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metière; le long de ce mur est établi un rouet de corderie. Un soir du dernier été, je me promenais sur ce chemin; deux cordiers marchant parallèlement à reculons, et se balançant d'une jambe sur l'autre, chantaient ensemble à demi-voix. Je prêtai l'oreille; ils en étaient à ce couplet du Vieux Caporal :

Qui là-bas sanglotte et regarde ?
Eh! c'est la veuve du tambour.
En Russie, à l'arrière-garde,
J'ai porté son fils nuit et jour.
Comme le père, enfant et femme,
Sans moi restaient sous les frimas.
Elle va prier pour mon ame.
Conscrits, au pas,

Ne pleurez pas,

Ne pleurez pas,

Marchez au pas,

Au pas, au pas, au pas, au pas!

Ces hommes prononçaient le refrain: Conscrits, au pas. Ne pleurez pas... Marchez au pas, au pas, au pas, d'un ton si mâle et si pathétique que les larmes me vinrent aux yeux : en marquant eux-mêmes le pas et en dévidant leur chanvre, ils avaient l'air de filer le dernier moment du Vieux Caporal. Qui leur avait

appris cette complainte ? Ce n'était pas assurément la littérature, la critique, l'admiration enseignée, tout ce qui sert au bruit et au renom; mais un accent vrai, sorti de quelque part, était arrivé à leur ame du peuple. Je ne saurais dire tout ce qu'il y avait dans cette gloire particulière à Béranger, dans cette gloire solitairement révélée par deux matelots qui chantaient, au soleil couchant, à la vue de la mer, la mort d'un soldat.

BEATTIE.

Burns, Mason, Cowper moururent pendant mon émigration à Londres avant 1800 et en 1800; ils finissaient le siècle : je le commençais. Darwin et Beattie moururent deux ans après mon retour de l'exil.

Beattie avait annoncé l'ère nouvelle de la lyre. Le Minstrel, ou le progrès du génie, est la peinture des premiers effets de la Muse sur un jeune barde, lequel ignore encore le génie dont il est tourmenté. Tantôt le poète futur va s'asseoir au bord de la mer pendant une tempête; tantôt il quitte les jeux du village pour écouter à l'écart et dans le lointain le son des musettes le poëme est écrit en stances rimées comme les vieilles ballades

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Si je voulais invoquer une muse savante; mes doctes accords diraient ici quelle fut la » destinée du barde dans les jours du vieux temps; je le peindrais portant un cœur content sous de simples habits: on verrait ses cheveux » flottans et sa barbe blanchie; sa harpe modeste, seule compagne de son chemin, répondant aux soupirs des brises, serait suspen› due à ses épaules voûtées; le vieillard, en » marchant, chanterait à demi-voix quelque refrain joyeux.

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Mais un pauvre minstrel inspire aujour» d'hui mes vers.

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>> Dans les siècles gothiques (comme les vieilles » ballades le racontent) vivait autrefois un berger. Ses ancêtres avaient peut-être habité une terre aimée des Muses, les grottes de la Sicile ou les vallées de l'Arcadie; mais lui, » il était né dans les contrées du Nord, chez une nation fameuse par ses chansons et par » la beauté de ses vierges; nation fière quoi» que modeste, innocente quoique libre, pa»tiente dans le travail, ferme dans le péril, » inébranlable dans sa foi, invincible sous les

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D armes.

» Edwin n'était pas un enfant vulgaire: son

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» œil semblait souvent chargé d'une grave pen

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sée; il dédaignait les hochets de son âge, hors un petit chalumeau grossièrement façonné; il était sensible quoique sauvage, » et gardait le silence quand il était content; >> il se montrait tour à tour plein de joie et de » tristesse, sans qu'on en devinât la cause. Les » voisins tressaillaient et soupiraient à sa vue, » et cependant le bénissaient. Aux uns il semblait d'une intelligence merveilleuse; aux autres il paraissait insensé.

» Mais pourquoi dirais-je les jeux de son enfance? il ne se mêlait point à la foule >> brillante de ses jeunes compagnons ; il aimait » à s'enfoncer dans la forêt, ou à s'égarer sur le » sommet solitaire de la montagne. Souvent » les détours d'un ruisseau sauvage conduisent ses pas à des bocages ignorés. Tantôt il » de end au fond des précipices, du sommet desquels se penchent de vieux pins; tantôt il gravit des cimes escarpées, où le torrent » brille de rocher en rocher, où les eaux,

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les

» forêts, les vents, forment un concert im» mense, que l'écho grossit et porte jusqu'aux >> cieux.

>>

Quand l'aube commence à blanchir les

airs, Edwin, assis au sommet de la colline,

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