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» soutenu par ses mains vaillantes s'endormit » dans les airs.

. Quel spectacle touchant! Ce prince, dans » la fleur et dans la force de la jeunesse, réduit » par le sommeil à la faiblesse de l'enfance; ⚫ plongé dans l'assoupissement avec l'abandon de cet âge, tranquillement endormi, au mi» lieu de tant de périls, entre les bras d'un » homme austère, d'un guerrier attentif et veil» lant sur son roi, âgé de vingt et un ans, avec » toutes les inquiétudes d'une mère! Ainsi les lieux, les arbres, les forêts, ont leur destin » comme les hommes.

D

» Charles quitta bientôt Boscobel. Un jour, » étant dans la salle d'une hôtellerie, comme » il levait son chapeau à la dame du logis qui » passait par ce lieu, le sommelier l'ayant at» tentivement regardé, le reconnut. Cet homme » le pria de descendre avec lui dans la cave, » et là, tenant une coupe, la remplit de vin, » et but à la prospérité du roi. Je sais ce que » vous êtes, lui dit-il ensuite en mettant un ge» nou en terre, et vous serai fidèle jusqu'à ma

>> mort. >>

Ainsi a fait revivre ces scènes oubliées l'ami que j'ai perdu : il est allé rejoindre ces hommes d'autrefois.

N'a t-on pas cru lire un épisode de nos guerres de l'ouest pendant la révolution ? La fidélité semble être une des vertus de l'ancienne religion chrétienne : les Pendrill gardaient le culte de leurs aïeux; ils avaient une cachette où le prêtre disait la messe; leur roi, protestant, y trouvait un asile inviolable au pied du vieil autel catholique. Pour achever la ressemblance, la comtesse de Derby, qui défendit si vaillamment l'île de Man, et qui fut la dernière personne des trois royaumes à se soumettre à la république, était de la famille de La Trémoille : le prince de Talmont fut une des dernières victimes des guerres vendéennes.

PORTRAIT D'UN VENDÉEN.

Quoi qu'il en soit des bûcherons de Boscobel, près du chêne royal, maintenant tombé, les Pendrill sont-ils des paysans vendéens?

« Un jour (1), en 1798, à Londres, je rencontrai, chez le chargé d'affaires des princes français, une foule de vendeurs de contre-révolutions. Dans un coin de cette foule était un homme de trente à trente-quatre ans, qu'on ne regardait point, et qui lui-même ne faisait attention qu'à une gravure de la mort du général Wolf. Frappé de son air, je m'enquis de sa personne. Un de mes voisins me répondit : « Ce n'est rien; c'est un paysan vendéen, por»teur d'une lettre de ses chefs. >>

« Cet homme, qui n'était rien, avait vu mou

(1) Mes Mémoires.

rir Cathelineau, premier général de la Vendée et paysan comme lui; Bonchamp, en qui revivait Bayard; Lescure, armé d'un cilice non à l'épreuve de la balle; d'Elbée, fusillé dans un fauteuil, ses blessures ne lui permettant pas d'embrasser la mort debout; La Rochejaquelin dont les patriotes ordonnèrent de vérifier le cadavre, afin de rassurer la convention au milieu de ses victoires sur l'Europe. Cet homme, qui n'était rien, avait assisté aux deux cents prises et reprises de villes, villages et redoutes; aux sept cents actions particulières et aux dixsept batailles rangées; il avait combattu trois cent mille hommes de troupes réglées, six à sept cent mille réquisitionnaires et gardes nationaux; il avait aidé à enlever cinq cents pièces de canon et cent cinquante mille fusils; il avait traversé les colonnes infernales, compagnies d'incendiaires commandées par des conventionnels; il s'était trouvé au milieu de l'océan de feu, qui, à trois reprises, roula ses vagues sur les bois de la Vendée; enfin il avait vu périr trois cent mille Hercules de charrue, compagnons de ses travaux, et se changer en un désert de cendres cent lieues carrées d'un pays fertile.

» Les deux Frances se rencontrèrent sur ce

sol nivelé par elles. Tout ce qui restait de sang et de souvenir dans la France des croisades, lutta contre ce qu'il y avait de nouveau sang et d'espérances dans la France de la révolution. Le vainqueur sentit la grandeur du vaincu : Thurot, général des républicains, déclarait que « les » Vendéens seraient placés dans l'histoire au » premier rang des peuples soldats. » Un autre général écrivait à Merlin de Thionville : « Des

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peuples.

troupes qui ont battu de tels Français peu» vent bien se flatter de vaincre tous les autres Les légions de Probus, dans leur chanson, en disaient autant de nos pères. Bonaparte appela les combats de la Vendée « des combats de géans. >

Dans la cohue du parloir, j'étais le seul à considérer avec admiration et respect le représentant de ces anciens Jacques, qui, tout en brisant le joug de leurs seigneurs, repoussaient, sous Charles V, l'invasion étrangère : il me semblait voir un enfant de ces communes du temps de Charles VII, lesquelles, avec la petite noblesse de province, reconquirent pied à pied, de sillon en sillon, le sol de la France. Il avait l'air indifférent du sauvage; son regard était grisâtre et inflexible comme une verge de fer; sa lèvre inférieure tremblait sur ses dents

« EelmineJätka »