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Note. Après l'impression de cette dernière lettre, quelqu'un m'a dit qu'il croyait déjà l'avoir vue im» primée. Je dois prévenir qu'on ne doit point en être » étonné, parce que toutes les lettres écrites au gou» verneur de la Bastille étaient copiées, aussitôt leur réception, sur un registre, dont le public a coupé des » feuillets, lors du pillage des papiers; ainsi les uns » ont l'original et les autres une copie authentique. » Ces copies, prises sur ce registre, sont une preuve » de l'existence de l'original: le registre, en effet, n’au» rait point existé si ces lettres fussent supposées.

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Sans m'arrêter au caractère de véracité que présentent ces documens, je demanderai comment il se fait que le gouvernement (de 1789 à 1792), Chevalier ou les siens, la famille Delaunay, Sartine ou son fils, ou ses parens, n'aient, à aucune époque, dans aucune circonstance, rien dit ni rien fait pour défendre les coupables contre de pareilles accusations.

Qu'on ne vienne pas dire que les officiers de la Bastille n'étaient pas des bourreaux, car des millions de voix s'écrieraient :

Et ces squelettes humains encore enchaînés, trouvés dans cette forteresse, après sa démolition, et qu'on inhuma dans le cimetière de la paroisse SaintPaul, avaient-ils été chargés de fers exprès pour cette picuse cérémonie !

Et ces quatre cents hommes que Delaunay fit entrer, par perfidic, dans la première cour du fort, le canon de Delaunay les épargna-t-il ?

Et Latude, qui, pour avoir écrit trop fortement à Sartine, en 1764, fut replongé dans un cachot où, durant quarante mois, il eut à défendre sa vie contre les rats et contre l'impureté du lieu, n'était-il qu'une victime volontaire ?

Et le comte de Lorges, qui subit une agonie de trente-deux ans dans cet antre de la mort, n'avait-il pas affaire à des bourreaux ?

Je l'avouerai, mon indignation s'accroît pour les auteurs de tant de crimes, quand je vois des écrivains oser prendre la plume en leur faveur, et vouloir réfuter des faits par des mots brillans ou des objections insignifiantes, et par des plaintes réitérées de manque de bonne foi, même de calomnie.

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Est-il besoin, pour flétrir la mémoire de Sartine, de quelques autres faits? je me bornerai à en citer deux.

Le chevalier Pompignan de Mirabelle, courbé sous le poids des années, qui, ayant entendu réciter quatre vers contre la marquise de Pompadour, avait eu le malheur de les répéter dans une compagnie nombreuse, racontait ainsi son entrée et son séjour à Vin

cennes :

«Averti qu'il allait (Sartine) lancer contre moi une lettre de cachet, je me présentai chez ce magistrat en le priant de me dire dans quelle prison il voulait que je me rendisse: A Vincennes, me répondit-il. Je montai dans mon carrosse, et, sans retourner chez moi, je vins me constituer prisonnier au donjon. A peine y fus-je séquestré, que l'ordre de ma détention

arriva. Je crus, dans le premier moment, que ce n'était qu'un jeu : il dure depuis onze ans. J'ai vu diverses fois M. de Sartine, dans les visites qu'il a coutume de nous faire une fois par an, et je n'ai jamais pu en tirer que ces mots : Où vous êtes l'auteur des vers en question, ou vous connaissez celui qui les a faits; dans le second cas, votre silence opiniâtre vous rend aussi coupable; nommez-le et vous redevenez libre. Il m'aurait été bien difficile de révéler ce nom, si j'avais été capable de cette indignité, puisqu'il m'était absolument inconnu. »

Onze ans de prison pour avoir répété quatre vers contre une marquise débauchée!

Leprévôt de Beaumont était secrétaire du clergé de France, lorsqu'au mois de juillet 1768, il découvrit, par hasard, le plan d'un monopole exercé par le gouvernement d'alors sur le commerce des blés, que plusieurs agens faisaient accaparer et vendre à son profit; ce monopole occasionait l'énorme cherté dont le peuple ressentait tout le poids.

Ce digne citoyen voulut dénoncer au parlement de Rouen l'inique malversation qui tendait à affamer la France. Son paquet fut décacheté à la poste, et, le 17 novembre, on le conduisit à la Bastille. Après onze mois de détention dans cette forteresse, une nouvelle lettre de cachet, du 14 octobre 1769, le fit transférer au donjon de Vincennes. Il y resta quinze années, et y éprouva une suite continuelle de persécutions, dont il accusait Sartine, et avec raison, par

que les rigueurs exercées dans les prisons étaient ordonnées par le chef de la police.

Pendant dix-huit mois il fut couché sur un grabat de bois, large de vingt-quatre pouces, couvert d'un peu de paille pourie, et ayant des chaînes aux pieds ; il ne recevait que deux onces de pain par jour et un verre d'eau pour tout aliment, qu'on lui passait par un trou. Enfin, il était près d'expirer, forsqu'on le transporta dans une chambre no 3, où le chirurgien le fit baigner dans l'eau chaude, lui fit donner des bouillons restaurans, du vin vieux, et prescrivit de le promener en le tenant sous les bras: ce régime le rétablit au bout de quinze jours.

Sartine était ambitieux, ce qui semble expliquer ses lâches complaisances envers le roi, les princes, les favorites et les ministres.

Quelques jours avant la mort de Louis XV, un de ses amis le rencontre dans la galerie, le portefeuille sous le bras, et l'empêche d'entrer chez le roi, en lui disant: la peste est là ; si vous humez le mauvair air, on vous fera faire la quarantaine avant que vous puissiez vous présenter à son héritier. Il disparut; et ce fut le premier, d'après cette attention, que le jeune roi vit à ses pieds: il eut les premières faveurs.

Passé au ministère de la marine, et secondé par les talens du chevalier de Fleurieu, dont il avait su apprécier le mérite, Sartine se conduisit dans les conjonctures les plus embarrassantes avec une certaine prudence, et avec le zèle qui avait caractérisé ses précédentes administrations. Mais il n'y porta pas cette

rare habileté qu'il avait déployée dans la direction de sa police machiavélique. Quand il fut remplacé par de Castries, le prince lui donna une gratification de 150,000 fr. et une pension de 70,000 fr., et le peuple lui décocha un grand nombre d'épigrammes, parmi lesquelles on a distingué celle-ci :

J'ai balayé Paris avec un soin extrême,
Et voulant sur les mers balayer les Anglais,
J'ai vendu si cher mes balais,

Que l'on m'a balayé moi-même.

Son entrée au ministère a donné lieu à une anecdote que je ne puis m'empêcher de raconter.

J.-J. Rousseau lui avait écrit, en 1772, une lettre de six pages, pour se plaindre, mais sans en demander vengeance, de propos tenus sur son compte. Ce magistrat connaissait donc l'écriture de J.-J. Appelé au ministère de la marine, Sartine lui envoya ce billet :

On ne peut être plus sensible que je le suis, monsieur, aux choses obligeantes contenues dans votre lettre. Je ne le suis pas moins à la part que vous prenez à la grâce dont le roi vient de m'honorer. Recevez, je vous prie, les assurances de ma reconnaissance, et de tous les remercimens que je vous dois.

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Et l'auteur d'Émile lui répondit :

«Je crois remplir un devoir indispensable en vous

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