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Ces lanternes n'étaient garnies que de chandelles. On trouve dans l'histoire métallique de Louis XIV une médaille frappée à l'occasion de cette utile création; elle porte cette légende: Urbis securitas et nitor.

Cependant, sous la fin de la lieutenance de ce magistrat, soit par sa négligence, soit par la corruption de ses agens, ou par défaut de moyen, on vit renaître tous les désordres du temps passé. Les vols se multipliaient. Dangeau écrit, au 11 août 1696: «On commence à voler beaucoup dans Paris; on a été obligé de doubler le guet à pied et à cheval. »

SARTINE

(ANTOINE-RAYMOND-JEAN-GUALBERT-GABRIEL DE),
comte d'Alby.

Pour éviter, autant que possible, les découpures toujours désagréables du récit, je vais réunir une partie des dates que l'on fait ordinairement et indispensablement figurer dans une notice biographique.

Sartine est né à Barcelone en

1759.

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Il laisse la marine le 14 octobre

Et meurt à Tarragone le 7 septembre

1780, 1801.

Cette espèce de note de services suffirait à la mémoire de la majeure partie de nos hommes d'Etat ; il n'en est pas ainsi de Sartine : la vie de ce magistrat, une des illustrations de la ville de Barcelone, appartient véritablement à l'histoire.

Non qu'il ait été un grand citoyen, non que la somme du mal ne l'emporte en lui sur la somme du bien; mais il apporta dans toutes ses fonctions, et particulièrement dans celles du lieutenant-général de police, un tact, un zèle, une activité, une habileté dont peu de magistrats avaient fait preuve avant lui; malgré les injustices, les actes arbitraires qu'il commit, il sut être utile, surtout à la ville de Paris.

Les habitans vécurent dans une sécurité parfaite pendant son administration; les rucs furent tenues dans un état continu de propreté remarquable; il créa, en 1768, le mode d'éclairage qu'on emploie encore de nos jours; il coopéra à la construction de la halle au blé; il fonda une école gratuite de dessin en faveur des ouvriers qui se destinaient aux métiers tenant aux arts; enfin, on lui fut redevable de l'établissement des maisons de jeu, mesure qui amena la fermeture d'un très-grand nombre de tripots et de maisons clandestines.

L'organisation de sa lieutenance-générale de police était telle, qu'aucun individu, aucun événement ne pouvaient lui échapper.

Sa réputation, à cet égard, était si bien établie, qu'un ministre de l'empereur lui écrivit pour le prier avec instance de faire arrêter, à Paris, un fameux voleur, qu'on croyait s'y être réfugié, et dont le gouvernement autrichien avait le plus grand intérêt à s'assurer. Il répondit, peu de jours après, que l'homme qu'on cherchait n'était point à Paris, mais à Vienne même, logé dans une maison d'un des faubourgs, dont il désigna le numéro, indiquant en même temps les heures auxquelles il avait coutume de sortir, et les déguisemens sous lesquels il se cachait. Tous ces renseignemens se trouvèrent exacts; on arrêta le coupable.

Pupil de Myons, premier président d'une cour supérieure à Lyon, fort lié avec le lieutenant-général, prétendait, devant lui, que la clairvoyance de la police ne pouvait atteindre que les gens suspects, et que, n'étant point dans ce cas-là, il pourrait venir à Paris, y séjourner plusieurs jours sans qu'on en fût informé. Sartine soutint le contraire, et offrit même une gageure, qui fut acceptée. Quelques mois plus tard, de Myons, qui était retourné à Lyon, en partit précipitamment, courut jour et nuit, arriva à Paris à onze heures du matin, et alla loger dans un quartier fort éloigné de celui qu'il habitait crdinairement. A midi précis, il reçut un billet de la part du lieutenant-général de police, qui l'engageait à venir diner ce jour-là chez lui. Il s'y rendit, et convint qu'il avait perdu la gageure.

Obligé de se lever de grand matin pour remplir

avec exactitude les devoirs de sa place, Sartine se laissait souvent aller involontairement, les soirs, au milieu même d'une société nombreuse, à un sommeil de quelques minutes, qui, pour ceux qui ne le connaissaient pas particulièrement, n'avait l'air que du silence de la réflexion. Un maître des requêtes, qui se trouvait chez lui, et ne se doutait nullement de cette habitude, s'intéressant vivement à un homme auquel il voulait procurer l'agrément d'une place d'agent-de-change, et voyant le magistrat ne prendre aucune part à la conversation générale, crut l'occasion favorable pour invoquer ses bontés en faveur de son protégé. Il s'approche, parle avec zèle de l'homme qu'il désire faire employer, fait l'énumération de ses talens et des droits qu'il a à cette place. Sartine, qui, dans ce moment, était plongé dans le plus profond sommeil, et dans un rêve fort étranger à ce qu'on lui disait, prononça assez hautement : « C'est inutile; nous allons les mettre en boutiques. » Le maître des requêtes se retire très-confus, et va aussitôt raconter cette nouvelle, dans les mêmes termes, à son protégé, qui ne manque pas d'aller avertir sur-le-champ les agens-de-change de sa connaissance du sort qui les menace. Ceux-ci se rassemblent en hâțe, consternés d'un événement si imprévu. Ils délibèrent de présenter dès le lendemain au ministre de Paris une requête appuyée de la signature des meilleurs négocians, des plus forts banquiers de la capitale, par laquelle ils remontrent qu'ils ne pourraient pas supporter un tel avilissement de leur état, et annoncent

leur démission, dans le cas où l'on persisterait. Des députés du corps se rendent à Versailles, et soumettent respectueusement le vœu général de leurs confrères au ministre, qui, fort étonné du plan ridicule qu'on lui suppose, veut connaitre l'origine d'une pareille sottise. Le maître des requêtes, nommé comme auteur de la nouvelle, est mandé ; il cite Sartine, qui, appelé à son tour, a beaucoup de peine à comprendre ce dont il s'agit, et finit par se rappeler qu'il dormait profondément à l'heure qu'on lui indique pour avoir été celle de la sollicitation, dont il n'avait pas entendu un mot. Enfin il est démontré, à la grande satisfaction des agens-de-change, et au rire de tous les assistans, que la réponse qui avait jeté une si chaude alarme dans le commerce, n'était qu'un rêve.

Ce qui servit sans doute à lui faire accorder une pénétration extrême, et à le faire passer pour un homme très-habile, c'est qu'il eut l'art de perfectionner l'espionnage et de l'employer pour de certaines choses que la morale et l'honneur du magistrat n'auraient pu toujours avouer.

Ainsi, pendant les premières années de sa magistrature, il avait chargé ses espions d'arrêter les religieux qui seraient trouvés en commerce de galanterie ou de libertinage, soit dans des maisons publiques, soit dans des maisons douteuses. Il se faisait présenter des rapports particuliers sur cette partie de sa police.

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