Page images
PDF
EPUB

que les lumières s'accroissent, mais elle ne saurait changer sa syntaxe, qu'en changeant son génie. Un Barbarisme heureux reste dans une Langue sans la défigurer; des Solécismes ne s'y établissent jamais sans la détruire. Nous aurons des Tertullien, des Stace, des Silius Italicus, des Claudien: aurons-nous désormais des Bossuet, des Corneille, des Racine, des Voltaire ? Dans une Langue jeune, les auteurs ont des expressions et des images qui charment comme le premier rayon du matin; dans une Langue formée, ils brillent par des beautés de toutes les sortes; dans une langue vieillie, les naïvetés du style ne sont plus que des réminiscences, les sublimités de la pensée que le produit d'un arrangement de mots péniblement cherchés, contrastés avec effort.

EFFET DE LA CRITIQUE SUR LES LANGUES. CRITIQUE EN FRANCE: NOS VANITÉS. MORT DES LANGUES.

La critique, d'abord si utile, est devenue à Londres, par son abondance et sa diversité, une autre source d'altération dans les monumens de la Langue anglaise, en rendant les idées perplexes sur les expressions, les tours, les mots qu'on doit rejeter, ou dont il est bon de se servir. Comment un auteur pourrait-il reconnaître la vérité au milieu de ces jugemens divers, prononcés sur le même ouvrage par le Monthly Review, le Critical Review, le Quarterly Review, l'Edimburgh Review, le British Review, l'Eclectic Review, le Retrospective Review, le Foreign Review, par la Quarterly Foreign Review, par la Literary Gazette, par le London Museum, par le Monthly Censor,

par le Gentle-man's Magazine, le Monthly Magazine, le New Monthly Magazine, l'Edimburgh Magazine, le Literary Magazine, le London Magazine, le Blackwood's Magazine, le Brighton Magazine, par l'Annual Register, par le Classical Journal, le Quarterly Journal, l'Edimburgh philosophical Journal, par le Monthly Repertory. Il serait aisé d'ajouter cent autres noms à cette fastidieuse liste, à laquelle on pourrait joindre encore les articles littéraires des journaux quotidiens.

En France, nous sommes moins riches, et nos jugemens actuels sont moins sévères. Il est possible que la Littérature paraisse une occupation puérile à l'âge politique et positif qui commence parmi nous : si tel est le fait, on conçoit qu'on n'est guère tenté de se créer une multitude d'ennemis, pour la satisfaction de maintenir les vrais principes de l'art et du goût, dans une carrière où il n'y aurait plus ni gloire, ni honneurs à recueillir.

Un critique a osé dans ces dernières années exercer la censure rigoureuse : quels cris n'a-t-il pas excités! Qu'auraient donc dit les auteurs d'aujourd'hui, si on les avait traités comme on nous traitait autrefois? Me serait-il permis de me citer pour exemple? J'ai eu contre moi

une foule d'hommes de mérite: lorsque Atala parut, l'armée classique, M. l'abbé Morellet à sa tête, fondit sur ma Floridienne. Le Génie du Christianisme souleva le monde voltairien : il me fallut recevoir les admonitions des membres les plus distingués de l'Académie française. M. Ginguené, examinant mon ouvrage deux mois après sa publication, craint que la critique n'arrive trop tard, le Génie du Christianisme étant déjà oublié. Le très spirituel M. Hoffmann écrasa les Martyrs dans cinq ou six articles du Journal de l'Empire enlevé alors à ses propriétaires, et lequel journal annonçait ainsi ma fin prochaine dans le vaste cercle tracé par l'épée de Napoléon. Que faisions-nous, nous pauvres Prétendans à la renommée ? Pensions-nous que le monde était ébranlé sur sa base? Avions-nous recours au charbon ou au pistolet pour nous débarrasser de nous-mêmes ou du censeur ? Pleins de notre mérite nous obstinions-nous fièrement dans nos défauts, déterminés à dompter le siècle, à le faire passer sous les fourches caudines de nos sottises? Hélas! non, plus humbles, parce que nous ne possédions pas les talens sans pareils qui courent les rues maintenant, nous cherchions d'abord à nous justifier, ensuite à

nous corriger. Si nous avions été attaqués d'une manière trop injuste, les larmes des Muses lavaient et guérissaient nos blessures: enfin nous étions persuadés que la critique n'a jamais tué ce qui doit vivre, et que l'éloge surtout n'a jamais fait vivre ce qui doit mourir.

N'attendez pas à cette heure une si modeste et si sotte condescendance des écrivains. Les vanités se sont exaltées jusqu'au délire: l'orgueil est la maladie du temps: on ne rougit plus de se reconnaître et d'avouer tous les dons que nous a prodigués la libérale nature. Écoutez-nous parler de nous-mêmes : nous avons la bonté de faire tous les frais des éloges qu'on s'apprêtait à nous donner; nous éclairons charitablement le lecteur sur nos mérites; nous lui apprenons à sentir nos beautés; nous soulageons son enthousiasme; nous cherchons son admiration au fond de son cœur ;

Nous lui épargnons la pudeur
De nous la découvrir lui-même.

Tous, un à un, nous nous croyons en conscience et avec candeur l'homme de notre siècle, l'homme qui a ouvert une nouvelle carrière, l'homme qui a fait disparaître le passé, l'homme

« EelmineJätka »