés, incorporés en avantages, en richesses, par le prêteur ou par l'emprunteur ?

Voilà comment le développement de l'économie politique a démontré que l'intérêt de l'argent est chose, non seulement innocente, mais de grande utilité pour l'industrie.

Il est vrai que, malgré tout, la question soulève des problèmes et des objections propres à embarrasser.

D'abord la question de l'usure. Le prêt à intérêt est licite; le prêt usuraire est condamnable; et, chose fâcheuse, toutes les tentatives pour réprimer l'usure n'ont abouti qu'à la fortifier, la rendre plus redoutable. Puis, à partir de quel taux y aura-t-il usure? A quel moment précis placer la démarcation entre l'intérêt honnête et l'usure immorale ? Certes, une limitation immuable entre les deux est impossible, tout aussi bien qu'il est impossible d'établir une ligne de démarcation précise entre le jour et la nuit; et pourtant chacun sait bien qu'il fait jour à midi et nuit à minuit; personne ne songe à nier la différence, quoiqu'on ne puisse pas fixer le moment précis du changement.

Puis, objectera t-on, toute cette argumentation peut toucher les individualistes, mais pas les socialistes. Ici, l'auteur s'élève contre l'emploi de ce mot ambigu, vague et flottant « socialiste ». Il réclame des expressions nettes. Assurément, le communisme, qui est la négation absolue de toute propriété n'a rien à voir dans une pareille discussion. Mais il n'en est pas de même du collectivisme, qui, tout en prétendant à la nationalisation, ou plutôt, en certains cas, à la municipalisation des instruments de production, terres, mines, chemins de fer, gaz, eau, etc., reconnaît à chacun la propriété des résultats de son travail personnel, en cherchant, il est vrai, à restreindre l'excès d'accroissement des fortunes par de lourds droits de succession, peut-être par un impôt progressif sur le revenu. Le collectivisme, vers lequel M. Perry Coste déclare avoir une inclination de plus en plus grande, réduira sans doute les cas, où il sera nécessaire d'emprunter à intérêt. Mais il n'empêchera pas un homme, son travail « officiel » achevé, de louer ses services pour de l'argent, et, par conséquent, de prêter de l'argent pour en retirer intérêt.

Une nouvelle objection se dresse. Vous admettez qu'il est plus beau, plus délicat de prêter sans intérêt qu'à intérêt. Donc, prêter à intérêt contient en soi quelque chose de plus ou moins mauvais. de plus ou moins immoral. Assurément le prêt gratuit satisfait mieux l'altruisme, Mais l'altruisme n'est pas toujours un devoir; il y a même des cas où il devient immoral. Et l'auteur développe l'exemple suivant. Un naufrage se produit. Deux passagers n'ont, à eux deux, qu'une seule ceinture de sauvetage, Est-il juste, moral, que celui qui la possède la donne à l'autre, se sacrifie à lui ? L'auteur envisage toute une série d'hypothèses. Supposez que l'un des deux ait poussé l'indolence jusqu'à ne point aller chercher de ceinture. Et surtout, supposez, dans ce cas là, que l'autre soit un père de famille, ou encore un homme utile à son pays par son talent, par ses qualités. Il y a des cas où l'égoïsme non seulement n'est pas un crime, mais est un devoir, vis-à-vis de sa famille ou de la société.

On dit encore, le prêt à intérêt est tout à l'avantage des riches, au détriment des pauvres ; car ce sont les riches qui prêtent, les pauvres qui empruntent. Il y aurait bien à répondre à cela. Mais le fait même est inexact. Combien d'existences de veuves et d'orphelins dépendent des revenus que leur rapportent les placements modestes que le chef de famille aura pu faire. Et combien de travailleurs ont pu assurer l'indépendance de leur veillesse, grâce aux faibles rentes de leurs petites économies accumulées!

J. ARMSDEN. Social liberty (La liberté sociale); janvier et février 1897, p. 390 à 404, 495 à 509.

Cette étude, à peu près purement philosophique, prend, comme point de départ, cette définition de la liberté : « l'ordre de la société », la loi de la liberté égale, savoir, selon Herbert Spencer, le droit, pour chacun, de faire ce qu'il veut, à la

condition de ne point empiéter sur le droit égal des autres. L'auteur examine cette formule, d'abord au point de vue théorique. Il montre qu'elle est en lutte avec l'égoïsme, même éclairé. Il cite la limitation que Stuart Mill y apporte, à l'égard des enfants et, au point de vue public, à l'égard des races barbares, sauvages, vis-à-vis desquelles le despotisme, selon lui, est licite. Il examine ensuite Ia formule au point de vue pratique; montre les conflits entre les intérêts individuels et sociaux, soit au point de vue économique, dans les exemples du machinisme, de la division du travail, de la concurrence, soit au point de vue social, dans l'exemple des institutions militaires, ou encore au point de vue moral, dans l'exemple du mariage. Il passe ensuite à l'étude de la justice, qu'il déclare n'être qu'une création, sociale, fruit de l'expérience, et qui naturellement varie suivant les époques et les climats; exemples, la monogamie ou polygamie, la propriété collective ou individuelle. L'utilitarisme, l'idéal et le réel forment la matière des deux derniers paragraphes de ce travail.

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WALTER SCHAWSPARROW. press (L'influence des journaux); février 1897, p. 481 à 495.

The influence of the newspaper

Cette esquisse rapide, mais pleine de verve, est, au fond, le développement de cette vérité bien vieille, grave et inquiétante, que, trop souvent, ce qui avait été, dans un siècle passé, l'inspiration d'un rêve généreux, n'est devenu graduellement, dans les siècles suivants, qu'un obstacle au bonheur et au progrès sociaux. Le rêve était sorti des cœurs charitables de l'élite sage et bienfaisante. La multitude a rabaissé ce rêve à son niveau, l'a rempli de ses préjugés, de ses vices, de ses superstitions, de ses sottises. La poésie s'est évaporée; la vision s'est évanouie, ne laissant que la réalité mauvaise.

Si vous en doutez, comparez la sérénité et la charité des premiers Chrétiens avec les atrocités ecclésiastiques de Philippe II d'Espagne. Comparez ces hommes et ces femmes des premiers temps de la Réformation, qui bravaient la mort, journellement, à toute heure, pour lire leur Bible saxonne, avec tous ces lecteurs de journaux modernes remplis de meurtres, de divorces, d'horreurs sociales de toute sorte. Il est évident que la grande majorité des éditeurs bat monnaie avec les nouvelles les plus malpropres de la police et des tribunaux ; et c'est là qu'en est arrivé l'art de l'imprimerie, autrefois considérée comme l'instrument de régénération de l'humanité !

Ces abus de la presse éclatent à tous les yeux. Et le gouvernement est impuissant. Il force les parents à envoyer leurs enfants à l'école, pour apprendre à lire. Et ensuite, il les livre à la merci des éditeurs, qui abusent de ce qu'ils savent lire. Le pouvoir de la presse est si universel, que le gouvernement s'exposerait à une rébellion populaire, s'il essayait de mettre fin à ces abus. C'est assez naturel. L'intérêt universel, l'enthousiasme qu'excitent ces scandales font à la presse une situation inexpugnable. La masse considère le journal comme son amuseur (clown) journalier, comme son agent d'information (son écouteur aux portes), son espion, sa commère, enfin son bienfaiteur, au milieu des ennuis et des soucis. Les méfaits de la presse sont variés. D'abord elle constitue une véritable école du crime, tacitement reconnue par l'Etat. C'est elle qui forme les criminels d'instinct, auxquels manquent l'intelligence et les moyens pratiques d'exécution. C'est pour cela qu'on a réuni une armée de reporters, plus considérable que celle qui, sous Wellington, chassa les Français de Portugal et d'Espagne, et dans laquelle on trouve des hommes qui touchent, pour leur besogne d'une semaine, autant de shellings que Milton en reçut pour le « Paradis Perdu ». L'influence du journal sur la politique est désastreuse. Elle est fatale à toute opinion indépendante. L'opinion de la grande majorité des hommes n'est qu'un écho confus

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