Page images
PDF
EPUB

cédents avaient su si bien ménager et contenir. Faible et ombrageux, il craignit et cessa bientôt de convoquer ces assemblées où son père venait glorieusement déposer une portion de son autorité. Il laissa les grands devenir les oppresseurs du peuple et du clergé lui-même; il souffrit que la royauté fût dégradée dans sa personne. Tout dépérit en peu de temps

entre ses mains.

Pendant les guerres qui désolèrent la France à la mort de Louis, s'introduisit un changement qui n'était qu'un acheminement à une révolution totale. Les hommes libres purent choisir pour seigneur, entre le roi et les grands seigneurs; ce principe fut consacré par le traité qui se fit entre les trois frères, après la fameuse bataille de Fontenay. Voici quelle en fut la conséquence nécessaire: comme le sceptre ne pouvait plus protéger, les sujets passèrent successivement à une vassalité plus utile. Les possesseurs de fiefs virent ainsi chaque jour augmenter leur puissance, et le roi tomber la

sienne.

Les choses étant ainsi, il ne restait plus à faire que ce que Charles-le-Chauve fit.

Ni les fiefs, ni les grands offices n'avaient jamais été jusque-là aliénés à perpétuité, quoique la violence ou la faiblesse eût quelquefois perpétué la possession de quelques-uns. Ils le furent alors. Charles déclara d'abord que les fiefs seraient donnés aux enfans du possesseur; bientôt il fut obligé d'appliquer ce réglement aux offices de comte. Ceux-ci, de délégués du roi, devinrent en peu de temps, par là, assimilés aux maîtres des fiefs, et leurs charges se trouvèrent converties en véritables seigneuries. Il n'y eut plus dès-lors qu'un monarque décoré du vain titre de suzerain, et des vassaux en possession de tous les droits de la puissance souveraine. L'autorité du roi ayant cessé d'être immédiate, elle ne fut plus qu'une ombre qu'un souffle pouvait faire disparaître. On se joua de ses capitulaires et de ses envoyés : la révolution fut consom mée, le gouvernement féodal s'établit.

S XVIII.

Hugues-Capet. (10° siècle.)

La postérité de Pepin porta encore le sceptre pendant un siècle après Charles-le-Chauve : il y eut des Louis et des Garloman sur le trône, comme il y avait eu auparavant des Clovis et des Childéric. Toutefois, un changement de dynastie était une conséquence non moins nécessaire de l'ordre politique nouvellement établi. « L'hérédité des fiefs, dit l'auteur » de l'Esprit des lois (2), et l'établissement général des arrière» fiefs éteignirent le gouvernement politique et formèrent le » gouvernement féodal. Au lieu de cette multitude innom» brable de vassaux que les rois avaient eus, ils n'en eurent » plus que quelques-uns, dont les autres dépendirent. Les » rois n'eurent presque plus d'autorité directe : un pouvoir qui devait passer par tant d'autres pouvoirs, et par de si grands pouvoirs, s'arrêta ou se perdit avant d'arriver à son » terme. De si grands vassaux n'obéirent plus, et ils se servi» rent même de leurs arrière-vassaux pour ne plus obéir. Les rois privés de leurs domaines réduits aux villes de Reims » et de Laon, restèrent à leur merci. L'arbre étendit trop loin » ses branches, et la tête se sécha. Le royaume se trouva sans › domaine, comme est aujourd'hui l'empire. On donna la » couronne à un des plus puissans vassaux. »

[ocr errors]
[ocr errors]

C'est un point historique encore obscur, de savoir si ce fut simplement, par le succès de ses armes, ou avec l'assentiment d'une assemblée nationale qué le duc de France monta sur le trône, à la place du descendant de Charlemagne, oncle du dernier roi. Mais il est à croire reconnu d'abord comme roi par les arrière-vassaux de son fief, son titre fut ensuite consacré par le consentement tacite des autres grands possesseurs, qui, ne songeant qu'à établir leur souveraineté parfaite dans leurs fiefs respectifs, voyaient avec.

(1) Liv. xxx1, chap. 31.

que,

A

une sorte d'indifférence, une royauté assez peu forte pour ne pouvoir pas même exiger d'eux une ombre de vasselage. Arrêtons nos regards sur cette révolution. La couronne avait été jusqu'ici à la fois héréditaire et élective; héréditaire, en ce que le roi était choisi dans la même race; élective parce que le choix se faisait entre les enfans du monarque qui venait d'expirer. L'occupation du trône par le maître d'un des fiefs qui composaient la France, à l'exclusion de l'héritier légitime, amena de nouveaux principes relativement à la royauté.

Il est clair que tous les égaux de Hugues, c'est-à-dire les possesseurs de grands fiefs, avaient des droits égaux aux siens, et que, par suite la couronne pouvait devenir élective entre les grands vassaux; qu'enfin la France pouvait voir s'établir une constitution semblable à celle dont les lambeaux régissent encore l'Empire.

Il est probable que l'habileté et le courage des premiers monarques, surtout les institutions éminemment nationales, au moyen desquelles quelques-uns d'eux se hâtèrent de soulager le peuple, empêchèrent cet établissement. La reconnaissance publique, en effet, perpétua aussitôt en leur faveur l'ancienne règle qui fixait la couronne dans la race royale, et forts eux-mêmes de cet appui, ils purent faire triompher de l'anarchie féodale, d'abord leurs droits, puis successivement ceux de leurs sujets.

Mais comment s'établit le principe de l'hérédité directe, et dans l'ordre de la primogéniture, qui fut depuis appliqué sans exception? Le voici. Il était de la nature des fiefs amovibles ou à vie, de ne pouvoir être sujets au partage. Devenus perpétuels, ils durent conserver cette qualité, d'abord parce qu'elle avait existé, 'ensuite parce que le service attaché à la possession, en faisait une conséquence presque nécessaire. De la perpétuité des fiefs suivit donc le droit d'aî nesse. Or, la royauté, à cette époque, ne fut autre chose que la possession d'un fief; l'analogie introduisit le principe

de la primogéniture à l'égard de la couronne, et l'expérience des peuples en fit depuis une loi sacrée et constitutive de la

monarchie.

S XIX.

Gouvernement féodal.

Ici doivent être énoncées les conséquences de tout ce que nous venons de voir, et présentées les bases de ce gouvernement féodal qui pesa trois siècles sur notre patrie.

[ocr errors]

Le roi était seigneur suzerain de toutes les terres de son royaume, il ne relevait que de Dieu et de son épée. Ses vassaux directs étaient, à leur tour, seigneurs suzerains des nobles dont les domaines relevaient de leur fief; ces derniers, enfin, avaient pour vassaux cette foule malheureuse qui formait le dernier ordre de l'Etat ; c'est ainsi que les biens féodaux enveloppaient depuis le souverain jusqu'au dernier de ses sujets.

Les grands vassaux étaient ces seigneurs qui, sous le titre de ducs, avaient envahi de grandes provinces, ou ces anciens officiers royaux qui, après avoir rendu leurs comtés indépendans, les agrandirent par la conquête.

On appella barons, les nobles du second rang, et villians, ces habitans des campagnes, premières victimes du brigandage organisé.

Comme il se mêle toujours, dans les choses humaines quelque lueur de raison, même au désordre le plus complet, on vit naître des usages et s'établir des règles qui diminuèrent, quoique bien faiblement, les fléaux de cet ordre social.

Il y eut ainsi des obligations réciproques entre le seigneur et le vassal. La nature et la durée du service que le second devait au premier, furentt fixées suivant les lieux. Quelques limites à l'autorité et aux droits de celui-ci, furent également consacrées par le temps et l'usage. Il y eut, comme dans tout état de législation, des devoirs, parce qu'il y avait des droits, et

la violation de ces devoirs fut punie, à l'égard du vassal, par la perte de son fief; à l'égard du seigneur, par la privation de sa suzeraineté.

Mais bornons-nous à quelques remarques, qui concernent plus particulièrement l'état politique de la France, à cette époque.

Le roi, comme suzerain des grands vassaux, avait simplement le droit de les appeler à la défense commune du territoire, encore ce droit lui fut-il contesté.

Comme possesseur d'un fief, il n'avait autorité que sur les vassaux qui en relevaient. Chose bisarre! il pouvait même, pour un arrière-fief qui lui était échu, devenir le vassal, de l'un de ceux dont il était, comme roi, le suzerain.

· C'était un principe, que le seigneur n'avait droit que sur le vassal, mais point sur les arrière-vassaux; c'est-à-dire sur tous ceux qui relevaient de ce vassal. Ce principe avait fait du roi le prince de quelques hommes seulement, et il avait classé tous ses sujets sous la domination réelle de ceux-ci.

Les grands feudataires et les barons armaient leurs vassaux, et marchaient, bannière déployée, pour exercer des actes de vengeance ou de justice, pour conquérir ou pour piller. Ils battaient monnaie; tenaient des cours supérieures où ils décidaient des points féodaux; et des assises, où ils prononçaient selon la jurisprudence qui nous a légué le duel : Le jugement DE DIEU !

S XX.

De l'Eglise.

Les évêques marchèrent de pair avec les leudes sous la première race; ils précédaient les grands au commencement de la deuxième. Quand le gouvernement féodal fut établi, ils descendirent au second rang de gré ou de force; ils furent obligés de reconnaître un Suzerain. Soumis dès lors à tous les devoirs de la vassalité, ils remplirent également le service de plaids et d'armes, ils envoyèrent ou menèrent eux-mêmes leurs

« EelmineJätka »