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en grâce, que cette rigueur ne pouvait, avec justice, être imputée au ministère, qui, dans l'impuissance de vérifier les faits, les admettait sur le témoignage du général Donadieu, et ne pouvait prendre les mesures qu'il jugeait applicables à un état de choses donné. C'est vous, M. Decazes, lui disait-on, qui avez repoussé les demandes en grâce, c'est vous qui avez donné l'ordre d'exécuter les vingt-un condamnés.

Ce n'est point M. Decazes qui a repoussé la demande en grâce; il n'était même pas dans les attributions de son ministère de la présenter au roi. Les demandes en grâce sont portées au pied du trône par le ministère de la justice.

Quant à l'ordre donné par le télégraphe, il était signé par le chancelier et par le ministre de la police générale, parce qu'il contenait des décisions qui se rapportaient aux attributions des deux ministères. Au surplus, pour les trouver excusables, il faudrait reconnaître que ces ministres ont été induits en erreur par l'autorité locale.

On a dit quelquefois que les gouvernemens avaient le droit de tout faire pour se conserver: maxime atroce et impie, qui donne aux ennemis des gouvernemens le droit de tout faire pour les attaquer, et qui détruit l'état de société, pour mettre à sa place l'état de guerre. Je ne sache pas de tyrannie à qui cette maxime ne suffise pleinement.

Après les cent jours, le pouvoir était autorisé à se défier de ses forces; peureux et violent, les complots lui étaient nécessaires pour légitimer ses craintes, et

pour lui procurer, par des châtimens, la force que lui avaient fait perdre ses fautes.

La France, occupée par les troupes alliées, était en état de suspicion, et pour ainsi dire gardée à vue.

La police se mit à conspirer pour mieux prévenir les conspirations. Sa première opération fut celle des patriotes de 1816.

(J'ai puisé les détails qu'on va lire, dans l'ouvrage intilulé La Police sous MM. les duc Decazes, comte Anglès, et baron Mounier, 1821, tom. I, pag. 81 et suiv.)

Pleignier, Carbonneau et Tolleron, soi-disant chefs de l'organisation secrète des patriotes de 1816, furent livrés par la police au pouvoir judiciaire. Une proclamation, des cartes de reconnaissance, un projet d'attaque contre le château des Tuileries, ont été les pièces à charge.

Un homme se présenta chez Tolleron pour faire graver des cartes de patriote. Tolleron indiqua Carbonneau comme ayant une belle écriture: ce dernier avait été secrétaire d'un bureau de police; il fut choisi pour copier la proclamation et les circulaires. Charles, imprimeur, devait prêter une presse et des caractères faciles à cacher dans l'une des fosses de la tannerie de Pleignier.

Carbonneau consent à tout ce que l'agent et Tolleron exigent de lui. Pleignier désigne une carrière où on pourra déposer l'imprimerie. Ces hommes étaient dans la misère; toutefois ils désiraient ne pas se compromettre, et ils firent confidence des proposi

tións qui leur avaient été faites à un fonctionnaire public, et de leur répugnance à les accepter.

Ce fonctionnaire rendit compte à M. Decazes des confidences qu'il avait reçues. Le ministre approuva la résolution qu'ils avaient prises de jouer le rôle d'espions, afin de découvrir la source du complot.

Forts de l'espèce d'assentiment que l'autorité leur accorde, ces hommes obscurs, qui ne peuvent à eux seuls avoir pensé à renverser un gouvernement, se mettent à l'ouvrage. Tolleron grave des cartes, Carbonneau copie des proclamations, et Charles les imprime. Des rendez-vous ont lieu chez des marchands de vin. La conspiration se recrutait dans les cabarets; on distribuait quelque argent et des cartes de patriote. Pleignier fut admis auprès de M. Decazes, qui entendit ses révélations.

Un officier en retraite, nommé Dervin, copia une carte où se trouvait le plan d'attaque du château de Tuileries. On distribuait partout des cartes de conspirateur.

Quand cette coupable jonglerie cut cessé de faire des dupes, on arrêta, pour en finir, les agens principaux. Ils sont mis au secret, et ils témoignent leur étonnement lorsque la police les fait arrêter. Après une longue détention, Pleignier, Carbonneau et Tolleron apprennent que l'agent conspirateur qu'ils croyaient avoir gravement compromis est un espion de police nommé Scheltein, et ils apprennent en même temps que c'est eux qui sont con

sidérés comme les vrais conspirateurs et les auteurs du complot.

On les traduit devant la cour d'assises, et là ces malheureux n'osent avouer qu'à demi la part qu'ils ont cue dans cette infamie; ils espèrent encore: peut-être ne sont-ils là que pour servir de passe-port à la condamnation, et on les épargnera. Ils demandaient à s'expliquer devant le roi. Dervin exige la comparution de l'agent de police Scheltein. On répond qu'on ne l'a pas trouvé à son domicile.

Enfin, sur la déclaration affirmative du jury, la cour d'assises rendit un arrêt qui condamnait à mort Pleignier, Carbonneau et Tolleron, et à des peines infamantes plusieurs de leurs co-accusés.

Ils annoncèrent qu'ils avaient tous à faire des révélations. On les reçut, et elles allèrent s'engouffrer à la police.

On a dit depuis que la police faisait une pension de 400 francs à la veuve de Tolleron, pour prix du sacrifice de son mémoire, tendant à la réhabilitation de son mari. Si le fait est vrai, les gens d'honneur s'écriront: La police mène un homme en place de Grève pour le faire décapiter, sauf à nourrir sa veuve ! Elle paic à la fois le bourreau et la victime, et c'est sur les fonds de l'État que sont pris tous ces salaires honteux!

On a prétendu que Scheltein avait obtenu plus tard, sous le faux nom de Duval, une place de sousinspecteur des boues et de l'éclairage de Paris, aux appointemens de 6000 francs. Il faudrait en conclure que les services infâmes sont quelquefois les mieux récompensés.

M. Decazes, il faut l'avouer, s'est laissé entraîner par les circonstances, et tromper par les hommes dangereux qui l'entouraient : il aurait dû se défier des individus attachés à une administration aussi impure que la sienne, et bien comprendre que ce n'est pas par pas par les cachots, les proscriptions et le sang, qu'on impose aux peuples et qu'on affermit les États.

Les mesures acerbes, les proscriptions, les catégories, les provocations coupables étaient à la vérité ardemment demandées par une majorite affamée de réaction (1); mais en faisant des concessions à cette majorité furibonde, qui précipitait tout dans le désordre et l'anarchie, il se rendait pour ainsi dire son 'complice.

La terrible majorité trouvait cependant que tout allait d'un pas trop mesuré : M. Decazes encourut sa haine pour ce qu'elle appelait sa modération. Obligé de lutter avec elle, après avoir été son instrument, it obtint de la confiance du monarque la fameuse ordonnance du 5 septembre 1818, qui sauvà nos institutions d'une ruine imminente.

Après la promulgation de cette ordonnance, le ministre de la police adressa aux préfets les instructions suivantes sur les élections: Sous le rapport de » la convocation, point d'exclusions odieuses, point » d'applications illégales des dispositions de la haute

(1) Chambre introuvable de 1815-1816.

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