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tude de l'exil et de la tombe de Napoléon a répandu, sur une mémoire éclatante, une autre sorte de prestige. Alexandre ne mourut point sous les yeux de la Grèce; il disparut dans les lointains pompeux de Babylone: Bonaparte n'est point mort sous les yeux de la France; il s'est perdu dans les fastueux horizons des zones torrides. L'homme d'une réalité si puissante s'est évaporé à la manière d'un songe; sa vie, qui appartenait à l'histoire, s'est exhalée dans la poésie de sa mort. Il dort à jamais, comme un ermite ou comme un paria, sous un saule, dans un étroit vallon entouré de rochers escarpés, au bout d'un sentier désert. La grandeur du silence qui le presse égale l'immensité du bruit qui l'environna. Les nations sont absentes; leur foule s'est retirée. L'oiseau des tropiques attelé, dit magnifiquement Buffon, au char du soleil, se précipite de l'astre de la lumière, et se repose seul un moment sur des cendres dont le poids a fait pencher le globe.

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Bonaparte traversa l'Océan pour se rendre à son dernier exil, il s'embarrassait peu de ce beau ciel qui ravit Christophe Colomb, Vasco et Camoëns. Couché à la poupe du vaissean, il ne s'apercevait pas qu'au-dessus de sa

tête étincelaient des constellations inconnues; leurs rayons rencontraient pour la première fois ses puissans regards. Que lui faisaient des astres qu'il ne vit jamais de ses bivouacs, et qui n'avaient pas brillé sur son empire? Et néanmoins aucune étoile n'a manqué à sa destinée: la moitié du firmament éclaira son berceau : l'autre était réservée pour illuminer sa tombe..

LOVELACE.

MA DÉTENTION A LA PRÉFECTURE DE POLICE.

God save the King.

En revenant à travers ces incidences politiques à la littérature, reprenant celle-ci au commencement de la restauration de Charles II, sous lequel nous avons vu Milton mourir, une observation se présente d'abord.

Dans le combat que se livrèrent la royauté et le peuple, le principe républicain eut Milton pour son poète, le principe monarchique Lovelace pour son barde: tirez de là la conséquence de l'énergie relative des deux principes.

Enfermé dans Gat-House à Westminster, sur un mandat des Communes, Lovelace composa une élégante et loyale chanson, long-temps redite par les Cavaliers.

D

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α

Quand, semblable à la linote, je suis renfermé, je chante d'une voix plus perçante la mansuétude, la douceur, la majesté et la gloire de mon roi. Quand je proclame de >> toute ma force combien il est bon, combien >> il est grand, les larges vents qui roulent la » mer ne sont pas aussi libres que moi.

» Des murs de pierre ne font pas une prison, » des barreaux de fer une cage; un esprit in» nocent et tranquille compose de tout cela une solitude. Si je suis libre en mon amour,

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» si dans mon ame je suis libre, les anges

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seuls,

qui prennent leur essor dans les cieux, jouis>> sent d'une liberté semblable à la mienne. »

Nobles et généreux sentimens ! pourtant ils n'ont point fait vivre Lovelace, tandis que l'apologiste du meurtre de Charles Ier s'est placé à côté d'Homère. D'abord, Lovelace n'avait pas le génie de Milton; ensuite il appartenait par sa nature à des idées mortes. La fidélité est toujours admirable; mais les récentes générations conçoivent à peine ce dévouement à un individu, cette vertu resserrée dans les limites d'un système ou d'un attachement particulier; elles sont peu touchées de l'honneur, soit qu'elles manquent de cet honneur même, né

cessaire pour le comprendre, soit qu'elles n'aient de sympathie qu'avec l'humanité prise dans le sens général, ce qui, du reste, justifie toutes les lâchetés. Montrose n'était point un personnage de Plutarque, comme l'a dit le cardinal de Retz; c'était un de ces hommes restés d'un siècle qui finit dans un siècle qui commence; leurs anciennes vertus sont aussi belles que les vertus nouvelles, mais elles sont stériles: plantées dans un sol épuisé, les mœurs nationales ne les fécondent plus.

Le colonel Richard Lovelace, rempli de mille séductions, et dont peut-être Richardson emprunta le nom en souvenir de ses grâces, mourut abandonné dans l'obscurité et la misère.

Sans être jeune et beau comme le colonel Lovelace, j'ai été comme lui enfermé. Les gouvernemens qui depuis 1800 jusqu'à 1830 ont dominé la France, avaient usé de quelque ménagement envers le serviteur des muses : Bonaparte, que j'avais violemment attaqué dans le Mercure, eut envie de me tuer ; il leva l'épée, et ne frappa pas.

Une généreuse et libérale administration toute lettrée, toute composée de poètes, d'écri vains, de rédacteurs de feuilles publiques, n'a pas fait tant de façon avec un vieux camarade.

« EelmineJätka »