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qui a précisément été le cas dans la guerre de Crimée. Enfin, la Finlande ne peut conclure des traités internationaux, tandis qu'au contraire les traités de la Russie lui sont en général applicables (1). Il est vrai qu'il y a des traités qui règlent exclusivement les rapports de la Finlande avec les puissances étrangères; mais c'est toujours, dans ces cas encore, la Russie qui est la partie contractante. Comment donc la Finlande serait-elle un Etat?

Nous ne voyons, quant à nous, rien d'impossible à ce qu'un Etat ne participe à l'existence internationale que par l'intermédiaire d'un autre Etat. Il arrive assez souvent que les nationaux soient à l'étranger sous la protection d'un autre ambassadeur ou d'un autre consul que le leur non seulement en temps de guerre, quand les ambassadeurs ont reçu leurs passeports (2), mais encore en temps de paix, quand deux nations, dont l'une seule a un consul, s'entendent pour lui confier les deux ordres de nationaux (3); il advient, notamment en Orient (4), que la protection des agents diplomatiques et con

(1) Cpr., pour ce tableau général de la Finlande, en droit international, C. BORNHAK, Russland und Finnland, p. 31-32.

(2) V. BONFILS-FAUCHILLE, Manuel de droit international public, p. 394. Dans la guerre gréco-turque de 1897, les trois ambassadeurs de France, de Russie et d'Angleterre assurèrent ensemble la protection des Grecs orthodoxes, la France se chargeant seule des Grecs catholiques. POLITIS, La guerre gréco-turque (Chronique des faits internationaux, dans Revue de droit international public, 1897, p. 530). Dans la guerre hispano-américaine, de 1898, les Etats-Unis confièrent à la GrandeBretagne le soin de leurs nationaux, tandis que l'Espagne chargeait des siens, conjointement, la France et l'Autriche-Hongrie. LE FUR, La guerre hispano-américaine, Chronique des faits internationaux, dans Revue du droit international public, 1898, p. 675.

(3) C'est ainsi que les consuls allemands protègent des ressortissants de nations amies (l'Autriche, la Suisse, le Luxembourg) en vertu de la loi du 8 novembre 1867, § 1. V. KŒNIG, Handbuch des deustchen Konsularwesens, 2o éd., p. 13, et, pour le texte, Anhang, ibid., p. 461.

(4) Les capitulations de 1528, de 1569 et de 1581 plaçaient les étrangers sous la bannière de la France. L'ordonnance du 3 mars 1781 considère les étrangers sans consuls comme étant sous la protection du Roi de France. Jusqu'à une époque récente, un certain nombre d'Etats secondaires n'avaient pas de représentation en Turquie. C'est ainsi qu'avant la constitution de l'Empire d'Allemagne et du royaume d'Italie, le Hanovre était représenté en Turquie par l'Autriche, le Mecklembourg par la Prusse, le duché d'Oldenbourg par les villes hanséatiques, celui de Parme par les Deux-Siciles, et les Etats de l'Eglise par la France. Plus récemment les Etats-Unis et la France protégeaient les Polonais émigrés; l'Italie et l'Espagne, les Brésiliens. Aujourd'hui la question ne se pose plus que pour les Suisses, qui sont libres de se faire inscrire au consulat de leur choix (Alle

sulaires s'applique à des nationaux autres que les leurs (1). Il arrive aussi que certains Etats se fassent représenter par d'autres c'est ainsi, par exemple, qu'à la Conférence de La Haye (1899) le Montenegro s'est fait représenter par la Russie (2). Personne ne refuse à la Norwège la qualité d'Etat, bien qu'elle n'ait ni ministère des affaires étrangères, ni légations, ni consulats qui lui soient propres (3). Cet exemple est significatif il démontre qu'un Etat peut exister sans avoir une représentation diplomatique et consulaire distinctes. De même dans les Etats fédéraux en Suisse et aux Etats-Unis, le droit de légation actif et passif n'existe qu'au profit de l'Etat fédéral. Il est vrai qu'en Allemagne il appartient aussi aux États particuliers; il leur est laissé implicitement par l'art. 11 de la Constitution, qui accorde à l'Empereur le droit de légation, mais non un droit de légation exclusif; il est confirmé par le protocole final du traité avec la Bavière. du 23 novembre 1870, articles 7 et 8, dont les dispositions sont regardées comme applicables à toutes les parties de l'Empire; mais en fait quelques Etats seulement exercent, très partiellement, ce droit; il y a chez l'Etat fédéral une tendance constante à absorber à son profit l'exercice des

magne, France ou Italie). V. à cet égard, F. REY, La protection diplomatique et consulaire dans les Echelles du Levant (Paris, 1899) notamment p. 199, 221 et 458 et s. (1) Assez généralement, dans les Etats de l'Amérique du Sud où il n'y a pas de consulats suisses (Salvador, Nicaragua, Venezuela), les Suisses sont protégés par les agents des Etats-Unis. RIVIER, Principes du droit des gens, I, p. 538.

(2) Peu de temps auparavant, lors de la signature de l'Acte du 4 mai 1896 modifiant les articles 2, 3, 5, 7, 12 et 20 de la Convention de Berne, du 9 septembre 1886, le Monténégro avait désigné pour le représenter, comme plénipotentiaire unique, M. Henri Marcel, ministre plénipotentiaire, sous-directeur des affaires commerciales au ministère des affaires étrangères de France (Cpr. CLUNET, Journal du droit international privé, 1898, p. 606). A la Conférence de la Paix, l'exemple est encore plus topique, parce que ce sont les mêmes délégués qui signent comme plénipotentiaires de la Russie, puis comme mandataires du Monténégro. En 1896 au contraire, bien que le plénipotentiaire du Monténégro fût un agent diplomatique français, et qu'il fût aussi plénipotentiaire français à la Conférence, la France avait, en dehors de lui, des représentants spéciaux (MM. de Freycinet, Lyon-Caen, Pouillet, Renault), qui ne signèrent pas pour le Monténégro.

(3) Cpг. JOHN ASK, Le Conflit suédois norvégien, dans la Revue du droit public, II, p. 215; DESPAGNET, Les difficultés internationales venant de la constitution de certains pays, dans la Revue génér, de droit international public, II, p. 191; HAMILTON, Chronique politique (Suède) dans la Revue du droit public, III, p. 516.

attributions internationales qui compètent aux Etats particuliers (1); le fait que tous les consulats relèvent de l'Empire, d'après la Constitution elle-même, crée dans cette matière une analogie, et la difficulté d'un partage d'attributions entre la représentation de l'Empire et celle de l'Etat la rend plus pressante. De même, un Etat peut abdiquer aux mains d'un autre sa faculté de conclure des traités sans perdre sa qualité d'Etat distinct. Aux Etats-Unis, ce droit a été entièrement enlevé aux Etats particuliers; en Allemagne et en Suisse, il ne leur appartient plus que pour certains traités d'importance secondaire; et les pays de protectorat nous offrent des exemples analogues: en Tunisie, par exemple, le traité de Casr-Saïd (12 mai 1881) stipule que le bey passera lui-même les traités de la Tunisie, avec les puissances étrangères (2); cependant la France n'a pas hésité, à plusieurs reprises, à passer des traités au nom de la Tunisie (3): est-ce à dire que la Tunisie n'est pas un Etat distinct? Le droit de guerre qui n'appartient pas à la Finlande vis-à-vis des tierces nations n'appartient pas davantage aux Etats particuliers de l'Empire allemand (4) ni au pays de protectorat (5), comme

(1) Cpr. LABAND, Staatsrecht, 2a éd., II, p. 2 et s. ZORN, Staatsrecht, II, p. 442 et s. (2) Art. 6, 1o). Les agents diplomatiques et consulaires de la France en pays étrangers seront chargés de la protection des intérêts tunisiens et des nationaux de la Régence. 6 20). En retour, S. A. le Bey s'engage à ne conclure aucun acte ayant un caractère international sans en avoir donné connaissance au gouvernement de la République française et sans s'être entendu préalablement avec lui. Traité de Casr-Saïd, 12 mai 1881.

(3) La France n'a pas hésité à traiter directement avec la Belgique pour étendre à la Tunisie, par la déclaration du 26 juin 1888, le traité d'extradition francobelge du 15 août 1874. Cpr. DESPAGNET, Essai sur les Protectorats, p. 325 et DE CLERCQ, Traités de la France, XVIII, p. 54. Même manière de procéder avec l'Angleterre, 31 déc. 1889, pour étendre à la Tunisie les dispositions de la convention d'extradition franco-anglaise du 14 août 1876, et avec la Suisse, 12 avril 1893V. Livre jaune, Afrique, 1898, p. 47-48. Même système enfin dans les arrange. ments relatifs à la revision des traités de commerce tunisiens, 1896-1897. Cpr. Chronique internationale dans Revue du droit public, (1898), p. 505 et s.

(4) BRIE, Theorie der Staatenverbindungen, p. 107, a bien soutenu, sur l'art. 11 de la Constitution fédérale allemande, que les Etats particuliers conservent en principe le droit de guerre, sauf à reconnaître qu'en fait l'exercice en est empêché par la mise de l'armée et de la marine, en temps de paix et en temps de guerre, sous les ordres de l'Empereur, art. 63 et 64 de la Constitution fédérale. Mais il y a là une contradiction, qui amène la plupart des auteurs rejeter ce système. V. en ce sens HAENEL, Staatsrecht, I, p. 552, WESTERKAMP, Staatenbund und Bundesstaat, p. 195.

(5) DESPAGNET, Essai sur les Protectorats, loc. cit.

la Tunisie par exemple, vis-à-vis des tiers Etats; et réciproquement, de même que, dans une guerre contre la Turquie, l'on peut impliquer la Bulgarie sans qu'elle cesse d'être un Etat distinct (1), de même, dans une guerre contre la Russie, l'on peut impliquer la Finlande sans qu'elle cesse aussi d'en être un. La souveraineté extérieure est si peu liée à l'idée de l'Etat qu'historiquement tous les amoindrissements de celui-ci commencent par elle (2): en fait, c'est sur les relations. extérieures que porte tout d'abord et de préférence la restriction au droit de souveraineté.

La théorie qui voit dans l'existence internationale le criterium de l'Etat se heurte d'ailleurs à une objection fondamentale. L'Etat est par essence une communauté territoriale remplissant certaines conditions déterminées ; quand ces conditions se trouvent remplies, il existe en fait, alors même qu'il ne serait pas reconnu par les puissances; la reconnaissance ne crée pas sa personnalité, elle ne fait que lui permettre de se développer librement (3). Il résulte de là que la personnalité inter

(1) En ce sens, von Liszt, Völkerrecht, p. 216. Quelques auteurs, notamment DESPAGNET, Essai sur les Protectorats, p. 344, donnent une solution contraire, motivée parce que la Turquie ne peut établir ses troupes en Bulgarie, ni se servir des forces bulgares. Mais ces raisons ne s'appliquent pas à la Finlande, qui est occupée par des troupes russes et peut être appelée à défendre la Russie, ce qui l'implique dans les guerres russes sans qu'elle cesse d'être un Etat.

(2) Dans le protectorat, par exemple, le contrôle du protecteur commence par porter sur les relations extérieures avant de descendre peu à peu dans l'administration intérieure du pays protégé. Cpr. PILLET, Des droits de la puissance protectrice sur l'administration intérieure de l'Etat protégé, dans Revue génér. de droit intern, public, II (1895) p. 596 et s.

(3) L'Etat peut-il exister comme tel, sans la reconnaissance internationale ? La question est discutée. Certains auteurs considèrent la reconnaissance comme créatrice et par conséquent constitutive de l'Etat. (STÖBER, Archiv fur oeffentliches Recht, loc. cit., REHM, Staatslehre, p. 28; en France, LE NORMAND, La reconnaissance internationale et ses diverses applications, Rennes 1899; p. 7 et s. Un certain nombre d'idées et de faits peuvent, dans une certaine mesure, appuyer cette doctrine : 1) Notamment, l'ancienne théorie de la fictivité des personnes morales. Quand le droit public avait pour principe que la personnalité morale est une création toute pure de la loi, il était naturel qu'il exigeât la reconnaissance comme la condition même de la personnalité civile, au sein de l'Etat ; mais l'Etat n'étant lui-même qu'une personne morale, la première de toutes, il était logique d'exiger que sa personnalité prît, elle aussi, sa source dans la volonté extérieure d'un législateur; et, comme en droit international il n'y a pas de législateur commun, ce consentement ne pouvait être que celui de la Société des Etats voilà comment, par symétrie du droit privé, la théorie de la reconnaissance entrait dans le droit public avec le même caractère de nécessité pour la

nationale de l'Etatne peut être le fondement de son existence : ce n'est pas parce qu'il est admis par les autres Etats à traiter avec eux sur un pied d'égalité qu'il existe, c'est au contraire parce qu'il existe qu'on lui reconnaît une personnalité internationale. Celle-ci n'est qu'un effet reflexe de son existence comme puissance publique exerçant, sur un territoire déterminé, les attributions qui appartiennent en propre à l'Etat, et il n'existe pas de raison décisive d'affirmer que cet effet réflexe doit toujours se produire d'après le même mode (1).

personne morale internationale, qui est l'Etat, que pour la personne morale interne qui se présente au sein des législations intérieures de chaque Etat. 2) La conception de la reconnaissance comme le critérium de l'Etat était encore facilitée par la pratique diplomatique. D'une part, en effet, les puissances subordonnaient à certaines conditions (art. 5, 27, 34 et 43 du traité de Berlin, 13 juillet 1878), la reconnaissance d'Etats nouveaux : or un acte déclaratif ne peut être conditionnel; donc la reconnaissance apparaissait comme créatrice, c'est-à-dire comme indispensable à l'Etat. D'autre part, les puissances attribuaient arbitrairement la qualité d'Etat, grâce à la reconnaissance, à des territoires qui ne la possédaient pas encore. De ces reconnaissances arbitraires, intervenues là où manquait en fait la réalité de l'Etat (c'est-à-dire la conscience même d'une volonté commune), l'exemple le plus topique est celui de l'Etat du Congo, artificiellement qualifié comme un Etat, tandis qu'il n'est en réalité qu'une colonie belge: ici la reconnaissance internationale devenait vraiment la seule base de l'Etat.-Sous cette double influence du droit public interne et de la procédure diplomatique, la notion de la reconnaissance a subi une sorte de fléchissement. Elle a perdu son vrai sens, et surtout elle pourrait, si l'on n'y prenait garde, s'en altérer profondément. Pour nous, l'Etat peut exister sans la reconnaissance internationale. Adoptant, non pas toute la théorie, mais une formule de JELLINEK (System der subjektiven æffentlichen Rechte, p. 303 et s.) nous dirons que la reconnaissance d'un Etat n'est pas nécessaire pour lui donner la qualité d'Etat, mais pour lui donner une seconde qualité, qui se superpose à la première, celle de membre de la Société des Etats. En ce sens, quoiqu'en des termes moins nets, PRADDER-FODÉRÉ, Droit international, I, p. 237; CARNAZZA-AMARI, Droit international, p. 220; BONFILS-FAUCHILLE, p. 101. « En fait. dit ce dernier auteur, un Etat peut exister sans avoir été reconnu par les autres ». RIVIER, Principes du droit des gens., I, p. 57 : « L'existence de l'Etat est indépendante de sa reconnaissance par les autres Etats ». FIORE, Droit intern. codifié, trad. Chrétien, no 30 et s. Cette théorie est préférable. L'Etat peut exister sans la reconnaissance : 1) En effet, la reconnaissance est une déclaration formelle. Or, si la reconnaissance est nécessaire pour que l'Etat nouveau ait une personnalité, celui ci pourra être lésé avant la déclaration faite dans les formes, ce qui est inadmissible autant qu'injuste; 2) Il est impossible que les droits d'un Etat dépendent de la volonté des autres; 3) La reconnaissance ne peut être conditionnelle; 4) La reconnaissance est si peu créatrice de la qualité d'Etat qu'elle s'applique même à un groupement qui n'a pas la qualité d'Etat (reconnaissance comme belligérants, indépendante de la reconnaissance comme Etat).

(1) C'est l'opinion magistralement formulée par LABAND. « Une communauté politique, reconnue comme Etat dans ses relations avec d'autres communautés poli

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