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LES DEUX NOUVELLES ÉCOLES LITTÉRAIRES.

QUELQUES RESSEMBLANCES DE DESTINÉE.

Il y aura peut-être (1) quelque intérêt à remarquer dans l'avenir (si pour moi il Y a un avenir), la rencontre des deux chefs de la nouvelle école française et anglaise, ayant un même fonds d'idées, des destinées, sinon des mœurs, à peu près pareilles : l'un pair d'Angleterre, l'autre pair de France; tous deux voyageurs dans l'Orient, assez souvent l'un près de l'autre, et ne se voyant jamais seulement la vie du poète anglais a été mêlée à de moins grands événemens que la mienne.

Lord Byron est allé visiter après moi les ruines de la Grèce dans Childe-Harold il semble embellir de ses propres couleurs les descriptions de l'Itinéraire. Au commencement

(1) Suite de la citation des Mémoires.

de mon pélerinage, je reproduis l'adieu du sire de Joinville à son château; Byron dit un égal adieu à sa demeure gothique.

Dans les Martyrs, Eudore part de la Messénie pour se rendre à Rome.

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α

Notre navigation fut longue, dit-il
dit-il . .
Nous vimes tous

» ces promontoires marqués par des temples D ou des tombeaux.

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>> Nous traversȧmes le golfe de Mégare. Devant » nous était Égine, à droite le Pirée, à gau» che Corinthe. Ces villes, jadis si florissantes, » n'offraient que des monceaux de ruines. Les » matelots mêmes parurent touchés de ce spectacle. La foule accourue sur le pont gardait le silence: chacun tenait ses regards » attachés à ces débris; chacun en tirait peut» ètre secrètement une consolation dans ses » maux, en songeant combien nos propres » douleurs sont peu de chose, comparées à ces » calamités qui frappent des nations entières, » et qui avaient étendu sous nos yeux les »davres de ces cités. »

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Mes jeunes com

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» rent rien aux débris qu'ils avaient sous les » yeux; moi, je m'étais déjà assis, avec le pro

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phète, sur les ruines des villes désolées, et Babylone m'enseignait Corinthe. »

Lisez maintenant lord Byron, quatrième chant de Childe-Harold:

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As my bark did skim

The bright blue waters with a fanning wind,
Came Megara before me, and behind

Ægina lay, Piræus on the right,

And Corinth on the left; I lay reclined Along the prow, and saw all these unite In ruin,

The Roman saw these tombs in his own age,
These sepulchres of cities, which excite
Sad wonder, and this yet surviving page

The moral lesson bears, drawn from such pilgrimage.

α

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Lorsque ma bar» que effleurait le brillant azur des vagues sous une fraîche brise, Mégare vint devant moi, Égine restait derrière, le Pirée à ma droite, Corinthe à ma gauche. J'étais appuyé sur la proue, et je vis ces ruines réunies.

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» Le Romain vit ces tombes dans son propre temps, ces sépulcres de cités qui excitent

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un triste étonnement; et cette page qui leur survit, porte la morale leçon tirée d'un tel » pélerinage. »

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Le poète anglais est ici, comme le prosateur français, derrière la lettre de Sulpicius à Cicéron; mais une rencontre si parfaite m'est singulièrement glorieuse, puisque j'ai devancé le chantre immortel au rivage où nous avons eu les mêmes souvenirs, et où nous avons commémoré les mêmes ruines.

J'ai encore l'honneur d'être en rapport avec lord Byron dans la description de Rome : les Martyrs et ma Lettre sur la campagne romaine ont l'inappréciable avantage pour moi, d'avoir deviné les inspirations d'un beau génie. M. de Béranger, notre immortel chansonnier, a placé dans le dernier volume de ses chansons une note trop obligeante pour que je la rapporte en entier ; il a osé dire, en rappelant le mouvement que j'ai imprimé, selon lui, à la poésie française : « L'influence de l'auteur du » Génie du Christianisme s'est fait ressentir

également à l'étranger, et il y aurait peut» être justice à reconnaître que le chautre de • Childe-Harold est de la famille de René (1).

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(1) Dans un excellent article (Biograp. Univers.

S'il était vrai que René entrât pour quelque chose dans le fond du personnage unique mis en scène sous des noms divers dans Childe-Harold, Conrad, Lara, Manfred, le Giaour; si par hasard lord Byron m'avait fait vivre de sa vie, il aurait donc eu la faiblesse de ne jamais me nommer ? J'étais donc un de ces pères qu'on renie quand on est arrivé au pouvoir ? Lord Byron peut-il m'avoir complétement ignoré, lui qui cite presque tous les auteurs français, ses contemporains? n'a-t-il jamais entendu parler de moi, quand les journaux anglais, comme les journaux français, ont retenti vingt ans auprès de lui de la controverse sur mes ouvrages, lorsque le New Times a fait un parallèle de l'auteur du Génie du Christianisme et de l'auteur de Childe-Harold?

Point de nature si favorisée qu'elle soit,

suppl.) sur lord Byron. M. Villemain a renouvelé la remarque de M. de Béranger : qu'on me pardonne si je cite la phrase qui me concerne; je cherche une excuse à ce que je dis ici dans ces pages extraites de mes Mémoires: le lecteur voudra bien compter pour rien une louange donnée par l'indulgence du talent. « Quelques pages incomparables de René avaient, il » est vrai, épuisé ce caractère poétique. Je ne sais si Byron les imitait, ou les renouvelait de génie.

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