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Oui, sans doute, toute communauté politique existante a nécessairement des relations avec les communautés voisines. et normalement elle conserve entre ses mains le droit de régler ces relations. Mais c'est une affirmation sans preuve que de déclarer qu'elle perd la qualité d'Etat par cela seul qu'elle remet à un Etat voisin le soin de la représenter vis-à-vis des autres puissances, car pareille situation n'est pas incompatible avec le maintien à l'intérieur d'une puissance publique échappant aux prises de l'Etat représentant, et par conséquent avec la condition essentielle à l'existence même de l'Etat. Dans cette hypothèse l'Etat représenté n'a pas la personnalité internationale vis-à-vis des tiers Etats, mais il la conserve vis-à-vis de l'Etat représentant. De même que les individus peuvent s'associer, de même aussi les Etats peuvent le faire ; de même que dans les Sociétés privées les associés disparaissent aux yeux des tiers, sans abdiquer entre eux leur personnalité, de même il peut se former des associations. d'Etats où la Société, la raison sociale, existe seule vis-àvis, des tiers, tandis que les associés gardent, les uns visà-vis des autres, leur existence et leur qualité d'Etat. Il en est ainsi de l'Etat fédéral allemand qui représente aux yeux des tiers les Etats particuliers. Il en serait ainsi de l'Empire russe s'il formait un Etat fédéral dont la Finlande et la Russie seraient les Etats particuliers. Mais il se peut que la Finlande soit considérée comme représentée, non par l'Empire russe (Finlande + Russie) mais par la Russie seule. Est-ce à dire que la situation soit modifiée ? Nullement, car nous avons en droit privé des situations semblables: celle de la commu

tiques indépendantes, ne peut pas, prise en elle-même, être dépourvue de cette qualité; elle ne peut pas être, vue de l'extérieur, un Etat, et vue de l'intérieur, une collectivité communale. C'est pourquoi l'on est allé presque jusqu'à dire que l'Etat est une création du droit international, et à vouloir trouver la marque caractéristique de l'idée d'Etat dans la reconnaissance par les autres peuples de la capacité juridique internationale. L'on a, je crois, renversé ici l'ordre logique des rapports. La qualité d'Etat n'est pas un effet réflexe, un résultat de cette reconnaissance internationale d'un droit. La qualité d'Etat en est au contraire le fondement ; le droit international suppose l'existence de cette qualité. On peut se représenter l'Etat isolé et détaché de tous rapports de droit international; il faut donc qu'il y ait des critériums qui déterminent l'idée d'Etat sans le secours du droit international ». LABAND, Le droit public de l'Empire allemand préface de F. LARNAUDE, trad, française de C. GANDILHON, Paris, 1900, I, p.127-128.

nauté, par exemple, qui réunit deux patrimoines sous la direction prépondérante du chef de l'un d'eux, le mari, de la même manière que l'acte de Borgo a réuni deux politiques. extérieures, celles de la Finlande et celle de la Russie, sous l'influence prédominante de celle-ci. Rien dans la pure construction juridique ne s'oppose donc à ce que la Finlande existe comme un Etat particulier, tout en étant dans la vie commune, c'est-à-dire dans les rapports internationaux, représentée soit par l'Empire russe (Finlande + Russie), soit même par la Russie seule.

III. - Mais à supposer que la Finlande soit un Etat, d'autres objections s'élèvent encore, pour cette raison que la Finlande et la Russie sont liées l'une à l'autre d'une manière qui ne rentre dans aucune catégorie connue.

Le protectorat semblerait au premier abord expliquer assez bien les rapports de la Finlande avec la Russie. Dans le protectorat la souveraineté extérieure est absorbée par le protecteur, tandis que la souveraineté intérieure reste intacte; les nationalités, les douanes, les régimes politiques sont distincts, ce qui est le cas pour la Finlande vis-à-vis de la Russie; enfin le protectorat est une notion souple, à nuances multiples, à degrés infinis, difficile à construire avec fermeté suivant une théorie générale, mais par là même très apte à recevoir une situation nouvelle dans une classification trop élastique pour être très exclusive. Personne cependant n'a soutenu que la Finlande fût sous le protectorat de la Russie (1). Le protectorat suppose, entre le protecteur et le protégé, des différences non pas seulement de force, mais de civilisation, et des inégalités de culture qui ne se retrouveraient pas ici. Nous avons essayé déjà de le démontrer et nous ne pouvons que renvoyer sur ce point aux explications précédentes (2). On peut ajouter avec Bornhak que, si la Finlande était sous le protectorat ou la vassalité de la Russie, le Tsar, comme grand-duc de Finlande,

(1) Tout au plus pourrait-on soutenir, au point de vue historique, que SPRENGT. PORTEN s'était un moment arrêté, dans ses projets à cette idée, dans ses « Ré flexions d'un militaire russe natif de la Finlande », (1er janvier 1808), où il propose que la Finlande soit placée sous le protectorat de la Russie. V. DANIELSON, Finlands Vereinigung, p. 60.

(2) V. suprà, p. 30.

serait subordonné à lui-même comme empereur de Russie, ce qui, au point de vue politique, serait une monstruosité (1). Le régime de l'union personnelle expliquerait assez bien que le Tsar, autocrate de Russie, fût grand-duc constitutionnel de Finlande (2). Sous ce régime les rois de Hollande ont été jusqu'en 1890 grands-ducs de Luxembourg, et maintenant encore le roi Léopold II, monarque constitutionnel de Belgique, est souverain absolu du Congo. Mais le rapport de la Finlande à la Russie ne peut s'analyser dans l'union personnelle. Sous ce régime, les deux Etats rattachés n'ont pour trait d'union que la personne du prince; ils ont le même souverain et, pour tout le reste, gardent nne organisation complètement indépendante. L'identité du souverain n'est qu'un hasard dans leur existence; leur organisation politique, leurs affaires extérieures, leurs lois sur la succession au trône ellesmêmes restent complètement distinctes d'où cette conséquence que, à la première divergence entre leurs lois successorales, les deux pays se séparent. Au contraire, la Finlande et la Russie sont liées à titre définitif. Tandis que, dans l'union personnelle, les deux Etats gardent leurs lois dynastiques propres, la Finlande est soumise, non pas aux anciennes lois dynastiques suédoises, mais aux lois dynastiques russes. La Forme de gouvernement de 1772 porte que le roi doit être luthérien (art. 1), tandis que, d'après la loi russe, il doit être orthodoxe. D'autre part les règles de succession arrêtées par la Forme de gouvernement (art. 3) ont été abrogées par l'union de la Finlande à la Russie (3). Le principe est que l'Empereur de Russie est nécessairement grand-duc de Finlande. Comme, par suite, tout empereur, en montant sur le trône de Russie, devient en même temps grand-duc de Finlande, le droit au trône grand-ducal est déterminé par l'ordre de succession au trône de Russie. La décision impériale concernant les règles à

(1) Bornhak, Russland und Finnland, p. 21. Le projet (non réalisé d'ailleurs sur ce point) de SPRENGPTORTEN échappait à ce reproche, car il proposait, pour GrandDuc, non l'Empereur, mais un membre de la famille impériale, de sorte que les deux couronnes, tout en étant dans la même maison, n'eussent pas été sur la même tête.

(2) V. en ce sens Gothaer genealogishes Taschenbuch, 1894, P. 915.

(3) La Constitution du Grand-Duché de Finlande, éd. citée, p. 43 et Commentaire, ibid,. p, 161.

suivre par la commission chargée de l'élaboration des projets de lois fondamentales le 7/19 décembre 1864 porte (1) « 3o que l'Empereur de Russie est en même temps grand-duc de Finlande, ensuite de quoi, en ce qui concerne l'ordre de la succession au trône, l'âge où l'héritier au trône devient majeur, la régence pendant la minorité de l'Empereur, ou lorsqu'il serait, pour un temps prolongé, empêché de gérer le gouvernement, ainsi que d'autres questions analogues, ce qui est ou sera statué quant à la Russie sera valable aussi pour la Finlande ». Tandis que, dans l'union personnelle, les deux Etats sont liés à un même homme, dans le cas de la Finlande les deux Etats sont liés à une même couronne de telle sorte qu'on en puisse être Empereur de Russie sans être Grand-duc de Finlande. Aussi tous les auteurs, qui ont examiné ce côté de la question, écartent-ils rapidement l'hypothèse de l'union personnelle (2).

Beaucoup proposent, au contraire, d'y voir une union réelle analogue à celle qui existe à l'heure actuelle entre l'Autriche et la Hongrie ou entre la Suède et la Norwège. Dans ce système, la Russie et la Finlande sont deux Etats souverains l'un et l'autre et réunis entre eux uniquement par cette circonstance qu'ils sont gouvernés par une même dynastie. Quand cette circonstance se présente, elle a toujours ce résultat que certaines affaires (en général celles qui touchent aux relations extérieures et parfois d'autres encore) sont considérées comme communes et réglées par un organe commun. Ces affaires mises à part, les diverses fonctions de l'Etat, législation, administration, justice, sont exercées séparément et, de la part de chacun des pays unis, avec une pleine indépendance.

Cette manière d'analyser les rapports de la Russie et de la Finlande a été admise par un grand nombre d'auteurs (3). La

(1) La Constitution, etc..., op. cit., Actes officiels, p. 143.

(2) V. notamment, BORNHAK, Russland und Finnland, p. 19; DELPECH, La ques tion finlandaise, p. 23; HERMANSON, Ein Beitrag zur Beurteilung der staatsrechtlichen Stellung des Grossfürstensthums Finnland (die Wichtigsten Ergebnisse der Schrift von Pr Dr R Hermanson), p. 25. Das Recht Finnlands und seine Wehrpflichtfrage, von einem finländischen Juristen, p. 28.

(3) V. les diverses opinions citées dans la brochure: La situation politique de la Finlande (Extrait de la Revue de droit international et de législation comparée), p. 28 et s. Parmi les auteurs qui se sont prononcés pour l'union réelle, on compte un finlandais, Méchelin, trois jurisconsultes russes: Tchitchérine, Serguiévitch, 5

REVUE DU DROIT PUBLIC. - T. XV

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Finlande a, en effet, conservé tous les attributs extérieurs d'un Etat complet elle a son organe législatif propre (dont l'Empereur grand-duc n'est que l'un des rouages), son administration, ses tribunaux; elle a son territoire et sa nationalité. Seules ses affaires extérieures sont réunies à celles de la Russie et concentrées entre les mains de l'organe commun qui est ici l'Empereur agissant tout à la fois en sa double qualité de tsar de Russie et de grand-duc de Finlande. On peut donc trouver dans cette organisation tous les traits de l'union réelle, en constatant seulement que l'organe commun est ici extraordinairement simplifié.

Les objections qui ont été faites à cette théorie sont loin d'être toutes concluantes. F. de Martens (1) trouve étrange que certains écrivains aient caractérisé l'union de la Finlande avec la Russie comme une union réelle, celle-ci dans la plupart des cas étant fondée sur un pacte mutuel des Etats qui s'unissent, tandis que la Finlande a été cédée de la Suède à la Russie « en toute propriété et souveraineté ». Bornhak observe que l'union réelle suppose un traité entre les Etats qui s'unissent, tandis que l'union de la Finlande et de la Russie résulte d'un traité conclu entre la Russie et la Suède (2). Jellinek fait remarquer également (3) que la conquête d'un Etat par un autre ne pourrait pas aboutir à une union réelle, parce qu'elle fait disparaître sur le territoire conquis le droit du vaincu pour ne laisser subsister que celui du vainqueur, qui demeure ainsi maître de régler à son gré le sort du pays conquis. Et cette objection prend toute sa force si on la rapproche d'un autre passage du même ouvrage dans lequel l'auteur suppose que l'union réelle ne peut résulter que d'un contrat (4). Toutes ces observations reposent sur une

Romanovitch, Stavatinski; parmi les Allemands, ENGELMANN (Marquardsen's Handbuch, 1889, IV, p. 12; GEFFCKEN SUP HEFFTER, Droit international de l'Europe, § 2, no 3; BRIE, dans Grünhuts Zeitschrift fur das privat und öffentl. Recht, XI, p. 105-106, et Theorie der Staatenverbindungen, 1886, p. 70. Parmi les Français, Delpech, La question finlandaise, dans Rev. génér. de droit intern. public, 1899, p. 368, et tirage part, p. 10.

(1) F. de Martens, Le droit international des nations civilisées,(trad. Léo), I, p. 325. (2) BORNHAK, Allgemeine Staatslehre, Berlin, 1896, p. 209 et Russland und Finn land, 1900, p. 20.

(3) Theorie der Staatenverbindungen, p. 71.

(4) JELLINEK, Theorie der Staatenverbindungen, p. 204.

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