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interprétation inexacte de l'histoire. Ce n'est pas au traité de Frederickshamn que remonte l'union. « Mon principe, disait le plénipotentaire russe, était de montrer le Tsar comme maître de la Finlande avant le traité » (1). Ce n'est pas au mois de septembre 1809, au traité de paix, c'est au mois de mars de la même année à Borgo que l'union de la Finlande et de la Russie s'est accomplie. Les stipulations postérieures du traité de Frederickshamn ne pouvaient revenir sur les faits accomplis sans violer les droits acquis de la Finlande. Les termes énergiques de la cession « en toute propriété » s'expliquent par l'inexistence de la Finlande vis-à-vis des tiers, en dehors de l'Empire russe, de sorte qu'on n'en peut tirer argument contre l'union. En réalité le Tsar avait reconnu vis-à-vis de la Russie la Finlande comme un Etat distinct et, à la Diète de Borgo, c'est de cet Etat lui-même que sans attendre la paix, il avait obtenu ses droits. Le raisonnement de Jellinek serait exact si l'acte de Borgo était postérieur au traité de paix. Alors, en effet, on pourrait dire que la conquête a fait disparaître le droit du vaincu pour ne laisser subsister que celui du vainqueur. Alors, en effet, on pourrait dire qu'entre la province conquise et l'Etat il n'y a pas place pour l'union, qui est un contrat entre égaux. Mais l'histoire de la Finlande est toute autre. Sa réunion à la Russie, qui n'attend pas le traité de paix, ne procède pas d'une annexion, mais d'une sécession. En élevant la Finlande « au rang des nations » c'està-dire au titre d'Etat, le Tsar la recevait d'elle-même après lui avoir donné un titre qui faisait d'elle l'égale de la Russie. D'après Jellinek l'union réelle ne peut résulter que d'un contrat. Mais, en admettant cette dernière règle, rien ne démontre que le contrat doive nécessairement avoir lieu entre deux Etats préexistants. On peut fort bien le concevoir, comme cela s'est passé en l'espèce, entre un Etat et une province qu'il a plus ou moins complètement conquise et à laquelle il reconnaît spontanément la qualité d'Etat dans le but de rendre sa victoire plus assurée. La seule différence entre cette manière de procéder et le mode habituel, c'est qu'ici la naissance de l'un des deux Etats, au lieu d'être antérieure à l'union, lui

(1) V. suprà, § 1, Historique.

est concomittante (1); et l'on ne voit pas en quoi cette circonstance serait de nature à influer sur la situation juridique. Jellinek, revenant à la question dans un ouvrage postérieur (2), présente une autre objection : ce qui manque à la Finlande pour constituer un Etat, dit-il, c'est un pouvoir monarchique indépendant qui ne serait pas compris dans une autre couronne. Elle serait un Etat si Alexandre Ier avait complètement séparé sa qualité de grand-duc de Finlande de celle d'Empereur de Russie. Mais on a fait remarquer très justement que dans les cas les plus authentiques d'union réelle, notamment dans l'union de la Suède et de la Norwège, la séparation n'est pas plus complète (3). Comme la Finlande, la Norwège a un souverain qui est nécessairement celui d'un autre Etat, la Suède; elle manquerait donc, elle aussi, de ce pouvoir indépendant non compris dans une autre couronne ; c'est là une conséquence nécessaire de l'union réelle, puisqu'elle dote deux pays d'une même dynastie, et ce n'est pas une raison pour nier l'existence de chacun des deux Etats unis.

Cette objection, comme certaines autres de même nature (4), nous paraît provenir d'une sorte de mirage résultant de ce

(1) La Norwège était une simple province danoise, quand le traité de Kiel, du 14 anvier 1814, stipula qu'elle serait un royaume uni à celui de la Suède. Elle est ainsi directement passee, comme la Finlande, du rang de province à celui d'Etat. Cpr. JOHN ASK, Le Conflit norvégien, dans Revue du droit public et de la science politique, 1894, I, p. 215 et surtout p. 223 et s.; ScheffER, Le Conflit suédonorvégien, dans Revue génér. de droit international public, 1899, p. 267; NILSEDEN, Die schwedisch-norwegische Union und der Kieler Friede, trad. du suédois, 1895.

(2) JELLINEK, Ueber Staatsfragmente, Heidelberg, 1896, p. 40 et s., et Allgemeine Staatslehre, Berlin, 1900, p. 448.

(3) GETZ, Das staatsrechtliche Verhältniss zwischen Finnland und Russland, p. 35. (4) MM. Oppenheim, Reiger, de Louter et de Hartog nient qu'il y ait union réelle, parce que, suivant eux, l'union réelle suppose l'égalité des parties contractantes et que visiblement cette égalité manque ici. « Les affaires étrangères, disent-ils, sont placées sous la main du gouvernement russe et administrées sans aucun souci des affaires particulières de la Finlande. La Russie a un droit illimité de possession et d'occupation du territoire finlandais ». Die finnische Frage, dans Archiv fur öffentliches Recht, 1900, p. 444. Tout ceci n'est que le développement de cette idée unique, à savoir qu'il n'y a pas d'union réelle là où il n'y a pas d'égalité absolue. Mais cette égalité existe-t-elle même entre la Suède et la Norwège? N'y a-t-il pas entre ces deux Etats, une légère infériorité, venue de ce que la Suède, avant l'Union, était un Etat tandis que la Norwège était une province, et aussi de ce que la Suède victorieuse a imposé par les armes à la Norwège une union que celle-ci aurait préféré éviter? Tout cela ne s'est-il pas traduit dans ce fait que le ministère des affaires étrangères, organe commun, est occupé nécessai

fait que la Russie est un pays incomparablement plus vaste, plus important, plus puissant que la Finlande. Les deux qualités de roi de Suède et roi de Norwège sont à peu près équivalentes, au lieu qu'entre les deux qualités de Grand-Duc de Finlande et d'Empereur de Russie il y a une telle différence de degré que l'une semble absorber l'autre d'une manière complète. Il est incontestable que, dans la conduite des affaires extérieures, l'Empereur de Russie ne pourra considérer comme étant de même poids les intérêts particuliers de la Finlande et ceux de son immense empire; ce seront presque nécessairement ces derniers qui emporteront la balance. Il n'en est pas moins vrai que, dans ces sortes d'affaires, on doit le considérer comme agissant en qualité de représentant des deux pays, sauf à lui à apprécier dans quelle mesure il y a lieu de tenir compte des intérêts particuliers du plus petit de ses deux Etats.

De ce point de vue on comparerait assez bien l'union de la Russie et de la Finlande à l'un de ces mariages disproportionnés dans lesquels la haute situation de l'époux, son immense fortune, ses grandes relations lui assurent en fait la prépondérance dans la direction des affaires de la famille. Rarement, il y aura lieu, dans l'administration des biens, de s'occuper du très minime patrimoine que la femme lui a apporté. Celle-ci n'en aura pas moins, dans le mariage, la même situation de droit que si elle eût été en tout l'égale de son mari.

Il y a cependant une raison d'écarter l'union réelle c'est qu'elle suppose un organe commun pour les affaires communes. Dans le cas de la Suède et de la Norwège, la direction extérieure, qui est l'affaire commune, a un organe commun soumis à l'action de la Suède et de la Norwège : c'est l'administration des affaires étrangères (1) sur laquelle la Norwège

rement par un Suédois, tandis que les postes diplomatiques et consulaires peuvent l'être, soit par des Suédois, soit par des Norwégiens?

(1) Le ministre des affaires étrangères et les agents du ministère doivent être suédois, et le ministre, responsable devant le Riksdag suédois, ne l'est pas devant le Storthing norwégien; mais il n'en est pas moins vrai que, dans la direction des affaires extérieures, au sens large du mot, la Norwège a sa large part. 1o D'après l'acte d'Union, § 4, «lorsque le roi voudra déclarer la guerre, il réunira le ministre d'Etat norwégien (à Stockholm) et les conseillers d'Etat norwé

pèse comme la Suède. Au contraire, dans le cas de la Finlande, l'organe commun n'existe pas. L'agent de l'affaire commune, qui est la politique extérieure, l'occupe avec un titre unique, celui de Tsar. A la décision des affaires étrangères, la Finlande ne prend pas part. Sans doute, quand la conclusion d'un traité entraîne des mesures qui s'étendent à la Finlande, les formalités imposées par la loi finlandaise doivent être observées, le traité doit être promulgué selon la procédure établie en Finlande et, s'il contient des dispositions contraires aux lois en vigueur, le consentement des Etats de Finlande est nécessaire. Mais la conclusion des traités comme la décision des affaires étrangères en général appartient au Tsar en qualité d'autocrate de Russie, de sorte que l'organe de la politique extérieure n'est pas commun, mais russe. Et l'on ne voit pas comment il pourrait en être autrement puisque le Tsar, autocrate de Russie et monarque constitutionnel de Finlande, ne peut, dans les affaires communes, prendre le consentement des Etats de Finlande sans cesser d'être autocrate, et réciproquement, de manière qu'il ne pourrait agir comme organe commun sans subordonner un de ses titres à l'autre, ce qui est impossible. L'union personnelle est admissible entre Etats de constitutions différentes, telles que monarchie constitutionnelle et monarchie absolue. L'union réelle n'est possible qu'entre deux monarchies constitutionnelles, jamais entre une monarchie

giens, ainsi que ceux de Suède, en conseil extraordinaire » (JOHN ASк, Le Conflit norwegien, loc. cit., p. 230); 20 « Conformément aux termes du § 5, quand il est question dans le Conseil d'Etat suédois de conclusion de paix, révocation d'agents diplomatiques ou nomination et révocation de consuls, la section du Conseil d'Etat norwégien résidant à Stockholm doit y avoir siège et voix délibérative, et, dans la règle, l'avis du gouvernement norwégien doit être pris », JOHN ASK, loc. cit., p. 231; 3o non seulement les Norwegiens peuvent être agents diplomatiques et consulaires de Suède et Norwège, mais encore, depuis un rescrit du 26 avril 1836, le gouvernement norwégien peut faire des présentations, qui seront examinées dans le Conseil d'Etat combiné de Suède et Norwège, ibid., p. 233; 4o Les frais de représentation et ceux du ministère des affaires étrangères sont mis en commun, dans une proportion déterminée d'après le chiffre de la population. Le problème d'une plus large participation de la Norwège aux affaires étrangères est depuis longtemps pendant entre la Suède et la Norwège, ce qui prouve bien que l'union n'est possible qu'avec un organe réellement et pleinement commun. Il en est ainsi en Autriche Hongrie, où l'union est beaucoup plus pure, beaucoup plus parfaite qu'en Suède. Aux termes du Compromis de 1867, le ministère des affaires étrangères est absolument commun.

constitutionnelle et une monarchie absolue, car alors l'organe commun n'est pas concevable.

Dira-t-on que la Finlande forme avec la Russie un Etat fédéral? Mais il est rare qu'un Etat fédéral se compose de deux Etats l'Autriche-Hongrie, la Suède et la Norwège ne sont pas des Etats fédéraux, mais des Unions. La convention de Bloemfonteim, du 17 mars 1897, a créé entre le Transvaal et l'Etat libre d'Orange une union fédérative qui n'était à vrai dire, ni une union ni une fédération, mais qui était moins encore une fédération qu'une union. Il est difficile de concevoir une fédération à moins de trois. La fédération suppose qu'au-dessus des Etats fédérés s'élève un pouvoir central auquel collaborent les divers Etats particuliers; ici cet organe commun fait, on l'a vu, défaut. Enfin la constitution d'une confédération et surtout celle d'un Etat fédéral circonscrit toujours les droits des membres au profit de la collectivité autrement dit on n'entre dans une fédération et notamment dans un Etat fédéral qu'en se diminuant, tandis qu'ici (et nous allons revenir sur ce point), la Russie ne s'est nullement diminuée par l'union de la Finlande; bien au contraire, elle a accru sa situation antérieure. Il ne peut donc être question d'un lien fédéral entre la Finlande et la Russie.

Un jurisconsulte finnois, Hermanson (1), dans un livre intitulé « La situation de la Finlande au point de vue du droit d'Etat » (Finlands statsrättsliga ställning) est arrivé à une conception plus serrée des droits de la Finlande. La Finlande n'aurait pas été unie à la Russie, mais incorporée à l'Empire russe. De la réunion de la Finlande et de la Russie serait né un organisme nouveau, l'Empire russe, au sein duquel vivraient la Finlande et la Russie. Après cette réunion, la Finlande est un Etat et la Russie en est un autre. Mais, ni l'un ni l'autre n'a la gestion des affaires extérieures qui appartient à l'Empire, c'est-à-dire à l'Etat total. Ainsi la Finlande formerait avec l'Empire de Russie (Kaiserthum) un Etat composé, l'Empire russe (Reich). Cette hypothèse a pour base et pour but la nécessité d'accorder entre elles deux catégories de textes : l'une, qui représente la Finlande comme un Etat (acte de Borgo), l'autre

(1) HERMANSON, Ein Beitrag zur Beurteilung der staatsrechtlichen des Grossfürstenthums Finnland, Leipzig, 1900, p. 41-44.

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