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amoureux de sa maîtresse, mais qu'il n'était pas le seul, que M. le duc de Fronsac l'était aussi, et venait souvent la voir, ainsi qu'un grand officier aux gardes, d'Est.., qui paraissait être très-bien avec elle. Ce garçon lui a ajouté que sa maîtresse avait raison; que son mari la traitait durement, et que dernièrement, la voyant le matin, en peignoir, ses cheveux déployés, il lui avait dit, en présence de plusieurs de ses gens Savez-vous bien, madame, à qui vous ressemblez comme cela? A une fieffée putain; et qu'elle s'était mise à pleurer, etc. »

12 Mars. Monsieur, j'ai eu l'honneur de vous rendre compte des attentions de M. de Monville, au spectacle, pour inadame de Monregard, ce qui m'avait engagé à vouloir en savoir davantage, et à faire parler à cet effet au nègre de ce monsieur, qui tout naturellement avait dit que cette dame était la maî¬ tresse de son maître ; que si son mari venait à mourir, il l'épouserait, et qu'il la voyait quelquefois à sa pe‐ tite maison sur la chaussée d'Antin. J'ai fait vérifier ce dernier fait, et la femme du concierge en est convenue. Après vous en avoir communiqué, j'en ai instruit M. le comte de la Marche, et ce prince, sur mon rapport, s'est donné la peine de venir chez moi. Il m'a paru enchanté de mes découvertes, et m'a fait connaître que ses affaires étaient beaucoup plus avancées auprès de cette dame que je ne croyais; il m'a appris qu'il lui écrivait par la petite poste, et qu'elle lui faisait réponse par la même voie ; il m'en a même fait la lecture d'une. Mon prince, plaignez

moi, vous êtes sans contredit, l'homme du monde. le plus aimable, mais j'entrevois mille obstacles au plaisir que j'aurais de vous voir. Vous voyez bien, m'a-t-il dit, que c'est une femme qui capitule; elle entrevoit mille obstacles, mais elle ne dit pas qu'ils sont insurmontables.... Présentement, mon cher Marais, il me suffira de savoir les jours qu'elle ira à la comédie, etc. »

Le complaisant magistrat n'était pas moins occupé des auteurs et des livres que des filles, des libertins et des petits délassemens de la comtesse Dubarri.

A-t-il ordonné le premier les auto-da-fés et les déchirures de livres qui se faisaient souvent à la Bastille, dépôt général des ouvrages dont la circulation n'était pas permise? je ne puis l'affirmer. Ce qui n'est pas douteux, c'est que la police, sous lui, commandait ces mesures et en profitait.

Ces exécutions n'avaient pas lieu en sa présence; il les prescrivait à l'état-major de la Bastille.

Ses ordres atteignirent ainsi le Contrat Social, les Lettres de la Montagne, l'Esprit, les Mémoires de Maintenon, les Principes de Morale (de Mably), les Avantages du mariage des Prêtres, le Moyen de rendre les religieuses utiles, le Traité de la Tolérance, grand nombre d'autres ouvrages, des gravures, des presses, des caractères.

Les archives de la police avaient conservé un compte de vente au cartonnier Tisset, de trois milliers quinze livres pesant de feuilles condamnées à mourir dans son magasin; le voici :

Trois milliers quinze livres, à raison de 7 liv. 10 S.

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Il écoutait volontiers les hommes de lettres, et satisfaisait quelquefois leur susceptibilité et leur amour-propre.

Si l'on veut juger quel prix le grave magistrat pouvait attacher à leur correspondance, qu'on lise les lettres qui suivent.

• Monsieur,

>> Ce qui m'arrive est, je crois, inouï : un homme, sous le titre de Géographe Parisien, a copié et fait imprimer, mot pour mot, phrases pour phrases, une grande partie des deux premiers volumes de mes Essais historiques sur Paris, sans me citer, ni mettre mon nom en aucun endroit. D'ailleurs, quand il l'aurait mis, le pillage est trop considérable pour être toléré. Lorsqu'on copie trois ou quatre pages, sans citer, c'est un plagiat; mais en copier un aussi

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grand nombre, c'est un vol. Je me plains à un magistrat trop éclairé pour m'étendre en réflexions. Je ne doute point, monsieur, d'une punition d'autant plus éclatante, qu'il n'y a personne qui ne dise qu'elle est absolument nécessaire, surtout dans un temps où de prétendus écrivains, sous les titres de Dictionnaires et autres titres, trompent le public, et tâchent de faire passer comme étant d'eux ce qu'ils ont pillassé dans les vrais auteurs.

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>> Je crois n'avoir pas besoin de vous faire une confession générale pour vous mettre au fait de toutes mes sottises, et vous savez déjà que si le réglement qui a supprimé les galons des domestiques de ces demoiselles avait aussi supprimé les contrats, j'aurais dans ce moment-ci de grandes actions de grâces à vous rendre. La belle Raucourt, qui commence par où les autres finissent, à dix-sept ans et neuf mois, a arraché à mon ivresse, ou à ma stupidité, un contrat qu'elle a fixé à deux mille écus; car il faut lui rendre justice, elle m'a sauvé l'embarras de cette affaire, elle a choisi elle-même le notaire, elle a pris son heure, réglé les articles, et je n'ai eu que la peine de signer. La forme de ce maudit contrat est si sévère, toute cette manœuvre était si mal déguisée, que j'ai ouvert les yeux une demi-heure je me suis même ouvert au notaire

sur mes craintes, et j'ai signé doutant encore si on me tiendrait les conditions verbales qu'on avait faites avec moi. On les a tenues tant bien que mal pendant cinq mois et demi, et avant-hier j'ai reçu mon congé, sans me douter du prétexte honnête qui a pu y donner lieu, sans pouvoir même en venir à une explication. Vous conviendrez, monsieur, qu'un rêve aussi court, qui laisse à sa suite de pareilles réalités, rend le réveil un peu fâcheux. Tout ceci paraît jurer fortement avec la gaîté que je porte dans le monde, et la tournure honnête que j'y avais prise. Vous avez eu des bontés pour mademoiselle Raucourt, je ne veux point lui faire tort dans votre esprit ni dans celui du public. Quoi qu'il en arrive, je ne m'échapperai sur elle d'aucune manière; je le dois à moimême, et d'ailleurs je ne puis la croire coupable d'un aussi détestable procédé ; je l'attribuerai toujours à des conseils étrangers qu'elle aura suivis, parce qu'elle n'a point de caractère. S'il n'est pas indigne de votre ministère d'amortir un peu le coup que je reçois, je me prêterai aux accommodemens que vous voudrez bien prescrire. Quoique le sceau du notaire y ait passé, je crois qu'il vous est possible de changer sur cet article les intentions d'une femme qui vous doit beaucoup, et qui mériterait moins vos bontés si elle persévérait. Si vous voulez avoir la bonté de me donner aujourd'hui un moment, j'aurai l'honneur d'en causer avec vous de la manière la moins fastidieuse possible; car cette lettreci le devient un peu, et je me conduirai d'après vos

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