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Dans les premiers jours d'août, le département de la Seine l'élut, au premier tour de scrutin, membre de la chambre des députés. Au mois de septembre suivant, il fut appelé à remplacer Fouché au département de la police du royaume. On trouve les détails suivans dans une lettre publiée, il y a quelques années, sur son avénement au ministère :

« Le jour où M. Decazes fut nommé ministre de la » police, il crut devoir faire une visite à son prédé»cesseur. Cette visite pouvait n'être que d'étiquette, » elle fut pour lui une dette de reconnaissance et une » occasion d'épanchement. Le duc d'Otrante s'était » retiré dans son hôtel de la rue d'Artois ; il donnait ; » à déjeuner à quelques amis, et il ne recevait pas » d'autres visites ce jour-là. Ce cas avait été prévu par » le nouveau ministre, ét, à tout événement, il s'é»tait muni d'une lettre qu'il voulait du moins laisser » à la porte de son prédécesseur, comme un témoignage d'estime et d'affection. Malgré la consigne du » concierge, il insista pour entrer, et, sur l'avis qu'on »en donna au maître de la maison, il fut introduit sans difficulté. Alors il ne se contenta pas de lui » faire visite, il voulut encore lui remettre, de la main » à la main, la lettre qu'il avait préparée à tout hasard. » Elle était conçue dans les termes de reconnaissance » et d'affection les plus expressifs. Il s'y plaignait au ciel de succéder à un homme que nul ne pouvait » ni remplacer ni faire oublier. Tout ce que je puis » valoir, disait-il, je vous le dois; je ne suis que par

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» vous, et mon unique titre est d'avoir passé quelques

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mois à l'école du plus grand ministre des temps mo» dernes. »

La lettre dont il s'agit fut communiquée, immédiatement après le départ de M. Decazes, à deux hommes qui ont bonne mémoire, et auxquels Fouché fit observer que c'était une pièce à garder; aussi la plaçat-il sur-le-champ parmi ses papiers de réserve.

Après que M. Decazes fut sorti, le duc d'Otrante dit à ses deux convives : « Voilà un petit bon homme qui est bien content d'être ministre ; vous allez voir qu'il fera bien des sottises. » Ce que Fouché qualifie de sottises, en langage parlementaire, s'appelle des fautes, et je ne répondrais pas que M. Decazes n'en ait pas fait.

On pouvait, en effet, croire, comme Fouché, qu'un homme jeune, appelé, dans des circonstances graves, à un poste aussi difficile, aussi périlleux, serait écrasé par un tel fardeau. Il sembla que M. Decazes reconnut qu'il ne pouvait pas le porter seul, et il prit pour lieutenant un vétéran du département de la police, Anglès. Le jeune ministre ne dut trouver dans son ministère que les résidus de trois ou quatre épurations, qui en avaient enlevé à peu près tous les hommes habiles, et qui n'avaient épargné que les hommes médiocres ou nuls. Son prédécesseur avait négligé de le réorganiser, parce qu'il n'avait aucune confiance dans sa dernière situation, et que le découragement l'avait saisi. Se figure-t-on de combien de noviciats, de combien d'écoles, dut dépendre le

service administratif de M. Decazes, et dans quelle espèce de têtes il eut à chercher les renseignemens, les traditions et l'expérience qui lui manquaient?

Sa situation se compliquait. D'une part il devait exercer une surveillance active sur tout le royaume, de l'autre prendre des mesures politiques qui devaient obtenir l'assentiment des chambres. 11 lui fallait ex abrupto être à la fois orateur parlementaire et administrateur exercé.

L'arbitraire allait être le fondement de l'administration, et son véhicule le plus actif dans ce moment de réaction.

En conséquence, le 18 octobre, il présenta à la chambre introuvable une loi d'exception, tendant à autoriser le ministre de la police et ses agens à arrêter et à détenir les individus prévenus de délits contre la personne et l'autorité du roi, la famille royale et la sûreté de l'État. « Cette loi, dit-il, dans » l'exposé des motifs, a pour objet de donner à l'ac» tion de l'autorité chargée de veiller aux intérêts les » plus sacrés de la société, la sûreté de l'État et du >> trône, toute la force qui lui est nécessaire pour dé» jouer les trames coupables, et prévenir les attentats » de ces hommes étrangers aux remords, que le par» don ne peut attendrir, que la clémence offense, que » rien ne peut rassurer, parce qu'il est des conscien» ces qui ne sauraient et ne veulent pas être rassurées ; » que la justice ne peut atteindre, parce que ses for» mes salutaires, mais lentes, la rendent impuissante » pour prévenir, et trop souvent même pour répri

» mér, et qu'enveloppés dans l'ombre, ils ne dirigent » leurs complices, qui souvent sont leurs victimes, que par des ressorts cachés, souvent inconnus à » leurs agens mêmes (1). »

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Le 23, M. Decazes répondit aux objections qui avaient été faites contre l'extension du droit d'ar-' restation, donné par le projet de loi à tant de fonctionnaires: « La puissance du roi ne serait point as» sez rapide, si S. M. n'agissait immédiatement par » ses ministres; nous en avons eu, au mois de mars, >> un trop funeste exemple. Ce ne sont point des sus»pects, ce sont des prévenus que nous voulons attein» dre. C'est le droit de détention qu'il s'agit de con» férer aux ministres, rassurés que vous êtes, d'ail»leurs, sur leur responsabilité, par le sentiment du » bien, de l'honneur national et du salut du roi. » La loi fut adoptée dans cette même séance, à une grande majorité, et, le 25, M. Decazes la présenta à la chambre des pairs, qui, dès le 27, l'adopta à une majorité de cent vingt-huit voix contre dix-neuf, malgré l'opposition de Lanjuinais, qui la compara à la loi des suspects, soutint qu'il n'y trouvait rien d'analogue, pour les effets, à la suspension de l'habeas corpus des Anglais, et à la formule caveant consules des Romains.

Un écrivain spirituel, M. Fiévée, trouva cette loi mal rédigée. «Mais, disait-il, l'opinion de la cham

(1) Que M. Decazes apprécie aujourd'hui ce passage.

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bre était favorable à M. Decazes. Pendant les cent jours, sa conduite avait été courageuse; nommé préfet de police, au retour du roi, il montra du dé⚫ voûment, travailla jusqu'à altérer sa santé, et main» tint Paris dans l'ordre, sans le secours d'aucune loi

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extraordinaire. Au moment où M. Fouché parut » dangereux, même à ses collègues, M. Decazes, pre» fet de police, lutta contre Fouché, et le public, qui »juge les faits, et ne se trompe jamais moins que » quand il s'en tient là, ne chercha point si M. De» cazes n'avait rien de mieux à faire que d'accepter » cette lutte honorable; il lui sut gré de sa conduite ; » enfin, le discours qu'il prononça, en venant proposer la loi, manquait d'ordre et même de la correc» tion nécessaire quand on parle en public au nom de >> l'autorité; mais il y avait de la chaleur, une haine » prononcée contre les factions, et quelque chose qui » répondait si bien aux sentimens de tous les cœurs » royalistes, que la majorité accepta la loi, sans même » y vouloir de simples amendemens, qui auraient ren» du les articles conformes à la syntaxe, ce qui n'est » jamais inutile. »

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La lettre citée plus haut, et adressée, dit-on, par M. Decazes au duc d'Otrante, contrarierait un peu cette lutte entre le vétéran de l'intrigue et son novice

successeur.

M. Decazes adressa, le 3 novembre, à tous les préfets, une circulaire, dont voici quelques passages : Cette mesure extraordinaire assurera la tranquil»lité de l'État, s'il en est fait une sage application;

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« EelmineJätka »