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Toute origine est obscure sans doute. M. Decazes, qui le sait mieux que personne, entra dans la carrière adninistrative. Ses premiers pas ne furent pas des pas de géant; il accepta un modeste emploi au ministère de la justice. Ses formes aimables, son extrême bon ton, le mirent en relation avec un grand nombre de personnages. Il ne fallait rien moins qu'un mariage pour le sortir de la poussière des bureaux; il épousa, en 1805, la fille du comte Muraire, premier président de la cour de cassation. Ce mariage lui ouvrit la route des honneurs; il fut nommé, l'année suivante, juge au tribunal de première instance du département de la Seine, et secrétaire des commandemens de la mère de Napoléon, en remplacement du comte Guieux, conseiller-d'état, dont il avait été le secrétaire. Quatre ans après, il devint conseiller à la cour d'appel de Paris. Il présida plusieurs assises avec distinction.

Appelé, en 1811, aux fonctions de conseiller du cabinet de Louis Bonaparte, alors roi de Hollande, il servit ce prince avec assez de zèle pour mécontenter Napoléon, qui le tint dans une espèce de disgrâce, qui durait encore en 1814.

En 1812, M. Muraire, par suite de spéculations commerciales, se trouvait dans l'impossibilité de remplir les engagemens qu'il avait contractés, et se voyait menacé de poursuites judiciaires. La famille décida, comme dernière ressource, d'envoyer M. Decazes à Dresde, où Napoléon se trouvait alors, pour solliciter les moyens de mettre M. Muraire à même

de sortir de ce mauvais pas. Voici ce qu'on lit à ce sujet dans les Mémoires de M. le duc de Rovigo :

«M. Decazes, instruit que l'empereur devait venir » à Mayence, s'était hâté de s'y rendre.... Avant de » quitter Paris, il s'était muni de deux lettres, l'une de » l'archichancelier, l'autre de moi pour appuyer sa de» mande. L'empereur le reçut et lui donna, sur sa cassette, 250,000 fr. pour arranger des affaires qui, » quoique étrangères à M. Decazes, l'avaient déter»miné à aller jusqu'à Mayence. L'empereur, toujours » bon et généreux, ne s'en tint pas là, il m'écrivit d'employer toute mon influence à faciliter à M. De>> cazes la conclusion des affaires désagréables dans » lesquelles il allait s'engager. Je lui permis, en con» séquence, de s'établir dans un de mes bureaux, » d'où il envoyait lui-même mes propres agens cher» cher les personnes avec lesquelles il avait à traiter. » Il fit tant et si bien que la somme que l'empereur lui » avait donnée suffit à tout. Je ne fus pas étranger au succès qu'il obtint, et j'aime à penser qu'il en a conservé le souvenir. »

On s'étonnera peut-être de ce qu'un homme élevé dans les antichambres de la famille impériale sc soit montré, à l'origine de la restauration, partisan du nouvel ordre de choses : l'ambition du conseiller à la cour royale avait plus de chances sous le régime impérial; mais il ne faut pas trop crier à l'ingratitude: le cœur humain est fait de telle sorte que dans certaines occasions certains hommes se font un devoir de tourner casaque à l'infortune, sans même deviner

qu'il y a une conscience politique inséparable de la noblesse de l'âme.

L'ancien protégé de madame-mère se trouva donc un homme bien pensant. Son royalisme de fraîche date n'aurait pas même été remarqué si, au retour de Napoléon, M. Decazes, qui cumulait les fonctions de capitaine de la garde nationale et de conseiller à la cour royale, n'eût convoqué sa compagnie, le 20 mars au matin, pour lui communiquer la dernière proclamation de Louis XVIII, et l'exhorter belliqueusement à arrêter la marche de l'usurpateur.

M. Decazes ne quitta point immédiatement Paris;' il assista, le 25 mars, à la séance de la cour inpériale où M. Gilbert de Voisins, nommé premier président, fut reçu en remplacement de M. Séguier. Ce fut dans cette assemblée que M. Decazes, entendant quelqu'un qui établissait la légitimité de l'empereur par la rapidité de sa marche, répondit qu'il n'avait jamais ouï dire que la légitimité fût le` prix de la course. Ce mot léger se répandit, et valut à M. le conseiller un ordre de s'éloigner de la capitale. Cette apparence de persécution donna plus de vogue encore à la répartie de M. Decazes.

Il se retira donc au sein de sa famille. Bordeaux était alors un foyer de royalisme; et M. Decazes. que la demi-proscription qu'il subissait rendait en quelque sorte important aux yeux de ceux qui s'étaient réfugiés dans cette ville constamment indécise, entra avec ardeur dans les vues des partisans de la restauration. Après la bataille de Mont Saint-Jean, il

revint à Paris, et fut nommé préfet de police en remplacement de M. Courtin, le 7 juillet 1815. Sa nomination était contresignée par le duc d'Otrante Il donna des ordres pour la dissolution de la chambre des représentans. On a dit que M. Decazes, à la tête d'une compagnie de la garde nationale, avait dirigé cette opération militaire. Peut-être n'est-ce qu'une médisance; mais le caractère connu de celui qui en est l'objet permet assurément d'en douter. Bientôt après il fut appelé au conseil-d'état.

La conduite de M. Decazes, comme préfet de police, se ressent de l'époque et des événemens au milieu desquels il se trouvait. Une violente réaction multipliait sur tous les points de la France les arrestations, les proscriptions et les exécutions sanglantes. Les fonctions de la préfecture de police étaient d'autant plus pénibles, que tous les fonctionnaires se trouvaient placés sous la surveillance active du parti qui venait de triompher, et on sait que dans ces momens de lutte terrible, celui qui ne montrait pas de zèle était soupçonné de trahison. Les étrangers occupaient le sol de la France, et les chefs de leur armée ne s'adressaient qu'au préfet de police et au préfet de la Seine, pour tous les besoins de leurs troupes, et pour toutes les difficultés auxquelles donnait lieu leur séjour dans la capitale. C'est aussi à M. Deca zes qu'arrivaient directement les réclamations de ces généraux, qui contenaient souvent le récit trop fidèle des malheurs et des vexations causées par l'occupation de la France.

Le 13 juillet, M. Decazes adressa, en sa qualité de préfet de police, à tous les rédacteurs des feuilles publiques, la lettre suivante, qui fut publiée par le Journal général :

«S. Exc. le gouverneur de Paris (baron Müfling), » se plaint que les journaux s'occupent toujours des » armées alliées. Il demande qu'il soit enjoint aux »journalistes de n'en parler ni en bien ni en mal. Il demande, en outre, que cette injonction soit faite » aujourd'hui même. Je m'empresse, en conséquence, » de vous faire connaître les intentions de S. Exc., et >> vous recommande expressément de vous y confor» mer sans réserve. »

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On pourrait penser que de tous les devoirs de sa place, ceux qui durent le plus lui coûter, et lui paraître le plus pénibles à remplir, ont été les interrogatoires qu'il fit subir au colonel Labédoyère et au maréchal Ney, si leur arrestation n'eût été en partie le fruit de son zèle.

Malgré l'activité que ses opinions du moment lui firent déployer dans l'exercice de ses fonctions de police inquisitoriale, on lui vit quelquefois faire preuve de modération. C'est ainsi que M. BenjaminConstant eut à le remercier d'avoir effacé son nom de la fatale liste.

Il semble que M. Decazes avait aussi conservé la confiance de la reine Hortense : il réalisa le montaut de ses rentes cur l'État, et les lui fit tenir à l'étranger. Pouvait-il moins?

« EelmineJätka »