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conjurés étaient rassemblés, le soir, dans les cabarets environnans le camp de Grenelle, pour faire leur attaque dans la nuit, aurait pu les faire disperser, et les empêcher d'exécuter leur projet. Cependant, si par philanthropie, il avait pris ce parti, les anarchistes auraient crié qu'on les calomniait, en leur supposant de mauvaises intentions, que le ministre n'avait pas le droit de les empêcher de se réunir innocemment. D'ailleurs, le Directoire était bien aise de se débarrasser de ses ennemis les plus acharnés et les plus actifs; il crut en avoir fini avec eux.

Alors il donna toute son attention aux royalistes, dont cette conspiration avait relevé les espérances et encouragé les manœuvres. Il attendait avec impatience que le royalisme voulût bien enfin se compromettre, et leur offrir une occasion de reprendre leur revanche. Cette occasion tant désirée ne tarda pas à se présenter.

Cochon, qui avait fait preuve d'énergie dans l'affaire de Babeuf, employa dans celle-ci beaucoup d'astuce. Brotier et ses collègues firent des ouvertures à Malo et à Ramel, qui se montrèrent prêts à ré-pondre à cette marque de confiance, entrèrent en négociations, et en firent confidence au Directoire et au ministre de la police, qui les encouragèrent à filer le câble, à continuer de prêter l'oreille aux agens royaux, à pénétrer leurs projets, à rendre un compte exact de leurs démarches. Au bout d'un mois, l'affaire paraissant assez mûrie, Malo attira les agens royaux à une conférence chez lui, où ils apportèrent

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leurs pouvoirs et leurs papiers, que l'on saisit, ainsi que leurs personnes.

Les complices de ce complot avaient compté sur le ministre de la police, et ils avaient résolu de lui conserver son portefeuille en cas de succès. Dans son rapport au Directoire, Cochon montra son étonnement. « J'ignore, s'écria-t-il, à quoi je dois attribuer cette odieuse distinction, d'être placé parmi les ministres à conserver après le rétablissement de » la monarchie, moi qui ai voté la mort de Louis XVI!» Il protesta de sa haine pour la royauté et pour l'anarchie. Malgré cette justification péremptoire, les républicains continuèrent de le soupçonner de connivence avec les ennemis de la révolution, et lui refusèrent leurs suffrages lors du choix d'un directeur, en remplacement de Letourneur de la Manche, ce qui favorisait l'élection de Barthélemy. Toute son application à satisfaire ou à frapper alternativement les partis extrêmes ne put le préserver de l'accusation d'être favorable aux Clichiens. On voit dans un écrit sur la révolution, publié long-temps après ces événemens, que ces soupçons n'étaient pas entièrement dissipés. « L'âme pusillanime du ministre de la police, y est-il » dit, était passée tout entière dans chaque direc»teur. Après les mesures sanglantes, le ministre pro»posa des précautions révolutionnaires. Parmi plu» sieurs actes d'autorité qui attestent à la fois la fai» blesse, l'impéritie et le mépris des droits les plus » saints, celui qui chassait loin de Paris, au nom de cinq conventionnels, tous les membres de la Con

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»vention nationale, fut le plus remarquable et le plus agréable aux ennemis de la république..

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Cochon, attaqué avec violence, ne tarda pas à être disgracié.

Avant le 18 fructidor, madame de Staël, qui avait acquis une grande influence et qui tenait le fil de toutes les intrigues, parvint à le faire écarter du ministère. Henri Larivière se plaignit de la destitution de Cochon, qui fut remplacé par Lenoir-Laroche.

Les Clichiens cherchaient à enlever au Directoire la police de Paris. Ils argumentaient de l'article de la Constitution, qui donnait au Corps législatif la police du lieu de ses séances et de l'enceinte extérieure qu'il détermine, et de l'article qui donnait à l'assemblée de révision la police de la commune où elle tient ses séances. Ils voulaient donc faire décréter par les conseils que leur enceinte extérieure était la ville de Paris, ou au moins, le côté de la rivière où étaient situés leurs palais, et ils se proposaient de nommer Cochon leur inspecteur; cependant ils n'osèrent pas présenter un projet qui mettait la Seine entre les deux pouvoirs.

L'affection, vraie ou simulée des Clichiens, porta malheur à Cochon; il fut proscrit au 18 fructidor. Condamné à la déportation avec une foule d'autres victimes de ce coup d'état, sans avoir trempé plus que Carnot dans la conspiration royaliste, il subit une détention rigoureuse dans l'ile d'Oleron. Le 18 brumaire le rendit à la liberté.

Il fut nommé à la préfecture de la Vienne en

1800, membre de la Légion d'Honneur en 1804, préfet des Deux-Nèthes en 1805, et sénateur en 1809.

Après les désastres de la campagne de 1813, l'empereur l'envoya, avec des pouvoirs extraordinaires, dans la vingtième division militaire, pour y prendre des mesures de défense contre les armées ennemies. Il adhéra, en 1814, à la déchéance de Napoléon.

La restauration l'exclut de la pairie et des fonctions publiques.

En 1815, il occupa, pendant les cent jours, la préfecture de la Seine-Inférieure, et rentra dans la vie privée au 8 juillet.

Exilé comme régicide, il est mort en Belgique en 1825. Son fils publia dans le Journal de Poitiers une notice nécrologique, que le ministère poursuivit. M. Catineau, propriétaire du journal, fut condamné.

Cochon de Lapparent avait rendu d'éminens services à une foule de personnes compromises par leur attachement à la cause royale; il a toujours conservé la réputation d'homme de talent et d'administrateur habile.

DECAZES

(ELIE), duc de Glukesbourg.

La carrière ministérielle de M. Decazes est termi née depuis assez long-temps pour qu'on puisse juger

sa conduite avec impartialité. Lorsqu'il dirigeait le ministère, et qu'il jouissait de la confiance de son roi, M. Decazes était en butte à des haines et à des préventions que le temps a calmées, s'il ne les a pas entièrement éteintes. Porté rapidement au faîte de la puissance, il en est descendu couvert d'hon

neurs.

M. Decazes est né à Saint-Martin-en-Laye, canton de Guitres, département de la Gironde, le 28 septembre 1780. Si M. Decazes n'eût jamais été ministre, personne ne se serait donné la peine d'aller déterrer un titre de noblesse qu'Henri IV aurait accordé, en 1595, à un Decazes : il paraît toutefois que ce titre n'avait pas fait prendre rang parmi la noblesse du pays à la postérité de l'anobli, et qu'elle était restée dans la classe bourgeoise.

M. Élie Decazes fit ses études à Vendôme, fut reçu avocat, profession dans laquelle son père avait acquis une réputation d'habileté qui s'est conservée dans la contrée (1). Il songea à hériter de la clientelle paternelle; ses débuts furent heureux; néanmoins le petit barreau d'une petite ville de province flattait trop peu son ambition. Il se sentait fait pour devenir autre chose qu'un avocat retors ; il prit donc son vol vers Paris, la terre promise des Gascons.

(1) On lit dans un écrit publié en 1809: « M. Decazes est >> fils d'un certain avoué, marchand de vin de Libourne, et acquéreur de quelques petits domaines nationaux. »

« EelmineJätka »