Page images
PDF
EPUB

CLUBS.

Il y eut des factieux et des partis en Angleterre, mais qu'est-ce que les meetings des Saints, des Puritains, des Niveleurs, des Agitateurs, auprès des Clubs de notre révolution ? J'ai dit ailleurs (Génie du christianisme) que Milton avait placé dans son enfer une image des perversités dont il avait été le témoin ; qu'eûtil peint s'il avait vu ce que je vis à Paris dans l'été de 1792, lorsque revenant d'Amérique, je traversai la France pour aller à mes destinées.

« La fuite du Roi du 21 juin 1791 (1), fit faire à la révolution un pas immense. Ramené à Paris le 25 du même mois, il avait été détrôné une première fois, puisque l'assemblée nationale déclara que les décrets auraient force de lois, sans qu'il fût besoin de la sanction ou de l'acceptation royale. Une haute Cour de (1) Mes Mémoires.

justice devançant le tribunal révolutionnaire, était établie à Orléans. Dès cette époque, madame Roland demandait la tête de la Reine, en attendant que la révolution lui demandât la sienne. L'attroupement du Champ-de-Mars avait eu lieu contre le décret qui suspendait le Roi de ses fonctions, au lieu de le mettre en jugement. L'acceptation de la constitution, le 14 septembre, ne calma rien. Le décret du 29 septembre pour le réglement des sociétés populaires, ne servit qu'à les rendre plus violentes ce fut le dernier acte de l'assemblée constituante; elle se sépara le lendemain, et laissa à la France une révolution éternelle.

L'assemblée législative installée le 1er octobre 1791, roula dans le tourbillon qui allait balayer les vivans et les morts. Des troubles ensanglantèrent les departemens: à Caen on se rassasia de massacres et l'on mangea le cœur de M. de Belzunce. Le Roi opposa son Veto au décret contre les émigrés, et cet acte légal augmenta l'agitation. Pétion était devenu maire de Paris. Les députés décrétèrent d'accusation, le 1er janvier 1792, les princes émigrés: le 2, ils fixèrent à ce 1er janvier le commencement de l'an ive de la liberté. Vers le 13 de février, les bonnets rouges se montrèrent dans les rues de

Paris, et la Municipalité fit fabriquer des piques. Le manifeste des Emigrés parut le 1er mars. L'Autriche armait. Le traité de Pilnitz et la convention entre l'Empereur et le roi de Prusse étaient connus. Paris était divisé en sections plus ou moins hostiles les unes aux autres. Le 20 mars 1792, l'assemblée législative adopta la mécanique sépulcrale sans laquelle les jugemens de la Terreur n'auraient pu s'exécuter: on l'essaya d'abord sur des morts, afin qu'elle apprît d'eux son œuvre. On peut parler de cet instrument comme d'un bourreau, puisque des personnes touchées de ses bons services, lui faisaient présent de sommes d'argent pour son entretien (1).

» Le ministre Roland (ou plutôt son étonnante feinme) avait été appelé au Conseil du Roi. Le 20 avril, la guerre fut déclarée au roi de Hongrie et de Bohême. Marat publiait l'Ami du peuple malgré le décret dont lui Marat était frappé. Le régiment Royal-Allemand et le régiment de Berchini désertèrent. Isnard parlait de la perfidie de la Cour. Gensonné et Brissot dénonçaient le comité autrichien. Une insurrection éclata à propos de la garde du Roi, qui

(1) Moniteur, no 198.

fut licenciée. Le 28 mai, l'assemblée se forma en séances permanentes. Le 20 juin, le château des Tuileries fut forcé par les masses des faubourgs Saint-Antoine et Saint-Marceau; le prétexte était le refus de Louis XVI, de sanctionner la proscription des Prêtres : le Roi courut risque de la vie. La patrie était décrétée en danger. On brûlait en effigie M. de Lafayette. Les fédérés de la seconde fédération arrivaient; les Marseillais, attirés par Danton, étaient en marche: ils entrèrent dans Paris le 30 juillet, et furent logés par Pétion aux Cordeliers.

[ocr errors]

Auprès de la tribune nationale s'étaient élevées deux tribunes concurrentes, celle des Jacobins et celle des Cordeliers, la plus formidable alors, parce qu'elle donna des membres à la fameuse Commune de Paris, et qu'elle lui fournissait des moyens d'action.

D Le club des Cordeliers était établi dans ce monastère, dont une amende en réparation d'un meurtre avait servi à bâtir l'église sous saint Louis, en 1259 (1); elle devint en 1590 le repaire des plus fameux ligueurs. En 1792, les tableaux, les images sculptées ou peintes, les voiles, les rideaux du couvent des cordeliers

(1) Elle fut brûlée en 1580.

avaient été arrachés : la basilique écorchée ne présentait aux yeux que ses ossemens et ses arêtes. Au chevet de l'église, où le vent et la pluie entraient par les rosaces sans vitraux, des établis de menuisier servaient de bureau au président, quand la séance se tenait dans l'église. Sur ces établis étaient déposés des bonnets rou ges dont chaque orateur se coiffait avant de monter à la tribune. La tribune consistait en quatre poutrelles arcboutées et traversées d'une planche, dans leur x, comme un échafaud. Derrière le président, avec une statue de la Liberté, on voyait de prétendus instrumens de supplice de l'ancienne justice; instrumens remplacés par un seul, la machine à sang, comme les mécaniques compliquées sont remplacées par le bélier hydraulique. Le club des Jacobins épurés emprunta quelques-unes de ces dispositions des Cordeliers.

Les orateurs, unis pour détruire, ne s'entendaient ni sur les chefs à choisir, ni sur les moyens à employer: ils se traitaient de gueux, de gitons, de filous, de voleurs, de massacreurs, à la cacophonie des sifflets et des hurlemens de leurs différens groupes de diables. Les métaphores étaient prises du matériel des meurtres, empruntées des objets les plus sales,

« EelmineJätka »