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cortége, se rendirent à pied dans l'église de SaintNicolas-du-Chardonnet, lieu de sépulture de la fa

mille.

Docile instrument des jésuites, Louis XIV faisait persécuter les religieuses de Port-Royal-des-Champs, parce que ces filles avaient donné asile à des homines célèbres par leurs vertus et leurs talens, mais que la Société de Jésus poursuivait avec l'obstination la plus coupable.

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En 1664, on les avait chassées de leur couvent de la rue de la Bourbe; on avait pris douze de ces sœurs pour les disperser dans d'autres couvens, où elles furent traitées comme prisonnières. En 1665, on avait établi, dans leur ancien monastère, une garnison, qui s'y trouvait encore en 1669. Enfin, le 29 octobre 1709, on les enleva de leur maison; on supprima leur couvent.

D'Argenson, qui dirigeait cette expédition singulière, ne donna à ces infortunées qu'un quart-d'heure pour se préparer à partir.

Dispersées dans différentes maisons religieuses de la France, il leur fut impossible de léguer aux historiens autre chose que la mémoire de leurs malheurs les écrivains du siècle dernier et de celui-ci ont flétri le souvenir des fauteurs de ces hideuses persécutions; et d'Argenson surtout, grâce à leur vertueuse indignation, ne portera plus dans nos histoires qu'un nom couvert de leurs stigmates impo

sans.

Il avait rendu des services au duc d'Orléans,

comme à d'autres grands personnages, en cachant au roi et en accommodant, par son autorité, des aventures de jeunesse, en couvrant même ou réparant des erreurs de conduite graves. Le neveu du monarque, devènu régent, et probablement avec le concours du lieutenant de police, avait gardé le souvenir de tout ce que d'Argenson avait fait pour lui.

« Celui-ci ne craignit pas les parlemens, qui étaient alors en opposition avec la cour, qu'il avait souvent lui-même attaqués, et qui, à ce titre, lui étaient très-opposés. Quant à lui, il voulait contenir, et au besoin réprimer ces compagnies; mais il ne pouvait les haïr personnellement, tenant à plusieurs familles de magistrature par les liens de la parenté et de l'affection. Du reste, il n'avait jamais dépassé les limites de ses attributions.....

» Dès l'origine des Conseils (septembre 1715) établis par le régent, il fit partie de celui du dedans du royaume, qui était composé de cinq membres, sous la présidence du duc d'Antin. Bientôt les obstacles que le duc d'Orléans rencontrait de toutes parts à ses desseins, l'engagèrent à appeler d'Argenson à son aide. Il le fit, en janvier 1718, président du conseil des finances, et en même temps garde-des-sceaux, afin qu'il eût plus d'autorité, et fût intéressé à ne pas ménager le parlement, sur lequel il s'agissait d'avoir le dessus. Le lit de justice tenu aux Tuileries, le 26 août 1718, fut un coup d'État hardi, que les circonstances avaient rendu nécessaire. D'Argen

son... y montra beaucoup d'énergie... Il fut nommé, en 1719, chancelier de l'ordre de Saint-Louis (1). Il travailla puissamment à réparer le désordre dans lequel les dernières années de Louis XIV avaient plongé la fortune publique (2).

D

Ce ministre avait un grand courage dans les difficultés; il était d'une expédition prompte, d'un travail infatigable, mais travaillant à bâtons rompus et le plus imponctuel de tous les hommes, selon son propre fils (3), désintéressé, ferme, mais dur, sec et despotique. Il eut trop d'espions pour la police, il fit arrêter arbitrairement trop de citoyens. Complaisant des jésuites, persécuteur des jansénistes, parce que c'était le mot d'ordre de la cour, il ne haïssait les uns ni les autres (4), et flattait le parti le plus accrédité, dans l'intérêt de son ambition.

Il était aimable dans la société; et le moment après que ses sourcils et sa perruque noire avaient fait trembler la populace, les agrémens de sa conversation, sa gaîté et l'aisance de ses manières apprenaient

(1) Les lettres du 15 avril 1719 le nomment grand'croix,. chancelier et garde-des-sceaux de l'ordre.

(2) Biog. univ., art. de M. H. de La Porte.

(3) Essais, pag. 253.

(4) Il s'était livré sous le feu roi (Louis XIV) aux jésuites, mais en faisant le moins de mal qu'il put, sous un voile de persécution qu'il sentait nécessaire pour persécuter moins en effet, et même pour épargner les persécutés. »

SAINT-SIMON.

qu'il était fait pour vivre dans la bonne compagnie.

Il avait une grande gaîté naturelle, et possédait cette vivacité d'esprit heureuse et féconde, dont les traits seuls ont quelquefois servi à consolider des réputations. Il dictait à trois ou quatre secrétaires à la fois ; et souvent chaque lettre eût mérité d'être faite à part, et semblait l'avoir été.

On était persuadé que l'espionnage, dont il avait poussé l'art à un grand degré de perfection, le mettait dans le secret de toutes les familles. Il se servait habilement de ces bruits même pour faire trembler.

Il savait ménager les gens de qualité, sans les offenser ni les craindre. Quant au parlement, alors en opposition avec la cour, il le connaissait comme les grands généraux connaissent ceux contre qui ils ont toujours fait la guerre, comme le duc de Vendôme pouvait connaître le prince Eugène, et Villars Marlborough.

« Je suis obligé de convenir, dit le marquis d'Ar» genson, que ses mœurs secrètes n'étaient pas par» faitement pures, et je l'ai vu de trop près pour croire » qu'il ait été dévot. Mais il faisait respecter la dé» cence et la religion, et il donnait l'exemple en » même temps qu'il en prescrivait la loi. »

Un goût particulier lui faisait rechercher les religieuses; et l'abbaye du Trainel, si l'on en croit les mémoires de Richelieu, fut pendant quelque temps le centre de ses délassemens. Il faut se défier un peu des détails satiriques qu'on trouve, à cet égard, dans

les mémoires cités : le maréchal de Richelieu attri buait sa dernière détention à la Bastille à ce ministre, et il en avait conservé un vif ressentiment.

D'Argenson avait placé, dans ce couvent du Trainel, situé rue de Charonne, une de ses maîtresses nommée Husson, qui y fut d'abord très-considérée, parce qu'elle obtint de ce magistrat une loterie, dont les produits devaient servir aux frais des diverses constructions entreprises dans le couvent, et des toiles peintes ou indiennes confisquées qui servaient à l'ameublement de la supérieure. Celle-ci, qui était jeune et fraîche, séduisit par son embonpoint et par ses grâces le damné lieutenant, et supplanta la demoiselle Husson. Elle parvint à le fixer, non pas précisément auprès d'elle, mais dans son couvent. D'Argenson, qui n'avait jamais été fidèle, le devint à une communauté de religieuses. Véritable sultan, le lieutenant de police avait fait un sérail du couvent de Sainte-Madeleine-du-Trainel, grâce aux soins de la

supérieure.

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« Les preuves d'amour de cette supérieure, disent » les mêmes mémoires, furent d'un genre distingué; »>elle commença par faire bâtir, dans l'église de la » Madeleine, une chapelle dédiée à saint Marc (saint » René), patron de M. d'Argenson; ensuite on y con>> struisit une espèce de tombeau, où devait être dé»posé, après sa mort, un cœur qui, pendant sa vie, » avait si fort chéri le couvent. On peut dire qu'il s'y › enterra de son vivant; car, en 1718, ayant été fait » garde-des-sceaux et chef des finances, on vit ce

« EelmineJätka »