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grave magistrat, qui réunissait les fonctions les plus > augustes de la magistrature, puisque alors le chan>> celier était exilé, se retirer tous les soirs dans le cou

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vent, où il s'était fait bâtir un appartement qui com» muniquait à celui de sa favorite, qui ne lui plaisait plus alors exclusivement, à cause de plusieurs autres que la complaisante supérieure lui procurait pour » le délasser de ses travaux. En arrivant il se couchait. Alors la supérieure et ses compagnes frot» taient avec de l'eau-de-vie les pieds de monsei»gneur le garde-des-sceaux, et les lui grattaient, ce » qui était infiniment du goût de monseigneur d'Ar»genson. Ensuite les houris qui environnaient son »lit, lisaient les placets dont ses poches étaient plei>>nes. C'était alors que les affaires auxquelles s'inté»ressait la supérieure s'expédiaient selon ses désirs, » c'était à elle aussi que l'on s'adressait ; et en vérité, elle vendait les grâces à juste prix. Lorsque les af» faires étaient expédiées on ne songeait plus qu'aux »plaisirs. On soupait auprès du lit de monseigneur. » La table et les propos galans lui inspiraient quelques » légers désirs qu'on s'empressait de satisfaire. Comme » il était obligé de se lever matin, à onze heures son sérail le quittait. Toutes l'embrassaient, et celle » qu'il avait désignée pour être la dernière, trouvait toujours quelque raison pour laisser partir ses compagnes et retarder sa rentrée dans les dortoirs. Le bonsoir qu'il lui donnait était tendre et expres

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D'argenson, jouissait seul d'un privilége qui était

fort utile à ses amoureux projets il avait le droit d'entrer à toute heure dans les couvens, comme lieutenant de police, étant inspecteur-né de leur temporel.

Les couvens se servaient alors du moyen des loteries pour réparer ou bâtir leurs églises, améliorer leur situation; et la permission d'établir ces loteries était de la dépendance du lieutenant de police. Une grande partie des couvens s'adressèrent à lui à cet effet. Il faisait aussi du bien aux religieuses qui avaient pour lui des complaisances.

C'est par ce moyen qu'il avait établi le théâtre de ses lubricités dans ces maisons religieuses. On peut juger, par ces dégoûtans exemples, de la corruption qui régnait alors.

D'Argenson disait à ses amis : « Je ne sors pas de mon cabinet. Depuis que je suis ministre je n'ai pas usé une paire de souliers. »« Je le crois bien, lui répondit une femme d'esprit (madame de Surgère), chacun vous porte sur ses épaules. »

Fontenelle a composé un éloge de d'Argenson, dans lequel il fait le tableau suivant des devoirs d'un lieutenant de police:

Entretenir perpétuellement dans une ville, telle » que Paris, une consommation immense, dont une » infinité d'accidens peuvent toujours tarir quelques » sources; réprimer la tyrannie des marchands à l'é» gard du public, et en même temps animer leur » commerce, empêcher les usurpations mutuelles des » uns sur les autres, souvent difficiles à démêler; re

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» connaître, dans une foule infinie, tous ceux qui ⚫peuvent aisément y cacher une industrie perni»cieuse, en purger la société, ou ne les tolérer qu'autant qu'ils peuvent lui être utiles par des emplois dont d'autres qu'eux ne se chargeraient pas, » ou ne s'acquitteraient pas si bien; tenir les abus » nécessaires dans les bornes précises de la nécessité, » qu'ils sont toujours prêts à franchir; les renfermer dans l'obscurité à laquelle ils doivent être con» damnés, et ne les en tirer pas même par des châtimens trop éclatans; ignorer ce qu'il vaut mieux » ignorer que punir, et ne punir que rarement et uti»lement; pénétrer par des conduits souterrains dans

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l'intérieur des familles, et leur garder les secrets » qu'elles n'ont pas confiés, tant qu'il n'est pas néces»saire d'en faire usage; être présent partout sans être »vu; enfin, mouvoir ou arrêter à son gré une multitude immense, et être l'âme toujours agissante et presque inconnue de ce grand corps: voilà quels sont, » en général, les fonctions du magistrat de la police. La voix publique répondra si M. d'Argenson a suffi » à tout. Sous lui, la propreté, la tranquillité, l'abondance, la sûreté de la ville, furent portées au plus » haut degré : aussi le feu roi se reposait-il entièrement » de Paris sur ses soins. Il eût rendu compte d'un in» connu qui s'y serait glissé dans les ténèbres; cet inconnu, quelque ingénieux qu'il fût à se cacher, était

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toujours sous ses yeux; et si enfin quelqu'un lui échappait, du moins, ce qui fait presque un effet égal, personne n'eût osé se croire bien caché.....

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» Environné et accablé dans ses audiences d'une foule » de gens du menu peuple, pour la plus grande par» tie peu instruits eux-mêmes de ce qui les amenait, » vivement agités d'intérêts très-légers et souvent très» mal entendus, accoutumés à mettre à la place du » discours un bruit insensé, il n'avait ni l'inattention » ni le dédain qu'auraient pu s'attirer les personnes » ou les matières; il se donnait tout entier aux détails les plus réels, anoblis à ses yeux par leur liaison » nécessaire avec le bien public; il se conformait aux façons de penser les plus grossières; il parlait à >> chacun sa langue, quelque étrangère qu'elle lui fût; il accommodait la raison à l'usage de ceux qui la con>> naissaient le moins; il conciliait avec bonté des esprits farouches, et n'employait la décision d'auto» rité qu'au défaut de la conciliation. Quelquefois des » contestations, peu susceptibles ou peu dignes d'un jugement sérieux, il les terminait par un trait de vi»vacité plus convenable et aussi efficace. Il égayait » même, autant que la magistrature le permettait, des » fonctions souverainement ennuyeuses et désagréa>>bles, et il leur prêtait de son propre fonds de quoi » le soutenir dans un si rude travail.....

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Quelque étendue que fùt l'administration de la » police, Louis XIV ne permit pas que M. d'Argenson s'y renfermât entièrement; il l'appelait souvent à d'autres fonctions plus élevées et plus glorieuses, » ne fût-ce que par la relation immédiate qu'elles don> naient avec le maître, relation toujours si précieuse, » si recherchée. Tantôt il s'agissait d'accommodement

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entre personnes importantes, dont il n'eût pas été » à propos que les contestations éclatassent dans les » tribunaux ordinaires, et dont les noms exigeaient » un respect auquel le public eût manqué; tantôt » c'étaient des affaires d'État qui demandaient des ex»pédiens prompts, un mystère adroit et une conduite » déliée. Enfin, M. d'Argenson vint à exercer réglé›ment auprès du roi, un ministère secret et sans titre, mais qui n'en était que plus flatteur, et n'en » avait même que plus d'autorité..

On voit, à travers ces éloges, sans doute exagérés, que la solennité académique exige, tout ce qu'il pouvait y avoir de réellement recommandable dans la personne de d'Argenson.

Fontenelle l'a peint en beau. D'autres, au contraire, se sont plu à le représenter dur, sévère, toujours prêt à punir, se servant de son immense pouvoir pour satisfaire sa lubricité et son penchant à la débauche.

Il y avait en lui un mélange de toutes ces choses, ce qui prouve qu'on ne peut échapper à l'influence qu'exerce le contact journalier de ce qu'il y a de plus impur et de plus immoral dans la société, sur l'homme le plus ferme, sur l'âme la plus énergique : les métaux les plus précieux finissent par se ternir en séjournant dans la boue.

Voltaire a dit de d'Argenson, Siècle de Louis XIV, chap. XXIX: Tout commençait à tendre tellement à la perfection, que le second lieutenant de police qu'eût Paris, acquit, dans cette place, une réputation

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